The Last of us Part II : entretien avec Neil Druckmann, créateur et scénariste du jeu


Sorti le 19 juin, “The Last of us Part II” est la dernière création du brillant studio de développement Naughty Dog. Nous avons pu poser quelques questions en amont de sa sortie à Neil Druckmann, Game Director et scénariste du jeu.

Naughty Dog

Après sept ans d’attente, la suite du chef-d’oeuvre vidéoludique The Last of us est enfin sortie le 19 juin dernier. Dans ce second volet absolument magistral, capable d’atteindre des sommets d’émotion, le studio Naughty Dog donne selon nous le meilleur de lui-même. Nous sommes d’ailleurs longuement revenu sur le jeu ici. Si le le titre affiche un score exceptionnel de 95% sur le site Metacritic, il est dans le même temps victime d’un violent Review Bombing de la part de certains joueurs. Nos confrères de jeuxvideo.com ont d’ailleurs consacré un long papier à ce sujet, qu’on vous encourage fortement à lire.

Nous avons eu l’opportunité de faire parvenir quelques questions à Neil Druckmann, Game Director et scénariste du jeu. Nos questions ayant été envoyées en amont de cette polémique et avant la date de sortie du jeu, elles n’en tiennent donc logiquement pas compte.

AlloCiné : Cela fait désormais sept longues années depuis que nous avons laissé les personnages de Joel et Ellie. Un jeu vendu à plus de 17 millions d’exemplaires, qui a profondément marqué tous ceux et celles qui l’ont eu entre les mains. Comment avez-vous gérer cette pression pour sa suite ? Dans quel état d’esprit êtes-vous alors que The Last of us Part II sort ?

Neil Druckmann : La pression est incontestablement là, lorsque vous vous attaquez à créer une suite d’un jeu qui a reçu un tel accueil. Cela dit, ce n’est pas quelque chose de nouveau pour nous; nous avions eu la même pression concernant la licence Uncharted. La grande différence ici est le risque énorme que l’on prend avec les personnages. Vous devez faire en sorte que cette pression ne vous handicape pas ni ne vous arrêtes, pour rester concentré au maximum sur votre vision et ne pas en dévier. Maintenant que le jeu est terminé, on est ravi qu’il soit entre les mains des joueurs, et on va suivre avec attention ce qu’ils vont en dire ou en penser.

Naughty Dog

Aviez-vous déjà des idées précises concernant l’arc narratif de “The Last of us Part II” à la fin du premier jeu ? Ou bien est-il venu plus tard ? Avez-vous eu pas mal d’itérations sur le sujet ?

En fait, le noyau originel de cette histoire est venu peu de temps après la fin du développement de The Last of us, à peu près à l’époque où nous étions en train de créer le DLC “The Last of us : Left Behind”. Chez nous, dans notre manière de fonctionner, l’histoire est considérée comme une matière vivante, ce qui signifie que l’on ne s’arrête jamais d’écrire et de réfléchir dessus, tout au long de la production du jeu. Ce qui signifie que les différents membres de l’équipe peuvent tout à fait pitcher leurs idées, tandis que l’équipe en charge de l’écriture se nourrit des différents retours effectués au fur et à mesure que le jeu prend forme. C’est vraiment un équilibre délicat et difficile, que de marier le Design et l’histoire. Les deux doivent constamment se répondre et se nourrir mutuellement, si l’on veut que les deux fonctionnent.

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Reste-t-il de la place pour un 3e volet ou chapitre “The Last of us” ?

Nous avons créé The Last of us Part II pour être une histoire complète, avec un début, un milieu, et une fin. Je ne suis pas fan des Cliffhangers, parce que je ne sais jamais si je reviendrai un jour sur l’histoire ou les personnages.

Pouvez-vous nous parler de votre travail avec votre co-scénariste, Halley Gross, qui a une solide expérience sur l’écriture et venue des fictions séries ? Au-delà de ça, pensez-vous par exemple que cette collaboration avec des scénaristes venus de la TV devrait se faire plus régulièrement ? De grandes choses peuvent sortir de cette collaboration.

Halley est une incroyable scénariste. Elle a apporté avec elle un large éventail d’expériences et une perspective unique au monde de The Last of us. En même temps, nous avons des sensibilités identiques, ce qui signifie que nous avons pu très rapidement développer une grande confiance réciproque. Nous écrivions nos brouillons de scènes séparément, puis nous échangions nos copies, et réécrivions. Je pense que nous pouvons tout à fait collaborer avec des talents issus d’autre industries, bien sûr, pour autant que cela fasse sens. Ils doivent être quand même familiers avec l’univers des jeux vidéo, et doivent avoir à la base un intérêt ou une volonté organique de travailler sur des jeux vidéo. Il se trouve que Halley est une grande joueuse, ce qui explique aussi pourquoi elle a été capable de saisir aussi rapidement les mécaniques d’écriture propres aux jeux vidéo.

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Vous avez cité le film “Le Parrain, 2e partie” comme une source d’inspiration pour “The Last of us Part II”. Un film que beaucoup considère comme supérieur au premier film de Francis Ford Coppola, qui reste un chef-d’oeuvre. Pourquoi cette référence ?

Au-delà de l’analogie dans le titre, “Part II”, la raison pour laquelle j’évoquait ce film en pensant au jeu est parce qu’il s’agit de l’une des rares suites qui est incontestablement meilleures que l’oeuvre originale. Le Parrain est aussi proche que possible de la perfection. Il a une fin puissante mais discrète. Cependant, sa suite est parvenue à se hisser encore un cran au-dessus. Je voulais que nous adoptions la même approche. Pas en nous répétant, mais en faisant une suite construite sur les solides fondations du premier jeu.

Quelle place joue pour vous la narration visuelle dans un jeu ?

Essentielle. Elle a une part très importante dans le storytelling de nos jeux. Que ce soit à travers les environnements, un symbole narratif, comme par exemple la guitare d’Ellie ou la montre de Joel, pour ne citer que ces quelques exemples. Ou même les subtiles expressions corporelles entre les personnages. Nous faisons tout notre possible pour raconter visuellement une histoire, avant même d’avoir recours aux dialogues.

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Y’at-il des idées (narratives, visuelles, etc…) que vous vouliez développer dans le premier jeu mais que vous n’avez pas pu intégrer pour diverses raisons, et que l’on retrouve dans TLOU 2 ?

En fait, avec The Last of us, nous étions limité d’un point de vue technique avec le hardware de la PS3. Et c’est ce qui a dicté la taille des environnements. Avec The Last of us Part II, nous avons été pleinement capable d’étendre ceux-ci, afin de vous permettre de les explorer bien davantage, et surtout créer une immersion bien plus importante dans les environnements que l’histoire vous amène à explorer et parcourir.

Naughty Dog

L’univers de The Last of us est cruel et violent. J’ai le sentiment que cette suite est toutefois un cran au-dessus en terme de violence. Même si elle n’est jamais gratuite parce que tout a un sens. On se souvient notamment de la polémique qu’elle avait fait naître lorsque des images du jeu avaient été révélées en octobre 2017. Avez-vous eu beaucoup de discussions sur cette approche de la violence avec votre équipe, “qu’est-ce que nous pouvons montrer, jusqu’où pouvons-nous aller” ?

Depuis le premier jeu, nous avons effectivement eu de très nombreuses discussions à ce sujet; à propos du rôle de la violence dans l’univers de The Last of us. Nous voulions qu’elle soit pesante et authentique. Notre but n’est pas de la glamouriser ou la glorifier, pas plus que de se montrer timide et détourner les yeux pour ne pas la voir. Après avoir dit ça, il y a des séquences dans le jeu où la caméra se détourne justement de la brutalité, notamment parce que ce qui se passe autour est plus important. Au bout du compte, c’est l’histoire d’un personnage, et la violence est importante uniquement par rapport à la manière dont elle sert les personnages.

Troy Baker, Ashley Johnson, Shannon Woodward, Jeffrey Pierce, pour n’en citer qu’une poignée, délivrent de formidables performances pour leurs personnages respectifs. Quel est votre process pour le travail avec les comédiens chez Naughty Dog ? Vous avez des idées précises de mise en scène ? Vous les laissez improviser parfois ? Est-ce un travail par étape ?

Le casting est extrêmement important pour le storytelling dans nos jeux. En fait, je dirai même que notre casting fait partie intégrante de notre équipe chargée de développer l’histoire. Avant chaque tournage, nou effectuons une séance de lecture, où les acteurs et les actrices peuvent donner libre cours aux idées qu’ils peuvent avoir sur leurs scènes. Cela peut par exemple passer par le changement de lignes de dialogues; l’inverse est aussi vrai. Une fois que tout est clarifié là-dessus, on met en boîte la scène en question. On arrive toujours sur le plateau de tournage avec un cadre, un plan, comme le choix des placements de caméras. Toutefois, la vraie mise en forme s’effectue avec les acteurs; on les laisse se mouvoir librement sur le plateau, pour essayer d’obtenir quelque chose d’aussi naturel et fluide que possible. Tout au long de ce processus, les acteurs sont encouragés à improviser, à s’approprier le plus possible de l’histoire et de leurs personnages. Bien sûr, toutes les idées qui naissent ne fonctionnent pas, et parfois il est préférable de s’en tenir au script original. Mais cette liberté peut souvent conduire à des échanges plus forts et honnêtes.

Naughty Dog

En parlant de technique, la performance capture permet de faire des choses assez incroyables. Pensez-vous que l’on a atteint une sorte de limite avec cette technique, ou au contraire pensez-vous qu’il reste encore de la place pour pousser encore plus loin son usage ?

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On a vu un énorme bond en avant avec cette technique, à la fois sur la finesse de capture de la performance des acteurs justement, mais aussi sur la capacité de cette technologie à traduire et transformer les datas de ces mêmes captures dans le jeu. Notre credo pour The Last of us Part II était de créer les meilleurs performances jamais vues dans un jeu vidéo. Je pense qu’il reste toujours de la place pour pousser le curseur encore plus loin; d’un point de vue technique et pour le storytelling, nous pouvons encore nous améliorer.

Quelques mots sur l’adaptation de “The Last of us” en série et à venir sur HBO, dont vous êtes le producteur délégué mais aussi le scénariste ?

Nous sommes très chanceux d’avoir pu faire équipe avec Craig MazinCarolyn Strauss et HBO. Nous sommes d’énormes fans de ce qu’ils ont fait sur l’extraordinaire mini-série Chernobyl. Je pense que nous avons une équipe parfaite pour amener du mieux possible The Last of us sur un medium différent. Malheureusement et pour l’heure, je ne peux pas vous en dire plus… Restez aux aguets !

Quelle est ou quelles sont la / les choses dont vous êtes le plus fier concernant The Last of us Part II ?

Nous avons créé une histoire extrêmement complexe. Nous voulions challenger les joueurs, susciter en eux de l’angoisse, de la colère ou de la haine, et voir si nous étions capable de les sortir de ces sentiments. Au bout du compte, notre histoire est celle d’une empathie. L’équipe a relevé ce défi et encore relevé la barre pour les jeux Naughty Dog. J’ai une vraie émotion en repensant à quel point chacun, chacune dans le studio, a pris un soin tout particulier de chaque détail dans le jeu. C’est l’aboutissement de toutes ces choses, ces éléments, qui permettent finalement au joueur d’éprouver ou ressentir une profonde empathie. En regardant le jeu final, j’ai encore du mal à croire que nous ayons réussi.



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