Quand le surréalisme s’est exporté au Portugal


Au premier plan, un chien tente de dévorer un bébé qui s’accroche désespérément à la jambe d’une femme… occupée à laisser picorer dans sa main un oiseau qui se tient perché sur sa tête ! Derrière elle, deux personnages enfermés dans un cadre – des marionnettes dans un théâtre miniature ? À droite, un arbre doté d’une grande corne enflammée titille la peau bleue d’un visage géant percé d’une flèche…

Formes organiques étranges, paysage anthropomorphe, ambiance hallucinatoire… Peint en 1939, ce tableau, Scène ouverte, est l’un des plus remarquables du peintre portugais António Dacosta (1914–1990), et l’un des moments forts de l’exposition. La toile partage certaines similitudes avec celles du peintre catalan Salvador Dalí (1904–1989), acclamé dans les années 1930 par les surréalistes parisiens et très marqué par la guerre civile espagnole de 1936–1939, qui lui inspire des visions apocalyptiques traversées par des girafes en feu. De la même façon, Scène ouverte dépeint un monde perdu, désespéré, enfermé dans une réalité absurde, qui ne peut être étranger à la guerre qui commence à déchirer l’Europe, et à la dictature de Salazar (l’Estado Novo) qui règne au Portugal depuis 1933.

Ce n’est pas un hasard si l’aventure du surréalisme portugais commence en 1935, deux ans après la mise en place de ce régime répressif qui, maintenu par la censure et la police secrète, impose une vision antimoderne, nationaliste et conservatrice. Dans ce contexte, les artistes portugais sont en mal de rêve… Et c’est à Paris qu’ils vont chercher leur liberté. Durant son séjour dans la Ville Lumière où il étudie l’art et l’archéologie, le journaliste, peintre et poète António Pedro (1909–1966) vit en contact étroit avec le poète André Breton (1896–1966), chef de file du surréalisme, signe son Manifeste et participe au Salon des Surindépendants de 1935… s’imposant comme la première figure du surréalisme au Portugal. À son retour, il fonde la première galerie d’art moderne de Lisbonne (UP).

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En 1940, la Casa Repe à Lisbonne accueille la première exposition surréaliste du Portugal avec, en vedette, les peintures d’António Pedro et António Dacosta. En 1946, tout s’accélère avec le retour d’exil d’André Breton : dès 1947, les peintres João Moniz Pereira, António Dacosta et Mário Cesariny se rendent à Paris pour demander au Pape du Surréalisme de les aider à constituer un groupe dans leur pays. Naît alors le Groupe surréaliste de Lisbonne, dont font partie, entre autres, António Pedro, José-Augusto França, Marcelino Vespeira et Fernando Azevedo. Les surréalistes portugais s’emparent de différentes formes d’expression du mouvement, qu’il s’agisse de « l’objet trouvé » ou de la fabrication d’objets absurdes, tels que l’Appareil métaphysique de méditation d’António Pedro (1935) en bois, plastique et laiton, ou encore de la fameuse pratique du « cadavre exquis ». Mais des dissensions internes poussent Mário Cesariny (1923–2006) à partir et à créer, dès 1948, un deuxième groupe, Les Surréalistes (Surrealistas), ou Groupe Surréaliste Dissident (Grupo Surrealista Dissidente) qui accueille notamment Cruzeiro Seixas, Risques Pereira, Pedro Oom et António Maria Lisboa.

António Dacosta, Il n’y a pas de oui sans non – L’Ermite [Não Há Sim Sem Não – O Eremita]

António Dacosta, Il n’y a pas de oui sans non – L’Ermite [Não Há Sim Sem Não – O Eremita], 1985

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Peinture acrylique sur toile • 97 × 130,5 cm • Lisbonne CAM – Fundação Calouste Gulbenkian, inv. 86P128 • Photographe : José Manuel Costa Alves / © ADAGP, Paris 2022

À partir de 1947, António Dacosta s’installe à Paris et assiste aux séances de Breton au Café de la place Blanche. Mais il va progressivement se désintéresser du surréalisme, puis abandonner la peinture pendant trente ans. Peut-être avait-il pressenti l’essoufflement du mouvement, mis en difficulté par la personnalité de Breton, connu pour son intransigeance et son goût pour les excommunications ! Assez mal traités par leurs homologues français, les surréalistes portugais assistent aux expulsions tonitruantes du théoricien français, qui touchent également leurs compatriotes et le peintre chilien Roberto Matta. Des tensions qui participent peu à peu à l’extinction du surréalisme portugais au début des années 1950, ouvrant la porte à de nouvelles aventures !

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Autour de l’exposition

Pour aller plus loin :

À lire : le catalogue trilingue Modernités Portugaises • Éditions In Fine • 32,00 € • en vente à la boutique et en ligne.

Les dimanches de l’art :
Tous les dimanches, des conférences de 40 minutes à 14h30 et 15h30 avec présentation des expositions pour les familles.
Plein tarif 17 €, tarif réduit 13 €, gratuit pour les moins de 18 ans
à l’auditorium du Centre éducatif et culturel attenant à la Maison Caillebotte (CEC), gratuit sur inscription.

Fernando Pessoa par Patrick Quillier, premier traducteur en français de Pessoa : le samedi 1er octobre 2022 à 15h00 à la Maison Caillebotte.

« Art et Littérature – Portugal » par Pierre Leglise-Costa : le samedi 8 octobre 2022 à 15h00 à la Maison Caillebotte.

Projection du film de Christophe Fonseca sur Amadeo de Souza Cardoso : le samedi 24 septembre 2022 au Cinéma Paradiso (2 Rue Marc Sangnier, 91330, Yerres).

Concert de fado par la chanteuse lisboète Monica Carneiro da Cunha et ses deux guitaristes : le dimanche 18 septembre de 16h00 à 17h30 dans le parc de la Maison Caillebotte.





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