« Le Baiser » de Carolus-Duran, un selfie amoureux avant l’heure


Tel un prince réveillant sa Belle au bois dormant, un homme dépose un baiser sur les lèvres de sa bien-aimée. Leurs mains se superposent délicatement. Les yeux mis-clos, tous deux savourent cet instant suspendu. Leurs visages émergent d’un fond noir. Pas besoin de décor quand on est amoureux ! Quelques fleurs éparses, une rose dans les cheveux et un châle rouge suffisent à évoquer leur passion naissante.

L’amoureux n’est autre que l’auteur du tableau, le peintre Carolus-Duran !

L’image est intemporelle : tous les couples transis s’y reconnaissent. Mais cette scène intime est d’autant plus touchante qu’on connaît l’identité des deux tourtereaux. Observons l’homme. Les traits de son visage, ses épais cheveux noirs bouclés… L’amoureux n’est autre que l’auteur du tableau, le peintre Carolus-Duran (1837–1917) ! En témoignent ses autoportraits comme L’Homme endormi (1861), visible au Palais des Beaux-Arts de Lille, ou Le Convalescent (1860) exposé au musée d’Orsay, et surtout son portrait exécuté par John Singer Sargent en 1879, ainsi qu’une photographie de 1880.

L’artiste s’est donc immortalisé en train d’embrasser sa compagne, Pauline Croizette, qu’il vient tout juste d’épouser le 30 janvier 1868. Portraitiste mondain apprécié, ami d’Édouard Manet et d’Henri Fantin-Latour, le Lillois, de son vrai nom Charles Duran, s’inspire du réalisme de son contemporain Gustave Courbet et de la touche baroque de Diego Vélasquez.

L’histoire du couple est tout aussi romantique que le tableau lui-même. En effet, c’est dans une salle du Louvre, lieu idéal pour un coup de foudre entre artistes, que Charles a rencontré l’heureuse élue ! Née à Saint-Pétersbourg, cette petite-fille de dramaturge, fille d’une ballerine française et – dit-on –, d’un grand seigneur russe, est pastelliste et miniaturiste. Tous deux, comme de nombreux peintres de l’époque, sont venus au musée pour copier les maîtres anciens. C’est d’ailleurs là, dans les mêmes circonstances et la même année, que Berthe Morisot rencontre Édouard Manet, dont elle finira par épouser le frère !

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Carolus-Duran, La Dame au gant

Carolus-Duran, La Dame au gant, 1869

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Huile sur toile • 228 × 164 cm • Musée d’Orsay, Paris • © Photo Josse/Leemage

Dans ce portrait mondain, salué par la critique comme l’archétype du genre, Carolus-Duran a glissé un détail discrètement érotique.

Dès l’année suivante, Pauline pose pour La Dame au gant (1869). Conservé au musée d’Orsay, ce portrait grandeur nature révèle toute sa beauté et son calme élégant : coiffée d’une mantille espagnole et vêtue d’une robe de soie noire, elle dévoile un visage ingresque et une silhouette gracieuse. Dans ce portrait mondain, salué par la critique comme l’archétype du genre, Carolus-Duran a glissé un détail discrètement érotique : sa femme porte un gant qu’elle est en train de retirer avec sa main droite, déjà nue. À ses pieds, l’autre gant gît sur le sol, comme la promesse d’un plus ample effeuillage… Vers 1880, Charles la saisira également dans son atelier, un pinceau à la main, comme sur une photographie prise à la sauvette. Sa sœur Sophie, une actrice bavarde et rieuse amie de Sarah Bernhardt, aura quant à elle droit à un portrait équestre en chapeau haut de forme.

Spécialisée dans les copies de maîtres et les portraits, Pauline expose à la Société des artistes français à partir de 1864 et reçoit une médaille de bronze en 1875. Mais à l’époque, il est difficile de s’imposer en tant que femme artiste. Trois enfants naissent de son mariage avec Charles : un garçon et deux filles dont l’aînée, Marie-Anne, épousera le célèbre auteur de vaudevilles Georges Feydeau.

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À l’ère de l’impressionnisme, Camille Pissarro reproche à Carolus-Duran son manque d’audace ; Émile Zola le décrit comme un Manet adapté aux bourgeois. Pourtant, l’intimité et la spontanéité de certaines de ses toiles préfigurent l’instantané photographique. Ce baiser autobiographique pourrait même être une première dans l’histoire de l’art. Avant lui, les baisers de ce type sont rares et ne concernent que des allégories, des personnages mythologiques ou des anonymes. Jamais l’auteur lui-même. Notre Lillois pourrait bien être l’inventeur du kissing selfie ! Ce qui n’a pas manqué d’inspirer les internautes rejouant avec inventivité et malice cette icône du musée à l’occasion du challenge #artenquarantaine lancé par les musées français durant le confinement. Preuve qu’il n’a pas pris une ride.

Challenge #ArtEnQuarantaine relevé par @solal_solal sur Instagram autour du « Baiser » de Carolus-Duran

Challenge #ArtEnQuarantaine relevé par @dinopenotti sur Twitter autour du « Baiser » de Carolus-Duran

Challenge #ArtEnQuarantaine relevé par @Sufinkusu sur Instagram autour du « Baiser » de Carolus-Duran

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Palais des Beaux-Arts de Lille

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Et aussi… 10 merveilles du Palais des Beaux-Arts de Lille :

Les lustres de Gaetano Pesce, 1997. Dès l’entrée, admirez l’œuvre du designer italien, deux gigantesques bulles multicolores composées de centaines de tuiles de verre !

L’atrium. Bordée d’arcades, cette ancienne cour intérieure a été décorée de colonnes blanches et surmontée d’une verrière pour devenir le cœur du musée : un superbe hall baigné de lumière.

La Descente de croix de Pierre Paul Rubens, 1616-1617Peint par Rubens pour la chapelle du couvent des Capucins de Lille, ce tableau monumental trône au cœur d’une riche collection de peintures flamandes des XVIe et XVIIe siècles.

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Le Parlement de Londres de Claude Monet, 1887Cette vue impressionniste est issue d’une série de 11 toiles de Claude Monet. Saisi dans diverses conditions, le Parlement de Londres se dilue dans de délicats papillotements de lumière. Magique !

Portrait de militaire romain (Fayoum), IIe siècle av. J-C. Peint en Égypte, ce portrait sur bois d’un soldat romain couronné de lauriers d’or est l’un des trésors de la collection d’antiquités du musée.

L’Ascension des élus et La Chute des damnés de Dirk Bouts, 1470. Ces deux panneaux extraordinaires du primitif flamand dépeignent un ange aux ailes noires guidant les élus au Paradis, puis les damnés torturés en Enfer par des monstres surréalistes…

Les Vieilles et Les Jeunes de Francisco de Goya, 1808-1812. Exposées côte à côte pour un effet saisissant, ces deux vanités grinçantes de Goya révèlent tout le talent de satiriste du peintre espagnol.

L’Ombre d’Auguste Rodin, 1880. Emblématique du style de Rodin, ce corps d’homme désarticulé fait partie des 180 figures que le sculpteur destinait à son chef-d’œuvre inachevé : la Porte de l’Enfer.

La Madone d’Albe de Raphaël, XVIe sièclePour dessiner cette exquise madone à la sanguine, Raphaël, maître de la Renaissance italienne, a été contraint de faire poser un homme !

Médée d’Eugène Delacroix, 1838. Répudiée par Jason, Médée s’apprête à égorger ses deux fils… Fruit de 20 ans de recherches, cette composition est emblématique du style romantique et ténébreux de l’artiste.





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