Une journée dans la vie d’un conservateur du Centre Pompidou


Parmi ses petits plaisirs, il y a celui de voir le grand musée pour lequel il travaille… entièrement vide. Bien sûr, l’affluence est un signe de bonne santé – le Centre Pompidou a d’ailleurs récemment annoncé avec fierté ses derniers chiffres de fréquentation, qui grimpent à trois millions de visiteurs en 2022 après les deux années noires du Covid-19. Mais un musée fermé se visite comme un secret. Et c’est l’un des privilèges que connaissent les conservateurs tels que Philippe Bettinelli (né en 1988) : être face aux collections, seul. Il cite aussi la joie de découvrir une œuvre, restée intacte depuis ses études et toujours renouvelée. Celle aussi du partage avec le public, surtout quand celui-ci comprend son enthousiasme et s’emballe à son tour. Ceci, peut-être d’autant plus que Philippe Bettinelli s’occupe des « nouveaux médias », autrement dit une forme d’art très jeune, née dans les années 1960 et qui englobe les installations vidéo, les fichiers sonores, les œuvres numériques d’artistes contemporains… Pas forcément la mieux connue, ni la plus aimée.

Un concours de conservateur très exigeant

Nous le rencontrons un matin de janvier, à 11 heures – autrement dit à l’heure où le musée s’éveille après une longue nuit de silence, et se laisse parcourir par ses premiers visiteurs. Philippe nous a donné rendez-vous au café du Centre Pompidou, perché sur une mezzanine dans le grand hall d’entrée. Souriant, habillé de noir, il remonte le temps devant un gobelet de thé brûlant et nous raconte. Breton d’origine, le jeune conservateur a déménagé à Paris pour ses études à l’École du Louvre. Ayant d’abord l’idée de s’orienter vers le marché de l’art, il suit jusqu’en master des cours de droit en double cursus à l’Université Paris-Sud… Un sacré bosseur, donc. Son intérêt pour les nouveaux médias remonte à deux sujets de mémoire, choisis « au croisement de l’histoire de l’art et du cinéma » (Werner Herzog et d’Andreï Tarkovski). Son diplôme obtenu, il ne quitte pas les bancs de l’école mais entre en classe préparatoire au concours de conservateur du patrimoine ; en parallèle, il commence à donner des cours de travaux dirigés, et se découvre un goût pour l’enseignement. À l’École du Louvre, les TD (travaux dirigés) se font dans les musées, et Philippe emmène ses élèves au Centre Pompidou – prémonitoire !

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Dans le cas des nouveaux médias se pose la question des « œuvres qui migrent technologiquement » : « elles utilisent des technologies de l’information et sont soumises à l’obsolescence. L’art vidéo, des années 1960 à nos jours, a vu un grand nombre de formats se succéder », des tubes cathodiques aux écrans plats numériques.

Dans le cas des nouveaux médias se pose la question des « œuvres qui migrent technologiquement » : « elles utilisent des technologies de l’information et sont soumises à l’obsolescence. L’art vidéo, des années 1960 à nos jours, a vu un grand nombre de formats se succéder », des tubes cathodiques aux écrans plats numériques.

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Le hasard joue beaucoup, par exemple pour l’épreuve du commentaire d’œuvres, composée de quatre photos sans légende.

Extrêmement exigeante, l’année de préparation du concours est « assez désagréable », nous glisse-t-il, quoique évidemment très riche. Les candidats sont nombreux, 800 environ (et de tous âges, les plus jeunes ayant environ 25 ans, et les plus âgés pouvant avoir jusqu’à 60 ans, avec toute une carrière derrière eux), pour une poignée de postes ouverts dans les musées nationaux : « il y a une part de chance », devine Philippe Bettinelli, puisque, bien sûr, de très nombreux candidats ont plus que le niveau requis. Le hasard joue beaucoup, par exemple pour l’épreuve du commentaire d’œuvres, composée de quatre reproductions ou photos, sans légende : si le candidat connaît les quatre œuvres pour avoir déjà (longuement) travaillé dessus, ses atouts sont immenses par rapport à celui à qui il manque un nom… Philippe, lui, était tombé sur le peintre romantique Caspar David Friedrich, le sculpteur animalier Emmanuel Frémiet, le mémorial de la Shoah à Berlin et… la vitrine d’André Breton au Centre Pompidou !

Enfin, il arrive au Centre Pompidou en 2020, après avoir sauté sur l’ouverture d’un poste dédié aux nouveaux médias, sa spécialité.

Une fois le concours obtenu, l’euphorie laisse rapidement place à une année et demi de formation au sein de l’Institut national du patrimoine, composée de neuf mois de stages. Ceux-ci doivent être nombreux et variés, afin que les futurs conservateurs puissent « sortir de leur zone de confort » et aller voir comment travaillent les musées d’art ancien, d’artisanat, d’art contemporain… « Il arrive que des spécialistes de l’Égypte antique se retrouvent à travailler sur des collections du XVIIe siècle français ! » Philippe passe, quant à lui, par la Cité de la tapisserie d’Aubusson, la Direction régionale des affaires culturelles de Lorraine, la Tate Modern à Londres, la Bibliothèque nationale de France et le Centre National des Arts Plastiques, où il obtient en 2015 son premier poste. Coup de chance : le CNAP était son premier choix, chaque élève admis au concours devant formuler plusieurs vœux et discuter avec les autres en fonction de leurs envies. Le plus souvent, par ailleurs, « les établissements ont déjà un peu quelqu’un en tête ». De 2015 à 2017, il y est « Conservateur responsable de la collection art public », soit 1 200 œuvres réparties sur tout le territoire et 3 500 études préparatoires. Puis, de 2017 à 2020, « Conservateur responsable de la collection arts plastiques (1961–1990) », soit 18 000 œuvres. Enfin, il arrive au Centre Pompidou en 2020, après avoir sauté sur l’ouverture d’un poste dédié aux nouveaux médias, sa spécialité.

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« Il s’agit de montrer les œuvres de la manière la plus fidèle, aussi longtemps que possible, aux originaux, et de la manière la plus lisible. »

Le quotidien ? « Les journées peuvent être très différentes les unes des autres », autant que le sont ses différentes missions. Au premier rang desquelles, la préservation des collections. « On travaille avec des attachés de collection qui font des constats d’état. » Avec, tous les dix ans, un récolement, qui permet de vérifier la santé de toutes les œuvres, et éventuellement de procéder à leur restauration. Dans le cas des nouveaux médias se pose la question des « œuvres qui migrent technologiquement » : « elles utilisent des technologies de l’information et sont soumises à l’obsolescence. L’art vidéo, des années 1960 à nos jours, a vu un grand nombre de formats se succéder », des tubes cathodiques aux écrans plats numériques. « On transfère régulièrement une œuvre d’un support à un autre. » Pour certaines, cela nécessite un travail approfondi : pionnier de l’art vidéo, Nam June Paik (1932–2006) a pu par exemple jouer avec des aimants qui déformaient l’image d’une télévision allumée. Cet effet a dû être recréé par d’autres moyens, pour ne pas dépendre de cette technologie – et ne pas être oublié. « Il s’agit de montrer les œuvres de la manière la plus fidèle, aussi longtemps que possible, aux originaux, et de la manière la plus lisible. » Ce qui nécessite de dialoguer avec les artistes (s’ils sont encore vivants) ou avec leurs ayants droit.

Faire évoluer la collection et soutenir la création

Conservateur au Centre Pompidou : un poste aux responsabilités nombreuses, tantôt intellectuelles, tantôt matérielles, qui se soucie aussi bien du grain de poussière malvenu que des outils pédagogiques confiés aux enseignants, de l’analyse d’une œuvre que du confort des visiteurs.

Conservateur au Centre Pompidou : un poste aux responsabilités nombreuses, tantôt intellectuelles, tantôt matérielles, qui se soucie aussi bien du grain de poussière malvenu que des outils pédagogiques confiés aux enseignants, de l’analyse d’une œuvre que du confort des visiteurs., 2023

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Autre mission : l’étude des collections, par exemple avec des publications à leurs sujets. Au CNAP, Philippe avait ainsi dirigé un ouvrage collectif intitulé Un art d’État ? Commandes publiques aux artistes plasticiens (1945–1965) (éd. PU Rennes, 2017). Le conservateur doit aussi proposer des acquisitions au musée, pour enrichir la collection d’œuvres nouvelles. « Les collections sont inaliénables, il faut donc faire ses choix avec prudence », en les présentant d’abord devant un comité de conservateurs, puis à une commission composée de différentes « personnalités qualifiées », le tout deux fois par an. « C’est alors un moment d’activité intense et d’échanges avec les galeries, les artistes… On monte des dossiers complets, et c’est une partie du travail assez exaltante puisque c’est à la fois un moment où on participe à l’évolution de la collection, donc à un travail de long terme, et un soutien à la création artistique. »

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Citons encore la tâche de la diffusion de la collection, qui se fait à travers des expositions temporaires – soit, aux yeux du grand public, la partie émergée de l’iceberg colossal du travail de Philippe et de ses confrères. Pilier d’un musée, le conservateur s’incarne donc en garant de ses valeurs fondamentales (respect des œuvres, recherches savantes, présentation au public). Un poste aux responsabilités nombreuses, tantôt intellectuelles, tantôt matérielles, qui se soucie aussi bien du grain de poussière malvenu que des outils pédagogiques confiés aux enseignants, de l’analyse d’une œuvre que du confort des visiteurs.

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Centre Georges Pompidou

Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11 h à 22 h
Nocturne le jeudi jusqu’à 23 h (uniquement pour les expositions temporaires du niveau 6)



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