« L’Apparition de la famille de l’artiste » : tout Chagall dans un tableau


Pas de doute, c’est un Chagall. Du premier coup d’œil, on reconnaît cette symphonie de couleurs festives à la texture nuageuse, dominée par un mariage de bleu et de rouge, et ces personnages volants entourés de violons, de bouquets de fleurs et d’animaux souriants. Mais, plus qu’un concentré du style inimitable de Marc Chagall (1887–1985) qui anime le réel d’un souffle magique en envoyant valser logique et perspective, ce tableau, déposé par le Centre Pompidou au Palais des Beaux-Arts de Lille en 1990, est surtout une déclaration d’amour à son passé russe et à ses proches disparus.

Marc Chagall, L’Apparition de la famille de l’artiste [détail]

Marc Chagall, L’Apparition de la famille de l’artiste [détail], 1935–1947

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Palais des beaux-arts de Lille / dépôt de l’Etat, musée national d’Art moderne • © RMN-Grand Palais – Michel Urtado © Adagp, Paris 2020

Lorsqu’il termine cette œuvre en 1947, Chagall est âgé de 60 ans et la Seconde Guerre mondiale vient de s’achever. Le jeune homme assis devant un chevalet, palette à la main dans le coin gauche de la toile, c’est lui, 40 ans auparavant ! Le peintre revient dans la brume de ses souvenirs pour ressusciter, en une apparition, les fantômes d’un monde révolu…

L’artiste est né dans l’Empire russe, à Liozna, près de Vitebsk. Et c’est cette petite ville située en bord de rivière au nord-est de l’actuelle Biélorussie, dont on aperçoit l’église et les petites bicoques bleutées, veillées par un croissant de lune dans la partie basse de la toile ! Pour Chagall, Vitebsk est synonyme d’enfance simple et heureuse. Ses ruelles enneigées où les bambins glissaient sur des luges au son du violon les jours de fête, son shtetl, ses clochers à bulbes, ses isbas et ses fermes, l’artiste ne cessera jamais de les faire revivre dans ses œuvres, jusque sur le plafond de l’Opéra Garnier.

Entouré de sa mère épicière, de son père manœuvre chez un marchand de harengs, de son oncle fermier et de son grand-père, précepteur et chantre à la synagogue, le petit Chagall baigne dans la spiritualité : sa mère, catholique, l’initie à la Bible ; le reste de sa famille à la tradition juive hassidique, qui prône la « prière joyeuse ». Regardez bien le couple situé juste à droite du peintre : cet homme qui tient une Torah, et cette femme qui pose tendrement sa tête contre la sienne, ne sont autres que ses parents, morts depuis plusieurs années. Les couleurs choisies ne sont pas un hasard : le bleu pour son père, homme secret et taciturne chez qui tout lui semblait « énigme et tristesse » ; le rouge pour sa mère, qui rayonnait d’énergie et le couvrait d’amour.

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Arrêtée au cours d’une rafle à Marseille, la famille est sauvée in extremis par un ami et réussit à fuir aux États-Unis en 1941.

Tous deux sont entourés de nombreux enfants : ce sont les six sœurs et le frère cadets du peintre, qu’il n’a jamais revus depuis son départ de Russie. L’artiste avait fait ses valises une première fois en 1910 pour s’installer à Paris où, logeant à la Ruche, cité d’artistes non loin du quartier Montparnasse, il avait déployé ses ailes dans l’univers des avant-gardes. Retourné à Vitebsk pour un séjour en 1914, il s’y était retrouvé piégé par l’éclatement de la Première Guerre mondiale, puis par la révolution de 1917. Forcé de rester, il y était devenu directeur d’une école d’art, l’École de Vitebsk. Mais, lassé de ce travail administratif et de son conflit avec l’artiste Kasimir Malevitch, il avait fini par quitter, cette fois définitivement, le pays en 1922.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale débute en 1939, Chagall est devenu citoyen français. Mais la menace du nazisme le pousse à partir à contre-cœur avec son épouse Bella Rosenfeld et sa fille Ida. Arrêtée au cours d’une rafle à Marseille, la famille est sauvée in extremis par un ami et réussit à fuir aux États-Unis en 1941. Les années 1940, durant lesquelles il peint ce tableau, sont les plus sombres de sa vie : après avoir appris que les soldats allemands et soviétiques ont bombardé et incendié Vitebsk, détruisant au passage sa maison d’enfance, puis découvert l’horreur des camps d’extermination nazis et l’assassinat de six millions de juifs, dont près de 20 000 venaient de sa ville, il doit affronter la perte de sa femme adorée, emportée par une infection en 1944.

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Marc Chagall, L’Apparition de la famille de l’artiste [détail]

Marc Chagall, L’Apparition de la famille de l’artiste [détail], 1935–1947

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Palais des beaux-arts de Lille / dépôt de l’Etat, musée national d’Art moderne • © RMN-Grand Palais – Michel Urtado © Adagp, Paris 2020

« Tout devient noir » dit-il alors. Mais cette obscurité, le peintre la transforme en couleurs sur ses toiles rêveuses, doux antidotes à son chagrin. La mariée qui vole à droite de la toile, un bouquet de fleurs entre les mains, c’est bien elle, Bella, sa muse dont il était tombé amoureux en 1909 et qu’il avait épousée en 1915, puis immortalisée dans de nombreux tableaux dont Le Baiser (1915), Au-dessus de la ville (1914–1918) et Promenade (1917–1918) où, toujours, elle joue les filles de l’air.

Et s’il ne reste plus rien de la cour de ferme où il a grandi, une vache souriante pointe malgré tout son museau dans la partie haute de la toile, rappelant ces moments heureux où, petit, il se rendait en carriole au marché avec son oncle pour vendre des animaux. Comme toujours chez Chagall, l’amour et la tendresse l’emportent dans un festival de teintes légères. Une merveilleuse leçon d’espoir !

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Palais des Beaux-Arts de Lille

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Et aussi… d’autres merveilles du Palais des Beaux-Arts de Lille :

Les lustres de Gaetano Pesce, 1997

Dès l’entrée, admirez l’œuvre du designer italien, deux gigantesques bulles multicolores composées de centaines de tuiles de verre !

L’atrium

Bordée d’arcades, cette ancienne cour intérieure a été décorée de colonnes blanches et surmontée d’une verrière pour devenir le cœur du musée : un superbe hall baigné de lumière.

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La Descente de croix de Pierre Paul Rubens, 1616-1617

Peint par Rubens pour la chapelle du couvent des Capucins de Lille, ce tableau monumental trône au cœur d’une riche collection de peintures flamandes des XVIe et XVIIe siècles.

Le Parlement de Londres de Claude Monet, 1887

Cette vue impressionniste est issue d’une série de 11 toiles de Claude Monet. Saisi dans diverses conditions, le Parlement de Londres se dilue dans de délicats papillotements de lumière. Magique !

Portrait de militaire romain (Fayoum), IIe siècle av. J-C

Peint en Égypte, ce portrait sur bois d’un soldat romain couronné de lauriers d’or est l’un des trésors de la collection d’antiquités du musée.

L’Ascension des élus et La Chute des damnés de Dirk Bouts, 1470

Ces deux panneaux extraordinaires du primitif flamand dépeignent un ange aux ailes noires guidant les élus au Paradis, puis les damnés torturés en Enfer par des monstres surréalistes…

Les Vieilles et Les Jeunes de Francisco de Goya, 1808-1812

Exposées côte à côte pour un effet saisissant, ces deux vanités grinçantes de Goya révèlent tout le talent de satiriste du peintre espagnol.

L’Ombre d’Auguste Rodin, 1880

Emblématique du style de Rodin, ce corps d’homme désarticulé fait partie des 180 figures que le sculpteur destinait à son chef-d’œuvre inachevé : la Porte de l’Enfer.

La Madone d’Albe de Raphaël, XVIe siècle

Pour dessiner cette exquise madone à la sanguine, Raphaël, maître de la Renaissance italienne, a été contraint de faire poser un homme !

Médée d’Eugène Delacroix, 1838

Répudiée par Jason, Médée s’apprête à égorger ses deux fils… Fruit de 20 ans de recherches, cette composition est emblématique du style romantique et ténébreux de l’artiste.



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