Paula Rego, Helena Almeida, Lourdes Castro… Une kyrielle de fabuleuses artistes portugaises à voir à Tours


1. Quelques plasticiennes portugaises majeures…

Déjà, commençons par citer les quatre artistes les plus célèbres du parcours, celles qui jouissent déjà – notamment en France – d’une notoriété établie. De Maria Helena Vieira Da Silva (1908–1992) sont bien connues les compositions en mosaïques, paysages difractés jusqu’à l’abstraction. Ici, quelques petites toiles sont réunies, d’un style figuratif plus rare et d’une modestie qui touche au cœur, telle que cette Échelle (1935) en minuscule échappée. À deux pas d’elle, on reconnaît au premier coup d’œil Paula Rego (née en 1935, elle a fui à l’adolescence le Portugal de Salazar pour l’Angleterre) et ses compositions singulières et narratives, où le corps tient une place de premier choix, comme suspendu dans une pose de poupée. Ensuite, c’est Helena Almeida (née en 1934) qu’il nous plaît de revoir, elle dont la rétrospective au Jeu de Paume en 2016 nous avait fait découvrir toute la malice plastique et la discrète force politique. Enfin, Joana Vasconcelos (née en 1971) apparaît avec Brush me (1999), sculpture domestique et absurde, qui dit tout son dialogue formel avec les objets manufacturés.

2. Mily Possoz, la mièvrerie pour alibi

Mily Possoz, Sans titre

Mily Possoz, Sans titre, SD

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© Mily Possoz/ Fundação Calouste Gulbenkian

On les retrouverait volontiers place du Tertre, au milieu des peintres du dimanche de la butte Montmartre : les dessins de Mily Possoz (1888–1968) sont à la fois mièvres et sucrés, paresseux et précieux. Et pourtant ils nous plaisent, nous intriguent. Fille d’un couple belge installé à Lisbonne, Mily Possoz a grandi en petite fille cultivée, apprenant le piano et la peinture. À 18 ans, elle est comme bien des artistes du XIXe siècle européen à Paris, s’appliquant sur les bancs peu confortables de la Grande Chaumière ; elle étudie ensuite à Düsseldorf, mais revient vite en France, où elle se démarque en pratiquant la gravure, illustrant le poète Valéry Larbaud. Elle expose aux côtés de Matisse, Dufy, Van Dongen. Grande amie de Foujita, elle a en commun avec lui ce trait fin, délicat à l’extrême, ces ombres vaporeuses. Son sujet favori ? Les femmes. Assise sur un banc en train de lire, posant un éventail à la main, conversant sous de fantastiques chapeaux, la main se baladant dans le pelage d’un sage toutou… Quant aux hommes, ils occupent dans ses œuvres une place bien moins importante que les chats, qu’elle aime à représenter en mignonnes bestioles. Ainsi on devine, dans cette apparente douceur de salon de thé, une patte amoureuse des femmes, prête à les défendre coûte que coûte.

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3. La disparue : hommage à Lourdes Castro

Lourdes Castro, Sombras à volta de um centro (Malmequeres)

Lourdes Castro, Sombras à volta de um centro (Malmequeres), 1980

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lithographie • © Lourdes Castro / photo © Filipe Braga, 2021

Morte le 8 janvier dernier, Lourdes Castro (1930–2022) a traversé le siècle en artiste de l’ombre et de l’absence, qu’elle a explorées de mille et une manières. Sa carrière débute à Lisbonne, où elle suit les cours de l’école des Beaux-Arts, et se confirme à Paris, où, en 1958, elle fonde avec cinq autres artistes portugais le magazine KWY – trois lettres absentes de l’alphabet portugais. Au début des années 60, elle découvre ce qui fera son succès : la capture d’ombre. Dans le parcours, on s’arrête devant quelques très beaux dessins de bouquets. Pour les dessiner, l’artiste a placé le vase sur la feuille et immortalisé les contours des feuilles et des fleurs prises dans la lumière. Elle découpe également des silhouettes dans du plexiglas, brode sur des draps le dessin minimaliste de personnages, d’autant plus visibles qu’ils sont absents. Ce travail, décliné sur différents matériaux, évoque la fragilité de la vie, sa trace si légère. Et trouble infiniment.

4. Gabriela Albergaria, la nature en tronçons

L’installation ressemble à un jeu de poupées gigognes. Pour son Arbre coupé en cubes et disposé en ligne (2019–2020), Gabriela Albergaria (née en 1965) a aligné des cubes de bois brut, du plus petit au plus gros. Cette œuvre un peu ludique et très critique en dit long sur le regard sévère que pose l’artiste sur la surexploitation actuelle des ressources naturelles, et notamment des forêts, au profit d’objets lisses, où la nature n’existe plus que sous une forme étouffée. Actuellement installée en Belgique, l’artiste a parcouru le monde et aime à faire se confronter des éléments naturels avec de rigoureux protocoles. Comme pour Soquence 358 (2019–2020) : une photographie de sous-bois couplée à un dessin, dont on suppose que celui-ci représente le bout du paysage absent… « L’art comme une possibilité de réparer le monde », dit à son sujet le critique Fabio Cypriano : l’ambition est belle.

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Gabriela Albergaria, Árvore cortada em cubos e montada em linha

Gabriela Albergaria, Árvore cortada em cubos e montada em linha, 2019–2020

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Bois • 49 × 847 × 49 cm • Courtesy de l’artiste et Galeria Vera Cortês/photo António Jorge Silva

5. Rosa Carvalho : mais où est donc passée madame Récamier ?

Il fallait y penser. Née en 1952 à Lisbonne, Rosa Carvalho offre au parcours son œuvre la plus féministe, la plus drôle aussi peut-être – à moins que le rire ne soit jaune. Excellente peintre, l’artiste a repris de célèbres portraits féminins de l’histoire de l’art occidental, comme Le Portrait de madame Récamier (1800) de Jacques-Louis David, et a tout simplement enlevé les femmes. Ne reste qu’une méridienne vide, des coussins moelleux et dodus aux draps plissés – puisque L’Odalisque blonde (1752) de Boucher a elle aussi déserté… Si l’objet chéri du peintre et de ses regardeurs est parti (la nudité féminine offerte sensuellement au regard), son odeur est restée. Tout respire le féminin fantasmé, l’alanguissement : les accessoires de l’univers domestique sont encore là, comme si la porte venait de claquer. On aime à y voir un modèle parti se rebeller, un centre vide renvoyant à la peintre elle-même, tel un miroir du regard. Bref, une grande idée.

Rosa Carvalho, L’Odalisque blonde

Rosa Carvalho, L’Odalisque blonde, 1992

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Huile sur toile • 140×180 Cm • Collection particulière • © Rosa Carvalho, 2021 /pho© Laura C.C. / Paulo Cintra / 2020



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