Les Marx Brothers : un cinéma déglingo et hilarant à (re)découvrir d’urgence pendant le confinement – Actus Ciné


Ils ont bâti une œuvre folle, unique et hilarante, centrée sur le chaos et l’absurde. Mais ils semblent moins connus que leurs homologues (Chaplin et Buster Keaton en tête). Il est donc urgent de (re)découvrir les Marx Brothers et leur cinéma dingue.

Warner Bros. Pictures

Lorsqu’il s’agit d’évoquer l’humour et l’âge d’or hollywoodien, le grand public cite plus facilement Charles ChaplinLaurel et Hardy ou Buster Keaton que les Marx Brothers, qui paraissent étrangement méconnus à côté de leurs homologues, alors que cinq de leurs longs métrages sont classés dans le Top 100 des films les plus drôles de tous les temps établis par l’American Film Institute, entre la cinquième et la soixante-treizième position. Ou qu’ils ont réussi à s’attirer les foudres du dictateur italien Benito Mussolini avec La Soupe au canard, satire belliqueuse dans laquelle il s’est personnellement senti attaqué et dont il est parvenu à faire interdire la diffusion dans son pays.

Pour le plus grand bonheur, dit-on, de ses acteurs, qui ont réussi hors-caméra à faire ce qui est leur ligne directrice devant : chambouler l’ordre établi sans respecter personne, et surtout pas les autorités. Car l’œuvre des Marx Brothers, c’est un cinéma qui érige le chaos au rang d’art avec un sens de la folie particulièrement prononcé et qu’il convient de (re)découvrir, en VOD, DVD/Blu-Ray ou à la télé, ne serait-ce que pour rire à gorge déployée pendant cette période de confinement. Mais des présentations et un peu d’Histoire s’imposent.

EN AVANT MARX !

Comme leur nom l’indique, les Marx Brothers étaient bien des frères, nés Marks, et la fine équipe se compose de : Julius Henry, dit Groucho ; Leonard, alias Chico ; et Arthur, plus connu sous le nom de Harpo. Il y a aussi eu Zeppo et Gummo, mais leurs rôles étaient moins intéressants et leurs présences respectives plus sporadiques que celle du trio, qui constitue le cœur et l’élément perturbateur de leurs longs métrages, celui qui va faire basculer une situation à priori normale dans le désordre le plus total. Une arme de dérision massive qui s’est forgée sur scène où, encouragés par leur mère, ils se produisent à partir de 1907 dans des spectacles exclusivement musicaux au sein desquels chacun s’adonne à sa spécialité (le chant pour Groucho, le piano pour Chico et la harpe pour Harpo, qui a tiré de l’instrument son pseudonyme).

Dès 1910 et une pièce appelée “Fun in Hi Skule” (comprendre “Fun in High School”), l’humour prend le pas sur la musique, et la mécanique qui sera celle des Marx Brothers au cinéma se peaufine au fil de leurs années sur les planches, en même temps que leurs personnages respectifs : une fois la Première Guerre Mondiale terminée, Groucho abandonne son accent allemand au profit d’un cigare et d’une fausse moustache qui deviendra iconique ; Chico s’offre un chapeau et un accent italien du plus bel effet ; et Harpo récupère un perruque blonde frisée, un pantalon trop grand et une corne de brume, mais perd la parole suite à une critique soulignant le fait que l’acteur était bon… jusqu’à ce qu’il ne parle. Après avoir conquis Broadway, ils profitent des débuts du parlant pour enfin céder aux sirènes d’Hollywood et la fratrie débarque sur grand écran avec Noix de coco et L’Explorateur en folie, deux longs métrages dans lesquels leur passé scénique se fait encore grandement sentir.

Lire aussi article :  Rediffusion : Tricher sur le Lightning Network ?

Et pour cause : il s’agit en réalité de captations réduites des deux pièces dont ils sont tirés. Pour se familiariser avec son œuvre, mieux vaut donc commencer par leur vrai premier film conçu dans un but cinématographique, à savoir Monnaie de singe signé Norman Z. McLeod en 1931, qui exploite leur humour avec les outils propres au 7ème Art. Les frères remettent le couvert avec la Paramount l’année suivante grâce à Plumes de cheval, et leur contrat avec le studio (ainsi que leur phase de titres animaliers) s’achève en 1933 avec l’un de leur sommets : La Soupe au canard, cinquième film le plus drôle de tous les temps selon l’AFI et que l’on doit à Leo McCarey, familier du burlesque pour avoir travaillé avec Laurel et Hardy mais pas assez pour garder son sérieux face à la tornade comique des Marx contraints, selon la légende, d’enfermer leur réalisateur dans une cabine insonorisée tant il riait fort pendant les prises.

Récupérés par la MGM, à qui ils feront une infidélité ponctuelle en allant tourner Panique à l’hôtel en 1938, ils signent un nouveau chef-d’œuvre en 1935 avec Une nuit à l’opéra (douzième dans le classement de l’AFI), puis s’illustrent dans Un jour aux courses (1937), Un jour au cirque (1939), Chercheurs d’or (1940) et Les Marx au grand magasin (1941) qui a longtemps été leur dernier film en commun, jusqu’à ce que les dettes de Chico ne les contraignent à se retrouver pour les besoins d’Une nuit à Casablanca (1946), qui rassure le public quant à l’état de leur folie. Mais ils ne font que repousser l’échéance car, quatre ans plus tard, La Pêche au trésor marque leur dernière apparition ensemble sur grand écran (aux côtés d’une débutante appelée… Marilyn Monroe). Et donc le point final d’une filmographie qui ne compte que douze longs métrages mais mérite d’être (re)découverte pour ce qu’elle a d’unique et d’hilarant.

Même s’ils n’ont pas pris part à l’écriture de leurs longs métrages respectifs, les Marx Brothers apparaissent comme des véritables auteurs. Au-delà des gags auxquels on imaginge qu’ils ont grandement contribué, leurs films sont identifiables par bien des aspects : les titres déjà, qu’ils contiennent une expression à base d’animaux pendant leur période Paramount (à l’exception de Noix de coco) ou une unité de lieu et parfois de temps quand ils s’illustrent chez la MGM. Dans un studio comme dans l’autre, en revanche, la structure des histoires reste la même et nous nous retrouvons souvent dans un milieu très marqué (l’opéra, une fac, le cirque, un royaume fictif…) où Groucho, Chico et Harpo vont devoir s’allier pour défendre le bien et réparer des injustices, non sans tout retourner et multiplier les incidents (diplomatiques ou pas) et ridiculiser les représentants de l’autorité sur leur passage, se rapprochant ainsi de la période Charlot de Charles Chaplin. Le son en plus.

Lire aussi article :  La rengaine - bitcoin.fr

Mais ce qui compte dans le cinéma des Marx Brothers, ça n’est pas tant la structure très simple de leurs histoires (où Harpo s’octroie souvent quelques minutes pour jouer de la harpe) que ce qu’ils font à l’intérieur, avec l’anarchie comme maître-mot. Comme chez Jacques Tati quelques années plus tard, la situation est et reste normale tant qu’ils n’ont pas fait leur apparition à l’écran, car la suite n’est que chaos, avec une vraie maîtrise dans l’art de rendre les autres chèvres et mettre récit et lieux sens dessus dessous, au propre comme au figuré. Outre le sabotage en règle d’une représentation (des décors aux partitions), Une nuit à l’opéra nous offre une scène qui deviendra l’une de leurs spécialités : cachés dans une pièce adjacente, Chico et Harpo mettent tout en œuvre pour ne pas être découverts, quitte à déplacer les lits par le balcon jusqu’à rendre leur victime folle.

Avec celle qui les voit s’entasser avec d’autres passagers dans la minuscule cabine d’un bateau, cette scène illustre aussi bien le modus operandi des Marx Brothers que le vent de folie qu’ils font souffler sur leurs films en donnant l’impression que tout est improvisé. S’ils prennent sans doute un peu de libertés au cœur des scènes, leur humour est beaucoup plus organisé qu’on ne pourrait le croire, et chacun a un rôle bien précis, qui renvoie à une forme d’humour. Avec ses insultes, ses jeux de mots incessants et difficilement traduisibles qu’il débite à grande vitesse dans un mélange d’argot et de yiddish, Groucho incarne un humour très verbal. Impliqué dans des embrouilles et quiproquos souvent liés à ses combines, Chico est la personnification du comique de situation. Muet mais compensant cette absence de parole par une performance gestuelle et des gags visuels (souvent liés à son manteau dont les poches, telles le sac de Mary Poppins, regorgent d’objets improbables), Harpo renvoie quant à lui au burlesque, au slapstick même (qui implique une part de violence physique volontairement exagérée), ce qui fait de lui le plus universel des membres du trio, car compréhensible par tous, et le rapproche de Charlot, puisqu’il joue souvent les vagabonds lui aussi.

L’association des trois comédiens et de l’humour que chacun incarne créé donc le style, explosif, des Marx Brothers, auquel il faut généralement aujouter un autre ingrédient, moins relevé : un jeune premier, parfois incarné par un autre de leurs frères (Gummo puis Zeppo). Beaucoup plus calme et gentil, pour ne pas dire lisse, il fait avant tout figure de contrepoint à la folie du trio, qui se prend quand même d’affection pour sa noble quête, histoire de mettre un peu de morale dans ce cinéma anarchique. Le héros peut d’ailleurs souvent compter sur les relations de Groucho, que l’on retrouve très souvent dans un rôle de personne importante, qu’il s’agisse d’un médecin réputé ou d’un chef d’état malgré lui. Pour le plus grand bonheur des spectateurs et le malheur de ceux qui l’entourent, à l’exception de ses hommes de main qui sont bien souvent Chico et Harpo.

Lire aussi article :  Violences sexistes et sexuelles : le 3919 désormais disponible à toute heure

Aussi drôle qu’il soit, ce tourbillon humoristique qui conçoit l’absurde et le non-sens comme un art de vivre a aussi des limites tant il dépend grandement du rythme. Si des longs métrages comme La Soupe au canard, Une nuit à l’opéra ou Plumes de cheval sont de vrais sommets d’hilarité, certains opus moins aboutis (comme Panique à l’hôtel, seul de leurs films à avoir été écrit pour d’autres qu’eux d’après une pièce qui triomphait à Broadway) accusent de vraies longueurs. Mais pas assez pour remettre en question la place des Marx Brothers parmi les géants de la comédie américaine, acquise avec une œuvre relativement courte mais intense, dont les rares héritiers sont à chercher de ce côte-ci de l’Atlantique.

Outre les deux albums de Queen nommés avec des titres de leurs opus (“A Night at the Opera” et “Day at the Races”) et une brève imitation d’Harpo par Pierre Richard dans La Carapate, c’est chez les Monty Python que l’on retrouve cette même aptitude à manier l’absurde, le non-sens et l’irrévérence, avec un style évidemment plus anglais et un goût prononcé pour la parodie et le déguisement. John Cleese considère d’ailleurs Groucho comme son héros, mais on peut s’étonner que les films des Marx ne soient pas plus cités aujourd’hui. Il n’est heureusement pas trop tard pour rattraper cela et découvrir cet humour unique qui repose sur une grande inventivité et la parfaite complémentarité des trois frères, qui n’avaient pas leur pareil pour mettre un bazar monstre sur grand écran. Et nous faire rire. Fort. Vous êtes prévenus.

Les films de Marx Brothers sont disponibles en VOD (Une nuit à l’Opéra notamment), DVD et Blu-Ray, avec un coffret réunissant Noix de coco, L’Explorateur en folie, Monnaie de singe, Plumes de cheval et La Soupe au canard. Et L’Explorateur en folie est visible sur MyCanal jusqu’au 13 juin 2020.

Parmi les scènes les plus marquantes des Marx Brothers, qui prouve la précision de leur humour et leur goût pour l’absurde : le gag du miroir dans “La Soupe au canard”

Les Marx Brothers en chansons :



Source link