Un château dans Paris ou le rêve fou d’un banquier passionné d’art


Portrait d’Émile Gaillard

Portrait d’Émile Gaillard

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L’édifice, qui s’élève au cœur du 17e arrondissement, a de quoi étonner. Imaginez plutôt : un hôtel particulier flamboyant aux allures de château de la Loire, avec ses tourelles, sa toiture d’ardoise et ses motifs de losanges… planté au beau milieu d’immeubles haussmanniens bien sages ! Que fait donc ici cet ovni architectural, digne des plus beaux caprices des souverains de la Renaissance ? Cette fantaisie n’est ni due à un roi, ni à un prince, mais bien à un riche banquier passionné d’art : Émile Gaillard ! Né en 1821, il est issu de la haute bourgeoisie grenobloise et représente à Paris la banque familiale qui participe par exemple au financement des chemins de fer. Seulement, Gaillard est aussi un esthète : mélomane, le banquier apprend le piano auprès de Frédéric Chopin dont il est, dit-on, l’élève favori (le célèbre musicien lui dédiera même une mazurka). Surtout : c’est un collectionneur insatiable ! Passionné par les arts des XVe et XVIe siècles, Gaillard accumule chez lui toutes sortes d’objets : œuvres d’art bien sûr, mais aussi mobilier, tapisseries, objets décoratifs… Tant et si bien que son logement parisien de la rue Daru (pourtant exclusivement réservé à sa collection) s’avère bientôt trop petit pour conserver tous ses trésors.

Gaillard a alors en tête un projet ambitieux : faire bâtir un château d’inspiration néo-Renaissance pour y rassembler sa collection !

Qu’à cela ne tienne ! Le riche banquier achète en 1878 deux terrains dans la plaine Monceau, quartier du nord-ouest de la capitale alors en pleine expansion, particulièrement prisé de la haute bourgeoisie et des artistes, à l’image de Debussy ou Sarah Bernhardt qui y ont élu domicile. Gaillard a en tête un projet ambitieux, pour ne pas dire fou : bâtir, ni plus ni moins, un château d’inspiration néo-Renaissance afin d’y rassembler sa collection ! Pour ce faire, il fait appel à l’architecte Jules Février, qui relève le défi en quatre ans. En 1882, on s’émerveille, mais surtout on s’étonne : « Faut-il donner le nom d’hôtel, de château ou de palais, à la splendide construction que vient d’élever […] Monsieur J. Février, pour Monsieur Gaillard, banquier à Grenoble ? » peut-on lire alors dans la presse.

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L’ensemble, monumental, s’inspire en effet du château de Gien, mais surtout du château de Blois – et plus particulièrement de son aile Louis XII, parfait exemple de la « Renaissance à la Française », qui mêle des éléments du gothique tardif aux meilleures innovations de la Renaissance. La façade, toute de briques et de pierres, flanquée de gouttières dorées, est un parfait pastiche ! Et pour cause : Jules Février obtient même l’autorisation de réaliser des moulages du célèbre château de la Loire. À l’intérieur de l’édifice, c’est encore une avalanche de faste digne d’un monarque avec un escalier d’honneur à double volée grandiose, une somptueuse salle de bal, d’immenses cheminées sculptées… Bref, une folie architecturale à tout point de vue, théâtre en 1885 d’une fête costumée mémorable, lors de laquelle Gaillard parade au milieu de ses quelque 2000 convives, vêtu comme Henri II !

Casque de réalité mixte

Casque de réalité mixte

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Émile Gaillard décède près de vingt ans plus tard, en 1902. Ses héritiers décident alors de se séparer de ses trésors, comme de son palais, qui ne trouve guère acquéreur… Ils le vendent finalement à la Banque de France en 1919, qui en fait une succursale. L’architecte Alphonse Defrasse parvient à transformer les lieux : il crée un hall d’accueil, une salle des coffres… Tout en conservant l’esprit d’Émile Gaillard, une prouesse ! Cette antenne de la Banque de France fermera définitivement ses portes en 2006, avant d’accueillir, en 2019, Citéco, un musée tout entier dédié à l’économie. Où l’on peut toujours admirer tout le faste néo-Renaissance d’origine ! Quant au souvenir d’Émile Gaillard, il n’est jamais très loin… Le spectre du banquier-collectionneur est même au cœur d’une visite façon expérience immersive : équipés de casques en réalité mixte, les visiteurs invoquent l’esprit de Frédéric Chopin avec l’aide d’un hologramme de Gaillard. Les voici embarqués dans une drôle d’aventure émaillée d’énigmes, sur fond de séances de spiritisme et de récital de piano. Preuve, s’il en fallait une encore, que l’hôtel Gaillard n’a pas fini de nous surprendre !

Citéco est un lieu culturel et éducatif parisien, unique en Europe, qui a pour but de rendre l’économie accessible à tous. On y découvre que l’économie fait partie du quotidien. Jeux, manipulations, images, expériences ludiques et éclectiques, dévoilent avec humour et pédagogie les dessous de cette matière particulièrement riche et mal connue. Le musée s’est installé dans un magnifique hôtel particulier néo-Renaissance, l’hôtel Gaillard.



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