La Villa Majorelle : naissance et renaissance d’un fleuron de l’art nouveau


Façades, intérieurs de banques, brasseries… Au même titre que les bonbons à la bergamote, l’art nouveau est une spécialité nancéienne ! Et pour cause : cette ville lorraine en est le berceau français. Le phénomène remonte à l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne en 1871. Refusant de prendre la nationalité allemande, de nombreux artistes et industriels français migrent à Nancy qu’ils transforment en une vitrine du savoir-faire hexagonal. Le terreau parfait pour l’éclosion d’un nouveau style…

Jika et Louis Majorelle

Jika et Louis Majorelle, non daté

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Album Photo Majorelle • © MEN

Des artistes audacieux émergent : Émile Gallé (1846–1904), qui dirige dès 1883 des ateliers d’ébénisterie, de verrerie et de faïencerie, et Antonin Daum (1864–1930), directeur d’une cristallerie à partir de 1891 – tous deux célèbres pour leurs créations surprenantes en verre coloré, inspirées de la faune et de la flore –, mais aussi l’architecte Eugène Vallin (1856–1922) et l’ébéniste Louis Majorelle (1859–1926). Après des études à l’École des Beaux-Arts de Paris, ce dernier s’est orienté avec succès vers la production de meubles en bois modernes. Répondant à des commandes de riches industriels, de cafés huppés et de grands magasins, son entreprise dispose en 1904 de magasins à Paris, Lyon, Lille, Londres, Berlin et même Oran !

De gauche à droite : porte d’entrée vitrée et ornée d’une grille en métal et cheminées surplombant le balcon sud de la Villa Majorelle

De gauche à droite : porte d’entrée vitrée et ornée d’une grille en métal et cheminées surplombant le balcon sud de la Villa Majorelle

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© MEN / Photo Siméon Levaillant / © Photo Philippe Caron

La devise des artistes de l’école de Nancy : que l’art enchante tous les éléments de la vie quotidienne, jusqu’aux objets les plus triviaux !

En 1901, ces artistes fondent ensemble l’école de Nancy, un groupe dont le but est de promouvoir l’innovation et la collaboration entre les différentes industries d’art. Leur devise : que l’art enchante tous les éléments de la vie quotidienne, jusqu’aux objets les plus triviaux ! La même année, la construction de la Villa Majorelle est lancée. Décidée en 1898 par Louis Majorelle qui veut en faire sa maison familiale, elle est confiée à un jeune architecte de 26 ans, Henri Sauvage (1873–1932), épaulé par Louis Weissenburger (1860–1929).

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Marquise de la porte d’entrée et fenêtre soulignée de frises de céramiques avec des motifs d’orchidées

Marquise de la porte d’entrée et fenêtre soulignée de frises de céramiques avec des motifs d’orchidées

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© MEN 2019 / Photo Philippe Caron

Érigée en 1901–1902 sur un terrain d’un hectare dans un quartier résidentiel de Nancy, la Villa – surnommée Jika, d’après les initiales de l’épouse de Majorelle, Jane Kretz – est la première demeure nancéienne entièrement conçue dans le style art nouveau. C’est une œuvre d’art total. Meubles, lampes, vitraux, fresques murales… Aucun détail n’est négligé, des boutons de porte aux tuyaux extérieurs d’évacuation d’eau qui, peints en vert clair et ornés de feuilles en fer forgé, évoquent des tiges de haricots magiques !

Louis Majorelle et Daum Frères, Lampe Libellules

Louis Majorelle et Daum Frères, Lampe Libellules

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© MEN / Photo J.Y. Lacôte

La nature et la flore, inspirations majeures de l’école de Nancy – la ville compte alors de nombreux horticulteurs et botanistes – y sont omniprésentes. Pomme de pin, monnaie-du-pape : à chaque pièce son thème végétal, qui se retrouve aussi bien sur les vitraux que sur les bibelots et le bois sculpté du mobilier. Les lignes sont fluides, courbes et asymétriques, inspirées des tiges et des branches. Molles et souples, elles donnent l’illusion de meubles mouvants, dont les pieds jaillissent du sol comme des plantes. Les lampes, elles, se recourbent telles des fleurs, nichant leurs ampoules au cœur de délicates corolles en verre soufflé…

L’ouvrage est collectif : chacun son rayon ! Ainsi, c’est au maître-verrier Jacques Gruber (1870–1936), dont les chefs-d’œuvre essaiment la ville de Nancy – entre autres, la verrière monumentale de 250 m² au plafond du Crédit Lyonnais (1901–1902) – que l’architecte fait appel pour le vitrail féérique de l’escalier. Ses verres opalescents aux teintes d’aquarelle automnale déploient des bouquets de monnaies-du-pape, comme sur les arabesques décoratives des affiches d’Alfons Mucha (1860–1939).

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L’art nouveau est définitivement passé de mode… Vendue à l’État, la Villa accueille divers services administratifs jusqu’en 2017.

C’est Louis Majorelle lui-même qui réalise le mobilier et les pièces d’ébénisterie, dont le superbe escalier aux lignes souples. Également ferronnier d’art – il concevra la rampe de l’escalier monumental des Galeries Lafayette inaugurées en 1912 –, le propriétaire signe aussi les branches d’orme en fer forgé supportant la marquise en verre de la porte d’entrée et sa grille florale en tôle étamée. Le céramiste Alexandre Bigot (1862–1927) se charge des grès flammés, dont l’étonnante cheminée à bouche ronde, vernie et luisante comme de la roche mouillée. Francis Jourdain et Henri Royer réalisent les peintures décoratives.

Ce bijou de fantaisie, Louis Majorelle l’a habité jusqu’à sa mort en 1926. Bombardée en 1916, la maison subit quelques dégâts dont la destruction d’un vitrail de Gruber, remplacé, à l’initiative de Majorelle, par des étoiles multicolores d’inspiration marocaine. Après son décès, son fils Jacques, peintre orientaliste installé au Maroc, décide de s’en séparer. L’art nouveau est définitivement passé de mode… Vendue à l’État, la Villa accueille divers services administratifs jusqu’en 2017.

Inscrite finalement au titre des monuments historiques en 1975, puis labellisée Maison des illustres en 2011, la voilà rendue au plus proche de son état d’origine grâce à un vaste chantier de rénovation lancé en 2016 sous l’égide scientifique du musée de l’école de Nancy. Grâce à des documents et photographies d’époque, les divers éléments du décor ont été minutieusement restaurés, achetés ou reconstitués avec le concours d’ateliers nancéiens et parisiens. Une dernière intervention, qui ne nécessitera pas de fermeture au public, aura lieu en 2021–2022 pour la reconstitution d’une salle de bain et la rénovation de l’atelier de Majorelle. Histoire de parfaire cette immersion réussie en plein cœur de la Belle Époque !

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Musée de l’école de Nancy



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