un amendement ouvre la voie à une révision du procès


RÉCIT – Un amendement voté par le Sénat pourrait contribuer à la réhabilitation de deux hommes, condamnés pour meurtre en 1947 à quinze ans de travaux forcés. Après des aveux sous la torture, ils ont clamé toute leur vie leur innocence.

74 ans après la condamnation de Raymond Mis et Gabriel Thiennot pour l’assassinat d’un garde-chasse, le mystère criminel n’a jamais été élucidé. Un amendement adopté au Sénat dans la nuit de mardi 28 à mercredi 29 septembre pourrait permettre une révision de ce procès de 1947. Passés aux aveux sous le coup de la torture, ils se sont battu toute leur vie afin d’être innocentés, mais n’ont jamais obtenu gain de cause. Six requêtes en révision de cette affaire ont déjà été rejetées par la justice.

C’est dans une France meurtrie par la guerre, qu’un 29 décembre 1946 un garde-chasse, nommé Louis Boistard, 33 ans, disparaît dans une forêt du Berry. Ce dernier est l’employé d’un puissant industriel, Jean Lebaudy. Quarante-huit heures plus tard, son corps est retrouvé dans un étang, criblé de quatre balles dans le dos. Or ce même jour, huit jeunes organisent une partie de chasse. Parmi eux, Raymond Mis et Gabriel Thiennot, qui ne se connaissent pas. Pourtant, ils se retrouvent tous deux au cœur d’une affaire criminelle sans fin. L’écrivain Léandre Loizeau a retracé leur histoire dans «Ils sont innocents», livre paru en 1980. Aujourd’hui octogénaire, l’écrivain garde espoir qu’ils finiront un jour par être innocentés, même à titre posthume.

«Hommes cassés»

Sous la pression du patron du garde-chasse, les enquêteurs privilégient immédiatement en janvier 1947 la piste des braconniers. Raymond Miss et Gabriel Thiennot sont arrêtés avec six autres chasseurs. «Le premier est d’origine polonaise, commis de ferme dans une exploitation agricole voisine. Le second, est fils de résistant, fraîchement communiste, dont le frère a été fusillé par une colonne allemande sous l’Occupation», relate au Figaro Léandre Loizeau.

Lire aussi article :  Importations ukrainiennes - États et eurodéputés négocient pour restreindre l'afflux de céréales d'Ukraine - Politique et syndicats, Élevages porcins et avicoles, Économie et gestion, Tendance des marchés

«Ce sont des hommes qui ont été cassés, massacrés par les enquêteurs. Après huit jours et huit nuits de torture dans la mairie du village, dents et côtes cassées, phalanges éclatées, Raymond Miss et Gabriel Thiennot avouent le meurtre», détaille l’écrivain. Les six autres sont mis en examen pour complicité. Les gardés à vue ont également subi «la prière des Juifs», héritage de Gestapo, qui consiste à tourner des bâtonnets entre les doigts jusqu’à la rupture des cartilages. Finalement, devant le juge d’instruction, ils assurent ensuite être innocents. En vain.

Jugés, graciés mais pas réhabilités

Lors d’un premier procès à Châteauroux en 1947, les accusés sont condamnés à 15 ans de travaux forcés. Mais la Cour de cassation annule le jugement. En décembre 1948, la cour d’assises aggrave leur peine à 20 ans. «L’enquête a été bâclée. Les preuves matérielles étaient farfelues et l’accusation reposait sur un seul témoin, Albert Niceron, un simple d’esprit, manipulable, qui était sous la coupe du propriétaire du domaine, où a eu lieu le meurtre », souligne Léandre Loizeau. En 1950, une nouvelle cassation ramène leur peine à 15 ans. Après sept ans et six mois de détention, Mis et Thiennot sont finalement graciés en 1954 par le président René Coty, mais pas innocentés.

Six requêtes en révision ont échoué

L’affaire ne ressurgit qu’un quart de siècle plus tard. En 1979, se forme un comité de soutien Mis et Thiennot pour la révision du procès, notamment sous l’impulsion de Léandre Loizeau. Des invraisemblances du dossier sont soulevées et des nouveaux témoignages apparaissent. Plusieurs avocats se penchent sur leur dossier. Le premier, Me Jean Paul-Thibault est confronté dès 1980 à plusieurs difficultés : les faits sont prescrits et définitivement jugés. Les aveux tiennent également de certitude pour les enquêteurs de la justice. Le 16 juin 1988, l’avocat déclarait à La Croix : «Parce qu’il est très difficile de reconnaître publiquement que trois Cours d’Assises aient pu se tromper. C’est toute la crédibilité de la justice qui serait bousculée.»

Lire aussi article :  Parlons Bitcoin : entretien avec Castlenine de Dux Reserve

Six demandes en révision sont déposées mais toutes sont rejetées entre 1980 et 2007. À chaque fois, la Cour a estimé que l’élément nouveau invoqué, n’était «pas suffisant pour faire naître un doute sur la culpabilité des condamnés.» Dans un article du Figaro, publié le 16 septembre 1988, Mis et Thiennot affirment être victimes d’un «véritable déni de justice.» Ils engagent alors une grève de la faim, mais cela ne met pas un terme à leur guérilla judiciaire. En 1993, après un troisième refus de révision de leur procès, les deux hommes ulcérés clament : «Nous nous battrons jusqu’à la fin de nos jours pour qu’on nous rende notre honneur.» Malgré leur mort respective en 2003 et 2009, la lutte pour leur réhabilitation se poursuit.

Un amendement favorable à Mis et Thiennot

Dans le cadre du projet de loi «Confiance dans l’institution judiciaire», le Sénat a voté un amendement mardi 29 septembre au soir, qui permettrait la révision du procès Mis et Thiennot. Une proposition de loi avait déjà été proposée en ce sens par le député François Jolivet en 2016, sans succès. Défendu par Éric Dupond-Moretti, cet amendement autorise la révision d’une condamnation pénale si le ou les accusés ont été inculpés sur la base d’aveux obtenus sous la torture.

«Ils étaient deux. Ils ont été condamnés à trois reprises, à la suite d’aveux extorqués par la torture. Ils ont toujours clamé leur innocence. Ils ont été graciés par le président René Coty. Mais ils n’ont jamais pu obtenir la révision de leur condamnation. Ils sont morts aujourd’hui, mais il y a encore des gens qui se battent pour réhabiliter leur mémoire. Pour que, même à titre posthume, l’injustice soit réparée», a déclaré le garde des Sceaux devant les sénateurs.

Lire aussi article :  Gotham Knights est reporté en 2022

Grâce à cet amendement, Léandre Boizeau espère une issue différente pour la septième requête en révision. «La justice s’honorerait à reconnaître l’innocence d’hommes injustement condamnés. Son image est si dégradée que ce serait également une occasion pour elle de retrouver la confiance des Français.»



Source link