Les « Racines » de Van Gogh ou la dernière toile d’un condamné


Des protubérances bleutées sur fond orangé, des lignes tortueuses qui s’entrecoupent à l’infini… On se croirait presque dans une toile abstraite tant le sujet de ce tableau se perçoit difficilement : ce sont des racines d’arbres, accompagnées de souches noueuses et de feuillages de taillis. Un motif étrange et énigmatique, totalement inhabituel chez l’artiste. Il n’est donc pas étonnant qu’au musée Van Gogh d’Amsterdam, cette œuvre soit si souvent négligée par les visiteurs qui préfèrent s’attarder sur le Champ de blé aux corbeaux et autres tableaux iconiques du peintre néerlandais… Et pourtant, ces racines figurées sur une toile panoramique (de plus d’un mètre de long !) soulèvent de nombreuses interrogations…

Vincent Van Gogh, Champ de blé aux corbeaux

Vincent Van Gogh, Champ de blé aux corbeaux, 1890

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Huile sur toile • 50,5 × 100,5 cm • Coll. Amsterdam Van Gogh Museum • © AKG Images

Existent-elles réellement ou sont-elles le fruit de son imagination ? Y a-t-il un message caché derrière ce sujet ordinaire ? Depuis des années, des spécialistes enquêtent, sans trouver de réponse… Jusqu’à ce qu’au printemps dernier, le Dr Wouter van der Veen retrouve par hasard les véritables racines peintes par Van Gogh à Auvers-sur-Oise, cent trente ans plus tôt : « Une souche monumentale, momifiée, couverte de lierre, trônait au bord du chemin à l’endroit identifié. Elle avait traversé le temps patiemment, discrètement, cachée à la vue de tous », raconte-t-il.

Ce qui l’a mis sur cette piste ? Une ancienne carte postale d’Auvers-sur-Oise datant de la Belle Époque, observée par hasard durant le confinement, qui « représentait un bord de route couvert de racines et de troncs d’arbres », décrit l’historien d’art. « Un petit doute était né », qui sera rapidement vérifié : les racines peintes par Van Gogh correspondent bien à celles de la carte postale, et se situent à 150 mètres de l’auberge Ravoux, là où le peintre séjournait depuis son arrivée au village, en mai 1890. La surprise est totale, vertigineuse.

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L’artiste se serait-il considéré comme l’une de ces plantes décimées qui ne pourrait jamais repousser ?

Ainsi, le 27 juillet 1890, l’artiste part avec son chevalet derrière l’auberge Ravoux, pour peindre un taillis à flanc de coteau annexant un petit chemin en pente, en direction des champs de blé. Il y passe la journée, s’interrompant le temps du déjeuner, posant ses dernières touches en fin d’après-midi. Plus tard, « autour de l’heure du dîner, il s’est tiré une balle dans la poitrine », annonce le Dr Wouter van der Veen, persuadé que l’artiste s’est suicidé, comme l’avaient simplement assuré les témoins de l’époque, Adeline Ravoux et Paul Gachet.

Une mort qui serait intimement liée au motif peint, puisque Van Gogh « délivre depuis toujours sa vision de la vie et de la mort à travers sa représentation des végétaux », estime le spécialiste. Déjà en 1882, après avoir figuré des racines d’arbres, Van Gogh déclarait dans une lettre à son frère Théo vouloir en révéler « quelque chose de la lutte pour la vie ». Un état d’esprit qu’il aurait retrouvé huit ans plus tard à Auvers-sur-Oise, devant ce taillis composé de petits arbres coupés périodiquement, croissant à partir d’anciennes souches. L’artiste se serait-il considéré, à mesure qu’il achevait son tableau, comme l’une de ces plantes décimées qui ne pourrait jamais repousser ? C’est ce que suppose cette récente découverte…

Détail des troncs

S’attarder sur un détail, représenter l’ordinaire : telle est la leçon du japonisme – de l’esthétique des estampes d’Hokusai ou d’Hiroshige – que Van Gogh semble appliquer en détaillant son motif, des tiges irrégulières ou bulbes proéminents, grâce à son coup de pinceau si mouvementé, ses coloris si tranchés. Ainsi, il en dévoile le caractère exceptionnel et hautement symbolique : le cycle de la vie qui suit son cours sur le bas-côté.

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Désormais, les spectateurs pourront contempler les racines restées intactes, et désormais protégées, à Auvers-sur-Oise. Et admirer d’un œil nouveau ce dernier chef-d’œuvre où se décèle l’irrésistible passion du peintre pour la nature – « quand on aime véritablement la nature, on trouve le beau partout », confiait-il à son frère –, mais aussi sa quête de liberté, sa soif de sérénité. Et son éternelle fureur de peindre.

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Attaqué à la racine – Une enquête sur les derniers jours de Van Gogh

Par Dr Wouter van der Veen

À télécharger librement sur : www.arthenon.com/roots



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