L’odyssée fantastique de l’art à la conquête de l’espace


Un musée sur la Lune ? L’idée peut paraître folle… Elle n’est pourtant pas nouvelle, elle a même plus de 50 ans ! En 1969, Forrest Myers, un artiste américain, décide d’envoyer dans l’espace une plaque de céramique gravée de six œuvres contemporaines – signées Robert Rauschenberg, David Novos, John Chamberlain, Claes Oldenburg, Andy Warhol et lui-même. L’objectif : créer un musée sur la lune ! L’homme tente par tous les moyens de faire valider son projet à la NASA, qui l’ignore… Qu’importe, porté par son idée folle, il s’entoure malgré tout de l’équipe scientifique de Fred Waldhauer, ingénieur et fondateur de EAT (Experiments in Art and Technology), un organisme visant à fédérer le monde de l’art avec celui des sciences et de l’industrie. À sa demande, ce dernier fabrique la précieuse pièce en céramique qui aurait ensuite été fixée clandestinement sur un pied du module d’alunissage de la mission Apollo 12, qui a lieu le 12 novembre 1969… Ainsi, le Moon Museum serait-il la première représentation de l’art terrestre sur la Lune !

Andy Warhol, Claes Oldenburg, David Novros, Forrest Myer, Robert Rauschenberg, John Chamberlain, The Moon Museum

Andy Warhol, Claes Oldenburg, David Novros, Forrest Myer, Robert Rauschenberg, John Chamberlain, The Moon Museum, 1969

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1,4 × 1,9 cm • Museum of Modern Art, New-York • © 2022. Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence

L’ambition n’est plus d’importer dans l’espace des œuvres imaginées sur Terre, mais de faire du cosmos une partie prenante de l’œuvre.

Si l’existence du Moon Museum n’est pas attestée, une chose est sûre : Forrest Myers a ouvert une voie à d’autres artistes. Deux ans après le Moon Museum, l’équipage d’Apollo 15 embarque une œuvre de l’artiste belge Paul Van Hoeydonck ; une minuscule sculpture en aluminium figurant un astronaute en combinaison. L’œuvre, intitulée Fallen Astronaut, est déposée sur la Lune en 1971 et rend hommage aux cosmonautes décédés lors de l’exploration spatiale. Près de dix ans plus tard, l’aventure artistique dans l’espace prend un tournant scientifique lorsque l’artiste américain Ellery Kurtz envoie à bord de la navette Columbia quatre tableaux semi-abstraits, inspirés des panneaux d’affichage publicitaire. L’objectif de cette expérience supervisée par la NASA ? Analyser la façon dont les pigments de peinture résistent aux conditions extrêmes, tout là-haut dans les étoiles…

Paul Van Hoeydonck, Fallen Astronaut

Paul Van Hoeydonck, Fallen Astronaut, 1971

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Courtesy Paul Van Hoeydonck

Avec l’artiste israélien Ezra Orion, la conquête artistique du ciel passe un nouveau cap. En 1987, il imagine une installation monumentale en collaboration avec l’agence spatiale israélienne et le musée d’Israël de Jérusalem : Inter-Galactic Sculpture, un ensemble de trois lasers surpuissants dirigés vers la voie lactée ! L’ambition ici n’est plus d’importer dans l’espace des œuvres imaginées et réalisées sur Terre, mais bien de faire du cosmos une partie prenante de l’œuvre, autrement dit un médium à part entière.

Un autre tournant est marqué en 1995, cette fois avec la première exposition collective organisée dans l’espace. Tout commence par un appel à projets lancé conjointement par la OURS foundation et l’agence spatiale européenne, à l’issue duquel ont été sélectionnées 20 œuvres d’artistes internationaux, sur le thème « Space and Humanity ». Seules contraintes, le format (les œuvres devaient mesurer 21 × 30 centimètres) et les matériaux (pas de produits dangereux, toxiques ou inflammables). Les travaux, embarqués par la suite à bord de la station MIR lors de la mission EUROMIR 95, ont ainsi donné lieu à l’exposition « Ars Ad Astra ». Plus improbable encore, les membres de la mission ont, à cette occasion, décerné un prix à l’un des artistes – en l’occurrence Elisabeth Carroll-Smith – lors d’une cérémonie retransmise en direct ! Soit le premier prix d’art contemporain spatial…

Damien Hirst, premier artiste martien

Au début des années 2000, le planétologue britannique Colin Pillinger travaille à la conception de Beagle 2, un petit engin de l’agence spatiale européenne de type atterrisseur, censé partir pour une mission de la plus haute importance : chercher des traces de vie sur Mars. Le brillant scientifique propose alors à l’artiste Damien Hirst d’utiliser ses fameux pois de couleur comme une sorte de carte d’étalonnage, placée sur l’appareil ! Celui-ci est envoyé dans l’espace en mars 2003 à bord de Mars Express. Mais le jour de son « amarsissage » le 25 décembre, Beagle 2 ne répond plus ! S’est-il écrasé ? A-t-il disparu au fin fond de l’univers ? On pense avoir perdu définitivement sa trace… Mais c’était sans compter un coup de théâtre survenu dix ans plus tard ! En 2015, Beagle 2 est repéré par la caméra HiRISE de la sonde Mars Reconnaissance Orbiter, qui, depuis 2005, cartographie notre voisine. C’est officiel, Damien Hirst devient le premier artiste à avoir envoyé une œuvre sur la planète Mars !

Damien Hirst, Beagle 2

Damien Hirst, Beagle 2, 2003

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Courtesy Damien Hirst / photo DR

En 2015, l’une des œuvres d’Invader intitulée Space 2 embarque à bord du vaisseau spatial européen ATV-5, direction la station spatiale internationale.

Dans cette conquête artistique de l’univers, la France n’est pas en reste. Le street artist français Invader, après avoir envahi les murs du monde entier avec ses célèbres mosaïques pixellisées, inspirées du jeu vidéo Space Invader, est lui aussi parti à la conquête de l’univers. En 2015, l’une de ses œuvres pixellisées intitulée Space 2 [ill. en une] embarque à bord du vaisseau spatial européen ATV-5, direction la station spatiale internationale (ISS) ! Pendant de longs mois, la voilà qui flotte en apesanteur au milieu de l’équipage… Avant d’être définitivement fixée au sein du module européen Colombus par la spationaute italienne Samantha Cristoforetti, à l’aide d’un simple point de colle… Il fallait y penser.

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Albert Einstein et Georges Lemaître

Albert Einstein et Georges Lemaître, 1933

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Collection University Archives KU Leuven • © The New York Times

Retour sur Terre où jamais, sans doute, l’art et l’astronomie n’ont autant été en symbiose ! Ces dernières décennies ont en effet vu se multiplier les événements mêlant les deux domaines, que décidément rien n’oppose. Dernier exemple en date, le festival BOUM ! à Louvain, en Belgique. L’histoire est largement méconnue et pourtant : c’est dans cette petite ville universitaire flamande qu’a été initiée, en 1931, par George Lemaître, astronome, professeur à l’université et prêtre, la théorie du big bang ! Jusqu’au 30 janvier, Louvain accueille ainsi plusieurs expositions (dont la remarquable « Imaginer l’univers » au M Leuven, qui regorge de trésors autour de la représentation de l’univers de l’Antiquité au XIXe siècle), d’événements et de circuits de visites commémorant ce scientifique méconnu.

L’observatoire de l’Espace du Cnes : une exception française

Faire dialoguer les arts et l’astronomie, créer des rencontres inopinées, expérimenter sans cesse : voilà depuis vingt ans les missions de l’Observatoire de l’Espace du Cnes, véritable « laboratoire de création », tout entier dédié à la valorisation de l’histoire de la conquête spatiale. Une exception française, puisqu’il s’agit de la seule agence spatiale au monde à accueillir des artistes contemporains (plasticiens, musiciens, auteurs…) en résidence ! L’objectif : mettre ses archives à leur disposition et soutenir leurs créations qui, bien souvent il faut le dire, confinent au rêve. Preuve en est avec Télescope intérieur (en 2017), une « œuvre spatiale » imaginée par l’artiste Eduardo Kac dans son atelier à Chicago et conçue pour évoluer en apesanteur… avant d’être réalisée par Thomas Pesquet dans l’ISS, alors en orbite à 400 km de la Terre, à l’occasion de la mission Proxima de l’agence spatiale européenne ! À l’image, cet assemblage de papier découpé et plié, a priori très simple, léger et fragile, se révèle éminemment poétique. « Un petit pas pour l’homme, et peut-être un grand pas pour l’art », résume le spationaute dans un documentaire réalisé par Virgile Novarina, consacré à cette odyssée artistique.

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Eduardo Kac avec Thomas Pesquet, Télescope Intérieur

Eduardo Kac avec Thomas Pesquet, Télescope Intérieur, 2017

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Pour l’Observatoire de l’Espace, la création d’un « imaginaire spatial » passe aussi par un important travail d’édition où là encore, les artistes ont voix au chapitre. C’est le cas de Bertrand Dezoteux qui, pour l’ouvrage Le Centre Spatial Guyanais (2e volume de la trilogie « Traversée culturelle dans les archives de l’Espace » paru en octobre dernier), a pu s’immerger, aux côtés de l’auteur Bernard Chambaz et de l’historien David Redon dans des décennies d’aventure spatiale française. Nouvelle venue dans le champ des (belles) revues spécialisées, Strates, nourrie de documents d’archives issus des programmes spatiaux, a l’ambition quant à elle de rendre accessible « l’éblouissement que procurent ces archives graphiques et photographiques, souvent inédites, de l’histoire spatiale du XXe siècle […] et d’explorer leurs potentialités en termes d’explication des enjeux contemporains de l’exploration spatiale », dixit Gérard Azoulay, responsable de l’Observatoire de l’Espace du Cnes.

Stéphane Thidet, OSCAR

Stéphane Thidet, OSCAR, 2022

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Et la suite ? Les artistes Valère Costes et Justine Emard viennent d’intégrer la résidence hors-les-murs pour l’année 2022, Julien Prévieux invente une « performance pour astronautes » qui prendra la forme d’un jeu collaboratif autour des fondements juridiques du milieu spatial habité, Erwan Venn vient de finir son projet Kouroupolis, une série d’aquarelles inspirées des archives visuelles de l’histoire spatiale à Kourou… Quant à Stéphane Thidet, il travaille actuellement sur OSCAR, une œuvre musicale qui génèrera, depuis l’ISS, une partition musicale in situ, enregistrée à partir de variations de température, de lumière ou de vibrations captées dans l’espace. Un projet fou, qui donnera lieu à des représentations (sur Terre cette fois) en 2024… L’espace, fertile et fantastique terrain d’expérimentations artistiques, n’a pas fini de voir briller cette nouvelle constellation d’artistes.

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L’Observatoire de l’Espace du Cnes

Le Centre spatial Guyanais. Traversée culturelle dans les archives de l’Espace #2

Par Bernard Chambaz, Bertrand Dezoteux et David Redon

Sous la direction de Gérard Azoulay

Éd. Observatoire de l’Espace – Cnes • 208 p. • 30 €

Strate(s). Photos+graphies de l’aventure spatiale n°1

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BOUM ! Le festival du big bang

Jusqu’au 30 janvier, dans toute la ville de Louvain (Belgique).

https://www.boumfestival.be/



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