Victor Cord’homme, la tête dans les nuages


Portrait de Victor Cord’homme

Portrait de Victor Cord’homme, 2020

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C’est un dimanche de pluie, le visage caché sous un masque et une capuche, que l’on découvre l’atelier de Victor Cord’homme (né en 1991). Joyeusement signalé par une enseigne « La Cord’hommerie », il irradie dans l’espace industriel des Grandes Serres de Pantin, immense et froid, occupé temporairement par une association d’artistes. On s’en souvient : ses sculptures aériennes ont fait partie, en mars 2019, de notre repérage au sein de l’exposition de jeunes diplômés 100% à la Villette. Trop heureux de le retrouver par hasard, rendez-vous est pris quelques jours plus tard pour une interview revigorante. Car Victor Cord’homme a ce don, d’autant plus précieux par les temps qui courent, de « parler du monde en souriant ».

Un bricoleur sur la route

Né à Paris d’un père décorateur de cinéma et d’une mère artiste, le jeune Victor grandit à l’Île de Ré puis dans un village proche de Chartres, et passe son temps à bricoler. « J’adorais faire des cabanes, l’outil m’a toujours attiré. » À l’école en revanche, il ne se passe pas grand-chose. « Très mauvais élève », il obtient sans conviction un bac pro STG (Sciences et Technologies de la Gestion), qui ne lui donne qu’une envie : partir très loin, longtemps, seul. Sac au dos, il découvre avec trois sous en poche l’Asie du Sud-Est et l’Inde. Au Népal, il s’arrête durant deux semaines chez un peintre, au bord d’un lac, qui lui apprend le batik, une technique de peinture sur textile. « Ça a été un moment révélateur. Avant mon voyage, je passais une nuit blanche par semaine à peindre ; j’étais heureux de m’y replonger. »

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Victor Cord’homme dans son atelier, « La Cord’hommerie » à Pantin (au premier plan, sculptures « Bulldozer » et « Marguerite »)

Victor Cord’homme dans son atelier, « La Cord’hommerie » à Pantin (au premier plan, sculptures « Bulldozer » et « Marguerite »), 2020

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Rentré à Paris, il opte pour une année préparatoire aux Beaux-Arts, puis y entre pour cinq ans. Une période heureuse, passée dans les ateliers du peintre Dominique Gauthier puis du sculpteur Tadashi Kawamata. « J’ai été moniteur de forge (un étudiant qui guide les autres étudiants dans l’atelier de forge, NDLR) et suis allé dans l’atelier métal. Là, je me suis pris d’affection pour le fait de découper, de construire. » Six mois d’échange à Toronto lui donnent le goût de la photographie argentique, et des montages d’images façon paysages surréalistes. Aujourd’hui et depuis trois ans, le voici à Pantin : plutôt chanceux, il a dégoté cet atelier sous les verrières d’un grand hangar dès sa sortie des Beaux-Arts. Dans la pièce qui lui est dédiée, il peut s’enfermer pour peindre et exposer quelques œuvres aux collectionneurs de passage, et dans les ateliers collectifs, travailler le métal, faire de la soudure, emprunter le four pour cuire des pièces en céramique.

Victor Cord’homme, Vue de l’exposition « Aérrissage » aux Beaux-Arts de Paris, atelier Dominique Gauthier

Victor Cord’homme, Vue de l’exposition « Aérrissage » aux Beaux-Arts de Paris, atelier Dominique Gauthier, 2017

« Je cherche le potentiel des objets, j’aime les réparer ou leur donner une autre utilité.  »

« L’idée, c’est qu’avec les moyens les plus simples et aussi peu de matériaux que possible, je fasse en sorte que tout se goupille. » Le jeune plasticien récupère beaucoup : il passe du temps à la Réserve des Arts – une association qui revend des matériaux usagés auprès des entreprises et les met à la disposition des artistes –, pioche par-ci par-là des morceaux de métal, de bois. « Je cherche le potentiel des objets, j’aime les réparer ou leur donner une autre utilité » Il tord des tiges métalliques à l’aide d’un marteau et en fait un nuage aux courbes tendres qui flotte dans les airs [ill. en une], construit des sculptures aériennes avec des morceaux de bancs publics, des parcelles de toiles peintes et des moteurs. L’ensemble nous évoque un je-ne-sais-quoi de Jules Verne, d’explorations sans fin, de machines volantes ahurissantes, purement poétiques, lancées dans le ciel comme des poèmes.

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Victor Cord’homme, Le Centre commercial

Victor Cord’homme, Le Centre commercial, 2020

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Encres acryliques sur toile • 200 x 250 cm • © Victor Cord’homme

Récemment, Victor s’est penché sur la recherche d’énergies écologiques et a ajouté à ses sculptures (de plus petites tailles) un minuscule panneau solaire qui leur insuffle de l’électricité : « comme ça, l’objet fait sa vie tout seul ». Pour son projet de diplôme, l’ensemble sculptural Aérissage (2017) [ill. plus haut], il parle de « sculptures autonomes » qui, dans leurs mouvements conjoints, « se font la cour ». Il y a, dans sa création, une part d’instinctif : Victor fabrique des bouts de sculptures, des « pièces détachées », qu’il stocke en attendant qu’elles trouvent leur place au cœur de projets cohérents, qu’elles se mettent à « fonctionner ensemble  ». Un répertoire de formes nourri par un amour total pour l’artisanat, qu’il soit du métal, du bois ou de la céramique, et qui le pousse à produire beaucoup.

Côté peinture, on décèle un peu de l’influence des jeux vidéo dans ses visions en surplomb, qui donnent à voir des villes sans personnage où se côtoient chaises, manèges, tables de ping-pong, rampe d’escaliers. Il acquiesce, et développe : il travaille de mémoire, « sans essayer d’être très réaliste » et en voulant créer « une sorte de narration ». Attentif au monde, il récolte dans les fils d’informations des motifs qui l’intriguent : il évoque l’anthropocène, nous parle de la Réserve mondiale de semences du Svalbard, un immense bunker en Norvège où sont stockées des centaines de milliers de graines, et qu’il reprend comme forme « symbolique  » dans un tableau en cours. Parfois, ses toiles (comme Aéroport, 2017) s’animent de projections numériques et de sons : il collabore alors avec Elliott Causse et Hector de Lacroix pour donner vie à ces visions citadines.

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Victor Cord’homme dans son atelier, « La Cord’hommerie » à Pantin

Victor Cord’homme dans son atelier, « La Cord’hommerie » à Pantin, 2020

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« Une toile est un agglomérat », poursuit-il, qui fait se voisiner différents éléments symptomatiques de l’époque (technologiques, architecturaux…) tout en gardant un aspect extrêmement doux, quasi-ludique. Enfantin ? Victor Cord’homme ne le nie pas : lui qui a participé à la Nuit Blanche 2019 avec un projet pour Little Villette aime que son travail puisse être le lieu d’une « double lisibilité : un gamin peut apprécier, mais sans avoir toutes les clés de lecture ». Il veut ouvrir sa pratique à un large public, aime les « choses gaies », les « formes simples ». Qui lui permettent d’aborder un monde complexe, quasi-dystopique, avec un sourire désarmant.

Victor Cord’homme a conçu six vitrines visibles jusqu’en novembre à la boutique Hermès de Shanghai, 217, Middle Huaihai Road, 200021 Shanghai, Chine.



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