Tout schuss ! Comment les sports d’hiver ont conquis la peinture


Axel Hjalmar Ender, Ski de fond

Axel Hjalmar Ender, Ski de fond, XIXe siècle

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Huile sur toile • 40 x 52 cm • Coll. Bonhams, Londres • © Artiz / Alamy / Hemis

Ski et patinage ont mis un certain temps à se frayer un chemin dans la peinture. Pourtant, ces sports, d’abord inventés pour chasser et se déplacer rapidement dans la neige et sur la glace, existent depuis la Préhistoire ! En Chine, en Russie, en Norvège et en Suède, des pétroglyphes datant d’au moins 3000 ou 4000 ans avant notre ère représentent des chasseurs juchés sur de longues planches de bois et s’aidant de bâtons pour poursuivre leurs proies. Des mâchoires de cheval ou de bœuf font office de luges primitives tandis que des os d’animaux taillés et polis, fixés aux pieds avec des lanières, servent de patins à glace.

Pétroglyphes de Zalavruga (Belomorsk) découverts en 1938

Pétroglyphes de Zalavruga (Belomorsk) découverts en 1938, entre 6000 et 4000 av. J.-C.

Exportés par les Vikings, ces derniers se diffusent rapidement en Europe. Dès le XIIIe siècle, ils apparaissent dans un livre d’heures d’Oxford. En 1498, une gravure sur bois, illustrant un ouvrage du théologien Johannes Brugman, représente une jeune patineuse hollandaise (la future sainte Lydwine de Schiedam) chutant sur un lac gelé. Dotés d’une structure en bois et d’un fond plat en fer puis, à partir de 1500, d’une lame étroite à double tranchant, les patins font fureur en Hollande et dans les Flandres, riches en plans d’eau gelés. Hommes, femmes et enfants de tous âges s’entichent de cette activité amusante et peu coûteuse. De gracieux mouvements commencent à s’esquisser sur la glace…

En 1565, le pays entre dans une série de dix hivers particulièrement froids, surnommée le « Petit âge glaciaire ». Les artistes néerlandais se mettent à peindre de nombreux paysages enneigés, truffés de personnages et d’activités hivernales. Pieter Brueghel l’Ancien (1525–1569) lance la mode des scènes de patinage avec Les Chasseurs dans la neige (1565), Le Dénombrement de Bethléem (1566) – où des enfants utilisent également des chaises renversées et des mâchoires de bœuf en guise de luges ! – et surtout son Paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux (1565), qui sera décliné en plus de 120 versions par ses suiveurs. Des paysans – dont certains jouent avec des crosses et des palets, préfigurant le hockey sur glace – y patinent sur une rivière gelée. Non loin de là, des oiseaux se rassemblent autour d’un piège. Tout en représentant avec bienveillance la jovialité de ses compatriotes, l’artiste fait allusion à la fragilité de la vie, qu’incarne ce jeu insouciant pratiqué sur un terrain qui menace de se briser à chaque instant…

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Pieter Brueghel l'Ancien, Le Dénombrement de Bethléem

Pieter Brueghel l’Ancien, Le Dénombrement de Bethléem, 1566

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Huile sur bois • 116 × 164,5 cm • Coll. musées royaux des beaux-arts de Belgique, Bruxelles • © Bridgeman Images

En scrutant à la loupe Paysage d’hiver et Les Chasseurs dans la neige, on y décèle un autre détail étonnant : les balbutiements du curling ! Si les paysans de Brueghel n’utilisent pas encore de balai, l’objet qu’ils poussent apparaît déjà doté de sa poignée caractéristique. Le peintre se fait le précieux témoin de l’apparition de ce jeu de précision consistant à faire glisser une pierre polie sur la glace, plus de deux siècles avant la création du premier club de curling à Édimbourg… et plus de quatre siècles avant sa reconnaissance comme sport olympique !

Henry Raeburn, Le pasteur Robert Walker patinant sur Duddingston Loch

Henry Raeburn, Le pasteur Robert Walker patinant sur Duddingston Loch, 1795

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Huile sur toile • 76,2 × 63,5 cm • Coll. National Galleries of Scotland, Edimbourg • © Bridgeman Images

C’est aussi en Écosse que le patinage acquiert ses lettres de noblesse avec la naissance, vers 1742, du tout premier club de patin : l’Edinburgh Skating Club. La pratique de ce sport et de ses figures gracieuses apparaît alors comme un gage de raffinement et de modernité. En 1782, le peintre américain Gilbert Stuart (1755–1828) fait sensation avec un portrait en pied d’un notable écossais, brossé en pleine séance de glisse à Hyde Park. En 1795, l’artiste écossais Henry Raeburn (1756–1823) saisit un pasteur patinant sur un lac dans une posture dynamique – un tableau rafraîchissant qui deviendra plus tard un emblème des Lumières écossaises !

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Dans les années 1880–1890, alors que les premiers championnats internationaux se profilent, le patinage a le vent en poupe. De Giuseppe de Nittis (1846–1884) à Berthe Morisot (1841–1895) en passant par Jean Béraud (1849–1935), délicieux observateur du Paris mondain de la Belle Époque, une poignée d’impressionnistes et de peintres de genre s’emparent de ce thème qui leur permet de saisir un spectacle éphémère et le mouvement de la vie moderne sur fond de paysage hivernal.

À gauche « Promenade en traineau » de Ender Axel Hjalmar. À droite « La Patineuse » de Giuseppe de Nittis

À gauche « Promenade en traineau » de Ender Axel Hjalmar. À droite « La Patineuse » de Giuseppe de Nittis, XIXe siècle

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Huiles sur toile • 45 x 65cm et 56 x 38 cm • Coll. particulière et Coll. musée des Beaux-Arts, Dunkerque • © Artmedia / Alamy / Hemis. © Bridgeman Images

De son côté, le ski, pourtant très pratiqué en Scandinavie, reste inconnu des autres pays européens jusqu’au XIXe siècle. Ce n’est qu’en 1841, dans le coin d’un tableau du peintre explorateur français François-Auguste Biard inspiré de son expédition en Laponie (Le Pasteur Laestadius instruisant les Lapons, actuellement exposé à la Maison de Victor Hugo à Paris) qu’apparaît la toute première représentation d’un skieur en peinture ! Mais ce détail discret passe inaperçu.

Durant la seconde moitié du XIXe siècle, seuls quelques artistes nordiques s’emparent du sujet. En 1869, le peintre norvégien Knud Bergslien illustre un épisode iconique de l’histoire de son pays, célébré aujourd’hui par plusieurs courses à skis : en 1206, en pleine guerre civile norvégienne, deux Birkebeiners à skis, coiffés de casques viking, franchissent des montagnes escarpées pour mettre à l’abri un bébé, le jeune héritier du trône et futur roi Haakon IV. Une toile désormais conservée au musée du Ski d’Oslo !

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Knud Bergslien, Birkebeiners traversant la montagne avec l’enfant royal

Knud Bergslien, Birkebeiners traversant la montagne avec l’enfant royal, 1869

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Huile sur toile • 95 × 126 cm • Coll. The Ski Museum. Holmenkollen, Oslo

En 1878, à Paris, un Français achète une paire de longues planches de bois au pavillon scandinave de l’Exposition universelle, mais attend dix ans avant de comprendre comment s’en servir. En 1888, le Norvégien Fridtjof Nansen fait une traversée héroïque du Groenland à skis. L’événement fait grand bruit et des clubs commencent à fleurir dans les Alpes. Après un premier concours international en 1907, et les premiers jeux internationaux de neige et de glace en 1924, le ski devient un sport de loisir très apprécié, même s’il faut attendre les années 1930 pour que les premières remontées mécaniques permettent le développement du ski de piste.

Akseli Gallen-Kallela, Akseli et Jorma skiant

Akseli Gallen-Kallela, Akseli et Jorma skiant, 1909

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Huile sur toile • 77 × 100 cm • Coll. particulière • © akg-images

Sa représentation restera longtemps l’apanage des peintres russes et scandinaves, comme le Suédois Johan Tirén (1853–1911) et le Norvégien Axel Ender (1853–1920), qui l’utilisent comme motif nationaliste. D’autres, peintres ou affichistes, exploitent le potentiel graphique de ce sport pour inventer un style moderne. Bousculé par les audaces du fauvisme qu’il a découvert à Paris, le Finlandais Akseli Gallen-Kallela (1865–1931) en tire une composition dynamique faite de surprenants aplats de bleu et de jaune (Akseli et Jorma skiant, 1909). Dans les années 1920–1930, l’Autrichien Alfons Walde (1891–1958) se distingue avec ses pistes encombrées de skieurs stylisés saisis en plein mouvement, alliant contrastes forts et cadrages énergiques. L’art (enfin) secoué par la vitesse et la vigueur du sport !



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