Les encres de Victor Hugo, un fantastique jardin secret


Monument absolu de la littérature française, penseur et homme politique engagé, Victor Hugo était aussi, à ses heures perdues, un dessinateur prolifique et inspiré. Largement méconnue, cette œuvre pourtant monumentale fut tout d’abord réservée aux seuls intimes de l’écrivain. À de rares exceptions près, elle ne fut jamais montrée au public de son vivant, l’artiste étant soucieux de ne pas mélanger ses rôles. Une œuvre profondément intime, donc, et dont il avait néanmoins assuré la postérité en la léguant à la Bibliothèque nationale, en même temps que ses manuscrits.

Victor Hugo, Tours et flèches d’une cathédrale gothique

Victor Hugo, Tours et flèches d’une cathédrale gothique, Vers 1836 – 1837

i

plume (arts graphiques), encre • 19,4 × 20,2 cm • CC0 Paris Musées / Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey

Victor Hugo n’a jamais eu d’atelier. L’homme de lettres qui, selon ses mots, « a bien autre chose à faire », crayonne d’abord sur des bouts de tables ou au bord des routes. À partir de 1834, il entreprend avec Juliette Drouet, son amante, une série de voyages auxquels se joint l’artiste Célestin Nanteuil, graveur romantique, en 1836. À ses côtés, Hugo s’affirme comme un dessinateur à part entière : ses dessins se font alors plus graphiques, son trait plus minutieux. Paysages pittoresques, panoramas hérissés de clochers, détails d’architectures gothiques… Dans ses carnets, comme dans les lettres qu’il adresse à ses proches, Victor Hugo dessine sur le motif. Observateur attentif, il représente la nature dans ses moindres fantaisies.

Sur la route, Hugo explore aussi les voies de l’imaginaire et les territoires de l’infini, donnant forme à des visions oniriques et obsédantes, à l’image de Mythen (vers 1855), du nom de deux montagnes jumelles situées en Suisse : le paysage préalpin laisse place à un panorama ténébreux et halluciné où seuls les deux sommets, tels deux crocs acérés, semblent mordre le ciel. L’artiste fait évoluer sa technique grâce à un emploi complexe du lavis. Les différents contrastes d’encre confèrent à ses œuvres graphiques une aura lyrique. Une intense dramaturgie encore renforcée après 1847, lorsqu’il interrompt ses voyages suite au drame de la mort de sa fille Léopoldine.

Lire aussi article :  Umbrel au-delà de Bitcoin - bitcoin.fr

Bien qu’il ait toujours veillé à réserver ses dessins à l’intimité, Victor Hugo a toutefois accepté que certains soient reproduits par la gravure, le plus souvent afin de répondre à des œuvres de charité ou de philanthropie et, plus rarement, afin d’accompagner la publication de ses œuvres. Ainsi, en 1863, son beau-frère Paul Chenay grave-t-il 23 de ses dessins. Ce prodigieux ensemble sera publié l’année suivante accompagné d’un texte de Théophile Gautier ; un précieux témoignage du processus créatif d’Hugo qui, après avoir noirci les pages de ses carnets de petits motifs les reprenait, quelques jours plus tard, dans d’audacieuses compositions à l’encre, spectaculaires par leur format comme par leur qualité.

Victor Hugo, Paysage aux trois arbres

Victor Hugo, Paysage aux trois arbres, 1850

i

plume (arts graphiques), lavis, crayon, encre • © Maison de Victor Hugo – Hauteville House/ Paris Musées

En 1850, l’auteur des Misérables, malade, est contraint de quitter ses fonctions de député pour soigner ses problèmes de gorge. Il installe alors un atelier provisoire dans la salle à manger de Juliette Drouet, non sans lui causer quelque tracas comme elle le raconte dans une lettre teintée de tendresse et d’humour : « Cependant, Dieu sait quelle lamentation je pousse depuis l’orteil jusqu’à la pointe des cheveux en voyant ma pauvre salle à manger dans l’état où elle est. […] Jamais sale (sic.) à manger n’a plus justifié de son titre, c’est horrible et cela me porte à tous les excès de calembours, de coq-à-l’âne et de calembredaines possibles. » Dans cette atmosphère bienveillante, Victor Hugo, qui n’écrit presque plus rien d’autre que ses discours politiques, est pris d’une fièvre créatrice. C’est là sans doute qu’il réalise ses œuvres les plus sensationnelles comme en témoigne cet inquiétant champignon rouge à pois blancs [ill. en une] (« Je finis de faire sécher au soleil ton terrible champignon qui fait frémir rien qu’en le regardant », lui écrira Juliette). Une œuvre qui procède d’une insolite association de techniques (frottage, grattage, pochoir, dessin…) et de matériaux (encre, gouache, fusain) témoignant d’un esprit enclin aux expérimentations.

Lire aussi article :  La maison PIASA organise une vente online au profit des soignants
Victor Hugo, Ecce Lex

Victor Hugo, Ecce Lex, 1854

i

plume (arts graphiques), lavis, crayon, fusain, encre, papier vergé • 50,8 cm x 34,9 cm • CC0 Paris Musées / Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey

Si l’artiste a d’abord puisé ses motifs de prédilection dans la nature et l’architecture, au gré de ses différents voyages, sa sensibilité humaniste et son engagement pour la justice lui ont également inspiré des chefs-d’œuvre comme Ecce, image glaçante devenue emblème de la lutte du poète contre la peine de mort. De même du Poème de la sorcière, son dernier grand œuvre réunissant 45 dessins qui racontent, à travers une édifiante galerie de portraits, le procès d’une femme accusée de sorcellerie… Et son exécution en place publique, sous les yeux d’une Petite fille dans la foule qui ne comprend pas. Un ultime témoignage de la maestria de cet artiste, qui par son art et ses valeurs a éclairé le monde.

Arrow

Victor Hugo. Dessins. Dans l’intimité du génie

Du 10 juin 2021 au 21 novembre 2021

www.maisonsvictorhugo.paris.fr



Source link