Sous le pinceau de Rubens, la galère de Marie


3 novembre 1600, la reine Marie de Médicis débarque à Marseille pour trouver Henri IV. Les trompettes de la Renommée annoncent la nouvelle à tout le pays. La richissime Florentine avance sur la passerelle, flottant parmi les volutes, l’air un peu perdu. Ce doit être l’émotion. Reine en argent, jambes en coton. Soutenue par un gentilhomme, elle est aussi accompagnée par la grande-duchesse de Toscane et la duchesse de Mantoue. Soieries, broderies, perles, dentelles… Le raffinement de Florence s’avance. Sur le quai, la France s’incline dans un style plus aléatoire : manteau fleurdelysé, manches retroussées, casque à l’antique, jupe et bottines. L’allégorie musclée se tient bras ouverts pour réceptionner la reine déboussolée. Une allégorie de Marseille double l’accueil, main sur le cœur.

De l’autre côté de la passerelle, la galère de Marie coiffée des armoiries Médicis – retentit de tous ses ors. L’embarcation est une sculpture à part entière. Chapiteaux, corniches, linteaux, contreforts… Les boiseries impressionnent, c’est le décor du Palazzo Pitti qui accoste à Marseille. Resté à bord, un chevalier de Malte plastronne dans sa cuirasse noire. Il accompagne sa reine du regard et fait tonner les trompettes de Florence. Tout autour, les membres d’équipage – captifs au crâne rasé – sont à la manœuvre. On hisse les cordages, on jette les amarres. Il y en a un qui regarde par dessus bord comme un vieillard de Tintoret penché sur Suzanne. Il faut bien reconnaître que le spectacle en contrebas vaut le coup d’œil.

Après avoir poussé la galère depuis Livourne, tout un crew mythologique s’affaire pour amarrer la précieuse nef. La manœuvre est compliquée, Rubens a choisi une météo agitée. Trois néréides saisissent les amarres et tente de se fixer à quai. En sage barbu bien musclé, leur père Nérée délivre ses ordres. Neptune stabilise l’embarcation avec chevaux et trident pendant qu’un triton écarlate – ultime trompettiste de la toile – souffle dans sa conque. Malgré la tension, les Néréides semblent détendues. Leurs chairs dansent avec l’écume, dentelle de ces dames. Délicates torsades, elles portent la reine qui défile sur son podium comme la gagnante d’un concours de beauté. Bizarrement, la gagnante a l’air un peu perdu.

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Pierre Paul Rubens, Le Débarquement de Marie de Médicis au port de Marseille, le 3 novembre 1600 (détail)

Pierre Paul Rubens, Le Débarquement de Marie de Médicis au port de Marseille, le 3 novembre 1600 (détail), 1621–1625

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Huile sur toile • 3,94 × 2,95 m • Coll. musée du Louvre, Paris • © Photo Josse / Bridgeman Images.

L’objectif du programme ? Raconter son histoire, quitte à transformer les déboires en morceaux de gloire

Marie de Médicis commande cette peinture à Rubens en 1621. Depuis son débarquement à Marseille, bien des choses se sont passées. Pour bien saisir le contexte, imaginons son journal intime reprenant des faits bien réels : « déc. 1600 – enfin arrivée à Paris. Le Louvre est bien sombre ; sept 1601 – naissance de mon premier, Louis XIII (je ne l’aime pas tant. Gaston sera plus réussi) ; mai 1610 – mon “Vert galant” de mari est assassiné par Ravaillac. Je deviens régente et gouverne avec mes amis florentins ; avril 1617 – Louis XIII a grandi. Il fait tuer mes amis florentins, m’exile à Blois ; févr. 1619 – je monte une armée contre mon fils, à deux reprises. Sans succès ; févr. 1621 : mon cher fils “m’invite” à Paris. Me voici sa pire ennemie, près de lui. »

Scipione Pulzone, Portrait de Marie de Medicis (1575-1642)

Scipione Pulzone, Portrait de Marie de Medicis (1575–1642), 1594

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Huile sur toile • 132,1 × 96,5 cm • Coll. particulière • © Fine Art Images / Bridgeman Images.

Le maître anversois doit flatter la reine-mère sans froisser le roi-fils. Rubens va opérer à grands coups d’allégories et de symboles, artifices baroques ultra efficaces.

À son retour à Paris en 1621, la reine doit redorer son blason, faire oublier les querelles de la mère et du fils. Elle s’attache à la construction de son Palais du Luxembourg. Pour décorer ses appartements, Marie commande à Rubens un cycle de vingt-et-une toiles. L’objectif du programme ? Raconter son histoire, quitte à transformer les déboires en morceaux de gloire. L’exercice est particulier pour le maître anversois qui doit flatter la reine-mère sans froisser le roi-fils. Rubens va opérer à grands coups d’allégories et de symboles, artifices baroques ultra efficaces.

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Tout au long du cycle de Marie de Médicis, l’image exagère et déroule ses fictions sur plusieurs étages. Partout, les personnages historiques sont placés parmi les anges, les dieux et les trompettes. Morceaux choisis : sur La Rencontre du roi et de la reine à Lyon, le couple royal devient le duo Zeus et Héra – pour La Parfaite Réconciliation de la reine et de son fils, tout le monde vole dans les nuages, entre les allégories de la Paix et de la Justice. À côté de ces épisodes, Le Débarquement de la reine à Marseille paraît moins olympien. L’exercice est peut-être moins périlleux aussi. Il s’agit de transformer un instant banal en un moment de gloire.

Pierre Paul Rubens, La Parfaite Réconciliation de la reine et de son fils, après la mort du connétable de Luynes, le 15 décembre 1621

Pierre Paul Rubens, La Parfaite Réconciliation de la reine et de son fils, après la mort du connétable de Luynes, le 15 décembre 1621, 1621–1625

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Huile sur toile • 3,94 × 2,95 m • Coll. musée du Louvre, Paris • © Bridgeman Images.

Rubens va craquer ce trio ennuyeux en inventant une scène mouvementée, tendue, délicate.

Difficile de faire rêver les foules avec un débarquement. L’action est lente, attendue, inconfortable. Rubens va craquer ce trio ennuyeux en inventant une scène mouvementée, tendue, délicate. Des humeurs contradictoires placées à différents endroits de la toile. En haut, sur la passerelle, tout est calme, luxe et volupté florentine. La reine est délicatement portée par les nuages de sa Renommée. En bas, l’embarcation n’est même pas fixée. La mythologie se débat avec les éléments déchaînés. Rubens nous empêche de ronfler. Si la torsade de ses néréides amarre la galère, elle permet surtout d’ancrer l’instant dans nos esprits…

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Mais une bizarrerie persiste. Si tout est si formidable, si épique, pourquoi nous présenter une reine déboussolée ? La fiction de Rubens ne laisserait-elle pas entrevoir autre chose ? Petit rappel historique : ce débarquement est avant tout l’aboutissement d’un contrat de mariage ultra arrangé. La France accueille Marie de Médicis pour profiter d’une dote XXL qui va permettre au pays – bras ouverts, presque à genoux –d’effacer certaines ardoises. Mais lorsque la reine argentée débarque, Henri IV n’est pas là. Aïe. Il y a de quoi être chahutée… Sur la coque de la galère, une caryatide dorée semble se méfier. Cette Abondance sculptée parmi les dorures florentines observe du coin de l’œil cette terre étrangère peut-être pas si sincère.

Le 3 novembre 1600, Henri IV est en Savoie,  avec sa maîtresse Henriette d’Entrague. Re-aïe. Le Vert galant ne verra Marie de Médicis que dans quelques jours… Rubens représentera l’événement avec La Rencontre du roi et de la reine à Lyon. Le couple royal apparaît en duo, Junon (Héra) et Jupiter (Zeus) se tenant la main sous un arc-en-ciel. Paon, foudre, aigle, angelots, trompettes. Tout l’attirail baroque à nouveau convoqué pour une super lune de miel entre le dieu de l’Olympe et sa femme. Quel étrange casting. Héra n’est-elle pas la déesse mille fois cocue par son royal époux ? Dans cette eau-de-rose saumâtre vient se refléter une autre image, produite par Eugène Delacroix, deux-cents ans plus tard. Le romantique reprendra l’une des néréides pour la Mort de Sardanapale (1827). Hasard de la composition, elle jouera cette fois le rôle d’une esclave, transpercée par son roi.

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