Petite histoire des plus gros canulars de l’art


1. Les avant-gardes tournées en bourrique

1er avril 1910, dans la salle 22 du Salon des indépendants, les amateurs examinent un paysage bariolé de couleurs vives signé par un mystérieux Boronali : Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique. Les plus érudits évoquent un parallèle avec Impression, soleil levant, la toile de Claude Monet qui a donné naissance à l’impressionnisme en 1874. Le collectionneur André Maillos débourse même 20 louis d’or (environ 1 300 euros) pour l’œuvre. Le même jour, le peintre inconnu a signé un « manifeste de l’excessivisme » qui appelle à ravager « les musées absurdes, les routines infâmes » !  C’est le journal Le Matin qui révèlera la supercherie, photos et huissier de justice à l’appui : la toile est le chef-d’œuvre… d’un âne. Le 8 mars précédent, au cabaret le Lapin Agile, l’écrivain Roland Dorgelès avait demandé au patron, le « Père Frédé » de lui confier Lolo. Devant maître Brionne, l’animal avait badigeonné une toile à l’aide de sa queue prolongée d’un pinceau. Le nom de Boronali fut choisi en référence à l’âne Aliboron de Jean de La Fontaine, dont il est une anagramme. Le but ? Ridiculiser les provocations des avant-gardes et le snobisme de l’art. Roland Dorgelès reversera les 20 louis d’or récoltés à l’orphelinat des Arts.

L’âne Lolo peignant au cabaret du Lapin Agile pour le Salon des indépendants le tableau « Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique », signé Boronali. À gauche, masqué, Roland Dorgelès qui lança la supercherie. À droite, le « père Frédé »

L’âne Lolo peignant au cabaret du Lapin Agile pour le Salon des indépendants le tableau « Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique », signé Boronali. À gauche, masqué, Roland Dorgelès qui lança la supercherie. À droite, le « père Frédé », Photo parue en avril 1910

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2. Un conte de fées suspect

Aujourd’hui, les clichés paraissent clairement truqués. Mais dans l’Angleterre des années 1920, rien n’était moins sûr. Elsie Wright et Frances Griffiths sont cousines et ont pour habitude d’aller jouer près d’un ruisseau. Lorsqu’elles rentrent chez elles, trempées, elles prétendent que c’est parce qu’elles sont « allées voir les fées ». Face à l’incrédulité des adultes, elles réalisent ces clichés, dignes d’une peinture de Singer Sergant, grâce à l’appareil photo du père d’Elsie. Ils sont alors montrés à la Société britannique de Théosophie, qui s’en sert aussitôt comme support pour prouver l’existence de phénomènes paranormaux. Les photos font le tour du monde, Conan Doyle écrira même un livre sur ce qui ne tarde pas à devenir « l’affaire des fées de Cottingley » ! Il faudra finalement attendre 1983 pour qu’Elsie Wright avoue la supercherie, sans pour autant nier l’existence des fées…

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Elsie Wright et Frances Griffiths, Une fée offre un bouquet de jacinthes des bois à Elsie. Série Les Fées de Cottingley

Elsie Wright et Frances Griffiths, Une fée offre un bouquet de jacinthes des bois à Elsie. Série Les Fées de Cottingley, 19 août 1920

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3. Quand Modigliani prend l’eau

La légende raconte qu’Amedeo Modigliani aurait séjourné dans la petite ville italienne de Livourne en 1909, où il aurait réalisé trois sculptures avec l’ambition de les montrer au café Bardi. Mais, visiblement, elle n’étaient pas du goût de tout le monde… Las des moqueries, Amedeo Modigliani aurait alors jeté ses œuvres dans le canal non loin du café. En 1984, alors que l’exposition du centenaire de l’artiste se prépare, joie et stupéfaction ! On retrouve trois des fameuses sculptures, jusque-là englouties à proximité du café. Jeanne, la fille du peintre, est alors convoquée sur place pour authentifier les œuvres, mais celle-ci décède durant le voyage… Qu’importe ! Les petites statuettes sont attribuées (un peu vite) à Amedeo Modigliani. Deux jours plus tard, coup de théâtre ! Deux étudiants, ainsi qu’un artiste local, avouent être à l’origine du canular, ou plutôt de l’« opération esthético-artistique », selon les mots de ce dernier. N’est pas Amedeo Modigliani qui veut !

Le Port de Livourne où Modigliani aurait jeté trois sculptures en 1909

Le Port de Livourne où Modigliani aurait jeté trois sculptures en 1909

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4. Les vraies-fausses histoires de Joan Fontcuberta

Joan Fontcuberta, “Spoutnik”, Portrait officiel du pilote-cosmonaute Iván Istochnikov

Joan Fontcuberta, “Spoutnik”, Portrait officiel du pilote-cosmonaute Iván Istochnikov, 1968

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Joan Fontcuberta est un maître de l’illusion. Ce fils de publicitaire ayant connu l’Espagne franquiste crée des pièges visuels qui ont plus d’une fois trompé des journalistes et même des autorités politiques ! En 1985, il produit une série de photographies présentant d’étranges animaux et fait croire à la découvertes d’archives d’un mystérieux scientifique, qu’il présente au public selon des dispositifs muséographiques propres aux institutions scientifiques. Dans un esprit toujours plus loufoque, il narre – photos (hilarantes) à l’appui – l’histoire d’un cosmonaute soviétique disparu dans l’espace… Un certain Iván Istochnikov, soit « Joan Fontcuberta » dans la langue de Léon Tolstoï ! Le canular prend des proportions telles que les autorités russes réagiront publiquement. L’artiste jubile. Son objectif ? Jouer avec le contexte de monstration des images pour faire douter du discours des institutions.

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5. La bible de l’art félin

Couverture du « Mystère des chats peintres » de Heather Busch et Burton Silver

Couverture du « Mystère des chats peintres » de Heather Busch et Burton Silver, 1994

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« Ce livre aimerait inciter ses lecteurs à se pencher attentivement sur les traces de litières pour y déceler quelque intention plastique (…) ». Cette déclaration est formulée par Heather Busch et Burton Silver en préface d’un livre culte : Le Mystère des chats peintres. Théorie de l’esthétique féline, paru en français en 1994 chez Taschen. On peut y voir de spectaculaires photographies de chats peinturlurant, tels Jackson Pollock ou Hermann Nitsch, de grandes surface avec leurs pattes, ou posant fièrement devant leur œuvre. Un vrai manuel d’histoire de l’art félin, qui compte ses maîtres et ses courants artistiques : le néo-synthétisme, le trans-expressionnisme, le fragmentisme essentialiste… La patte des avant-gardistes ? Les stores ou canapés magnifiquement éventrés mais aussi des installations de pelotes de laine. Si les auteurs ne se sont jamais clairement exprimés sur le sujet, ce livre a tout d’un joli canular (contrairement aux singes et aux éléphants, le chat ne sait pas peindre), une parodie de la critique d’art étayée par de multiples photos, légendes (« On pense que cette œuvre s’inspire des Iris de Van Gogh ») et analyses d’experts (Andy Goldsworthy ou Ann Hindry !?)… Une petite merveille !

« Charlie qui vit à Sidney, Australie, exécute toutes ses peintures sur le réfrigérateur dont la surface lisse lui permet d’appliquer rapidement ses couleurs et d’obtenir, par conséquent, des œuvres d’une spontanéité extrêmement vive. »

« Charlie qui vit à Sidney, Australie, exécute toutes ses peintures sur le réfrigérateur dont la surface lisse lui permet d’appliquer rapidement ses couleurs et d’obtenir, par conséquent, des œuvres d’une spontanéité extrêmement vive. »

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6. La surprise-party de Maurizio Cattelan

Un des plus beaux canulars de l’art contemporain ! Et c’est signé Maurizio Cattelan, le roi de la bonne blague et des coups médiatiques. Nous sommes en 2001. En plein vernissage de la Biennale de Venise conçue par Harald Szeemann, commissaire d’exposition de renom disparu en 2005, Maurizio Cattelan réveille à l’aube 150 des grands pontes de l’art, méga-conservateurs et giga-collectionneurs. Bien sûr, tout le monde a en tête la réputation de l’artiste. Qu’allait-il donc arriver cette fois-ci ? Direction le tarmac de la Sérénissime, où toute la joyeuse troupe embarque vers Palerme. Sur les collines de la ville, au cœur de sa plus belle décharge publique, le plasticien a implanté un fac-similé des fameuses lettres « Hollywood ». Soleil de plomb pour une escapade aussi improbable qu’odorante : voilà la crème de l’art rassemblée pour un pique-nique nappé de blanc, invitée à se mêler aux ouvriers du site autour d’un verre…

Maurizio Cattelan, Hollywood

Maurizio Cattelan, Hollywood, 2001

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Courtesy Maurizio Cattelan’s Archives – Photo Attilio Maranzano

7. L’art de se faire « bankser »

Génie de l’art ou maître du canular ? Sûrement un peu des deux. Banksy, l’artiste qui cultive l’anonymat et fomente régulièrement de magistraux coups d’éclat, brouille les pistes depuis des années… On se souvient de ses tableaux vendus incognito à Central Park pour 60 euros pièce sur un petit stand de rue. Plus récemment, l’autodestruction surprise de son Girl with balloon, tout juste vendu chez Sotheby’s pour 1,2 million d’euros, a été qualifiée par certains de plus gros canular de l’histoire de l’art. Mais ce qui demeure aujourd’hui peut-être une de ses plus belles supercheries est le documentaire (ou fauxcumentaire ?) Exit through the giftshop, où l’on suit le Français, Thierry Guetta alias Mr. Brainwash. Sauf que le héros est un zozo sans talent qui connaît néanmoins un succès fulgurant. Le film prend alors des allures de farce moquant les travers du monde de l’art. Mr. Brainwash, artiste réel qui vend et expose encore son travail, serait-il une pure invention de Banksy ? Voire un avatar ?

Banksy dans « Exit through the gift shop – Faites le mur! »

Banksy dans « Exit through the gift shop – Faites le mur! », 2010

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© Paranoid Pictures / The Kobal Collection / Aurimages N/A



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