Posada, le graveur mexicain qui a révolutionné l’imagerie populaire


« Posada fut si grand qu’un jour, peut-être, on oubliera son nom. » Ainsi prophétisait son illustre compatriote Diego Rivera. Pourtant, le muraliste aura travaillé à édifier la légende de ce graveur de génie qu’il voyait « aussi grand que Goya ou que Jacques Callot ». La légende est nommée José Guadalupe Posada. Il naît le 2 février 1852 à Aguascalientes, au nord de Mexico. À douze ans déjà, alors qu’il est supposé surveiller les élèves de son frère instituteur, le jeune prodige passe tout son temps à dessiner… Une vocation précoce qui le mène à l’Académie des Arts & Métiers puis dans un atelier de gravure et de lithographie, où il produit des estampes religieuses, des cartes de visite, des copies de tableaux célèbres – et dès 1871, une illustration pour un pamphlet politique intitulé El Jicote, caricaturant le gouverneur à la manière des portraits de Daumier. L’année suivante, il part fonder avec son patron José Trinidad Pedroza un nouvel atelier à León (plus au sud, vers Mexico). Il a seulement vingt ans !

José Guadalupe Posada et son fils

José Guadalupe Posada et son fils, 1896

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Photographie • Coll. INAH / Fototeca nacional / archivo Casasola • © Musée de l’Image

Mais le 18 juin 1888, une catastrophe va tout bouleverser : la ville de León connaît une inondation meurtrière qui emporte un millier d’âmes parmi lesquelles plusieurs membres de sa belle-famille (sa femme les voit périr sous son balcon, impuissante) ainsi que des milliers de bâtisses, dont son atelier. Les lendemains, l’artiste illustre le tragique événement dans la revue La Patria ilustrada, éditée à Mexico par Ireneo Paz (le grand-père du prix Nobel de littérature Octavio Paz). L’occasion de partir avec sa femme et son fils pour la capitale, et de rencontrer cet éditeur qui lui réserve en octobre 1888 un accueil des plus chaleureux : « (…) Nous devinons en Posada le plus grand caricaturiste, le plus grand dessinateur du Mexique. Nous espérons publier prochainement un chef-d’œuvre signé de son nom, un dessin qui obtiendra les éloges de la presse et de l’intelligentsia. » Le destin du graveur est en marche, là où tout se développe à grande vitesse, les réseaux de chemins de fer, le téléphone, l’éclairage public, les grands magasins… Et surtout là où fleurissent les imprimeurs et les éditeurs cotés.

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De la poésie au comique en passant par des prières

Pourtant, il choisira pendant plus de vingt ans de répondre (presque exclusivement) aux commandes d’un seul homme : Antonio Vanegas Arroyo (1852–1917), fondateur d’une maison d’édition populaire. Ses moyens sont assez faibles, le papier est de mauvaise qualité, le lectorat se compose essentiellement d’artisans et d’ouvriers, et les textes varient de la poésie au comique en passant par des prières. Mais Posada y trouve un vaste terrain de jeu. Sur les petits livrets ou feuilles volantes relatant des faits divers vendus par colportage, ses illustrations font mouche.

José Guadalupe Posada, El Clown Mexicano N°4

José Guadalupe Posada, El Clown Mexicano N°4

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Gravure sur plomb • coll. Mercurio López Casillas, Mexico / éd. Vanegas Arroyo • © Musée de l’Image

Les compositions sont saturées et colorées, ornées d’inventives typographies et de motifs originaux. On y retrouve aussi cette ligne affirmée et ces détails, difficiles à obtenir en gravure au burin – il optera plus tard pour la zincographie, plus efficace. Tremblements de terre, cartes d’amour, crimes de bas étage, œuvres religieuses, tribunes contre les révolutionnaires ou au contraire, contre le gouvernement jugé autoritaire de Porfirio Díaz… Quel que soit le sujet, Posada le représente avec panache et singularité, indiquant son nom sur la moindre gravure – il en aurait ainsi effectuées plus de 10 000 ! Aujourd’hui, c’est grâce au collectionneur Mercurio Lopez Casillas que ces images tantôt terrifiantes tantôt burlesques peuvent être admirées au musée de l’image d’Épinal. Des œuvres sur papier difficiles à conserver.

Posada préfère s’éloigner de toute morbidité, se moquer allègrement des classes sociales en animant les carcasses, en les faisant danser et rire à gorge déployée…

« La mort est démocratique, parce qu’après tout, blanc, noir, riche ou pauvre, tous les gens finissent par devenir des calaveras. » José Guadalupe Posada fait ici référence aux représentations de squelettes parfois accompagnées de textes qui décrivent une personnalité sous sa forme décédée : un genre populaire au Mexique, largement diffusé le 2 novembre, date du Jour des morts. Dans l’atelier de l’éditeur Vanegas Arroyo, le graveur Manuel Manilla s’essayait déjà avec talent à l’art des calaveras, ce qui n’a pas manqué d’influencer son talentueux successeur… Mais lui, Posada, préfère s’éloigner de toute morbidité, se moquer allègrement des classes sociales en animant les carcasses, en les faisant danser ou jouer de la musique, et rire à gorge déployée – comme sur cette gravure illustrant un purgatoire artistique : peintres, musiciens et graveurs s’y agitent gaiement, plongés dans les flammes tortueuses de l’enfer. Cette imagerie mexicaine aujourd’hui extraordinairement populaire (en témoigne le film d’animation des studios Disney, Coco, sorti en 2017), c’est Posada qui lui a donné naissance, au tout début du XXe siècle !

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José Guadalupe Posada, Calavera Catrina, Journal de l’époque révolutionnaire

José Guadalupe Posada, Calavera Catrina, Journal de l’époque révolutionnaire, 1913

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© Veltresnas~commonswiki

Sa calavera la plus célèbre ? La « Catrina », crâne féminin paré d’un chapeau immense à plumes et à fleurs : c’est une garbancera, femme d’origine indigène qui tente d’imiter la haute société européenne. Posada la ridiculise, les orbites écarquillées et les dents en avant sous sa coiffe grandiloquente ! Une gravure publiée un an après sa commande par Vanegas Arroyo en 1912 – Posada décédant le 20 janvier 1913, à l’âge de soixante et un an, sûrement à cause d’une consommation excessive de tequila… « Il buvait, buvait, buvait jusqu’à finir tous les fûts de tequila, ce qui lui prenait un mois, un mois et demi. Pendant une quinzaine de jours, après ça, il ne pouvait plus travailler : ses mains tremblaient », raconte l’un des fils de l’éditeur. Une fin désolante pour l’artiste qui meurt dans l’indifférence totale, jeté dans la fosse commune…

Lorsqu’il redécouvre le graveur, 27 ans après sa mort, Diego Rivera parvient, grâce à son statut d’artiste célèbre, à l’édifier en légende auprès du cinéaste russe Sergueï Eisenstein ou d’André Breton. Ultime consécration : sur sa fresque Songe d’un dimanche après-midi dans les jardins de l’Alameda en 1947, il se représente enfant, tenant la main de la Catrina– qu’il peint le rouge à lèvres dégoulinant, vêtue d’une longue robe et d’un boa. À droite, il figure José Guadalupe Posada, la main posée sur celle de sa squelettique création, le regard fuyant.

Diego Rivera, Sueño de una tarde dominical en la Alameda Central (détail du centre)

Diego Rivera, Sueño de una tarde dominical en la Alameda Central (détail du centre), 1947–1948

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Fresque murale • Coll. museo mural Diego Rivera, Mexico. • © Bridgeman Images.

Quoi qu’il en soit, Rivera livre ici un tendre hommage à l’inventivité débordante de Posada. Christelle Rochette, directrice du musée de l’Image, nous le confirme : « Il n’y avait pas d’équivalent en France et en Europe à cette époque dans l’imagerie populaire. » Aucun équivalent dans le traitement des couleurs et des motifs, dans le dynamisme des scènes et le ravissement qu’elles procurent à l’œil. Ni, bien sûr, dans la manière de représenter la mort, divertissante et imaginative au possible, reflet d’une culture célébrant magistralement la vie…

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Posada, génie de la gravure

Du 5 février 2022 au 18 septembre 2022

museedelimage.fr



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