La toile de Jouy à livre ouvert


Tapisseries, linge de maison et même vêtements : au XVIIIe siècle, les indiennes s’arrachent ! Inspirées des étoffes en provenance des Indes, ces toiles de coton imprimées – à la plaque de cuivre d’abord puis au cylindre – sont particulièrement prisées. Partout en France, des manufactures spécialisées assurent la fabrication industrielle de ces cotonnades dont les motifs aux couleurs vives se répètent à l’infini. Pionnière en son domaine (et souvent imitée !), la manufacture de Jouy, fondée par le visionnaire Christophe-Philippe Oberkampf, est reconnue pour la qualité et la finesse de ses motifs qui se basent sur des sujets historiés, qui attirent bientôt une clientèle fortunée, férue de littérature.

Manufacture Oberkampf, Le Mariage de Figaro

Manufacture Oberkampf, Le Mariage de Figaro, 1780

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Toile de coton imprimée à la plaque de cuivre, pente de lit, coloris rouge • 217 × 59 cm • © MTDJ

Romans, pièces de théâtre ou livrets d’opéra : les indienneurs se lancent alors dans la fabrication d’étoffes reprenant des classiques ou des œuvres à la mode, garantissant ainsi la rentabilité de leurs productions. Les dessinateurs-graveurs puisent leurs motifs dans les livres illustrés, un genre en plein essor. Parmi ces ouvrages, certains deviennent, osons l’anachronisme, de véritables « blockbusters », à l’image de Paul et Virginie dont les scènes illustrées sont reproduites sur toutes sortes d’objets du quotidien tels que la vaisselle, les cartes à jouer, les éventails ou encore bien sûr les tissus imprimés, qui ornent les intérieurs. Bref, les premiers produits dérivés !

Les indiennes permettent donc d’afficher, dans son intérieur (sur un lit ou une banquette), son bon goût et, bien sûr, son érudition. Par leurs références et leurs motifs, ces cotonnades monochromes, imprimées dans des tons vifs, sont aussi de véritables matières à rêver. Parmi les indiennes les plus prisées figurent celles inspirées de récits de grands explorateurs – Cook, Bougainville et la Pérouse en tête – qui invitent les lecteurs à se projeter dans des univers lointains. Sur la toile, les indienneurs imaginent des sociétés idéales dans des décors exotiques et stéréotypés. Ils s’inspirent aussi bien sûr de romans d’aventures, comme Don Quichotte. En 1770, la première édition de toiles issues de la manufacture de Jouy représentant le célèbre personnage rencontre un succès tel que le motif sera repris ailleurs en France. Parmi les aventuriers qui ont la cote, on peut aussi citer Ulysse ou encore Robinson Crusoé qui par ailleurs initiera, au XVIIIe siècle, son propre genre littéraire : la robinsonnade !

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Jean Baptiste Huet (dessin) et Georges Lemeunnié (gravure) - Manufacture Oberkampf, Paul et Virginie

Jean Baptiste Huet (dessin) et Georges Lemeunnié (gravure) – Manufacture Oberkampf, Paul et Virginie, 1803

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Toile de coton imprimée • © MTDJ

Les indienneurs puisent aussi dans l’histoire de France et de Navarre des motifs qui exaltent le récit national. De grandes figures du passé sont remises au goût du jour. C’est le cas de Richard Cœur de Lion et de sa sœur Mathilde, héroïne d’un roman de Sophie Cottin publié en 1805 au succès immense, qui se manifestera, là encore, par une multitude de produits dérivés représentant ses aventures. Ces images idéalisées du monde médiéval s’accompagnent de l’émergence du style troubadour, qui trouve son apogée avec l’avènement des romans gothiques du XIXe. En effet, depuis le XVIIIe siècle l’engouement pour le merveilleux et l’étrange va bon train. Sortilèges, magie et sorts en tout genre font frissonner les arts. Vampires et dames blanches font aussi leur apparition sur les toiles de coton [ill. en une] !

Vue de l’exposition « Etoffes et Littérature, Désir de Moralités »

Vue de l’exposition « Etoffes et Littérature, Désir de Moralités »

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Et l’amour dans tout ça ? Qu’elles soient passionnées, empêchées ou menacées, les histoires d’amour, telles que les mettent en scène les écrivains, reflètent l’ordre social et moral de leur temps. Les indiennes transposent les sentiments qui traversent les livres dont elles s’inspirent. Avec la libéralisation des mœurs à la cour de Louis XV, le goût est à la pastorale, à la sensualité… Les toiles reprennent les mythes de Psyché et l’Amour, Phèdre et Hippolyte ou encore Fanchon la veilleuse, figure très populaire à la toute fin du XVIIIe, aujourd’hui tombée dans l’oubli. Citons encore Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, dont la manufacture de Jouy reprendra quelques fameux épisodes sur une toile chargée de motifs décoratifs.

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Mais le vrai best-seller reste encore Jean de la Fontaine, dont les Fables illustrées par François Chauveau puis Jean-Baptiste Oudry (puis bien d’autres) forment un corpus inépuisable de motifs. Les animaux, représentés dans des décors de pastorale plaisent particulièrement aux amateurs d’indiennes. Christophe-Philippe Oberkampf choisira d’ailleurs le thème du Loup et la cigogne pour la toute première toile imprimée à la plaque de cuivre, technologie alors encore balbutiante mais qui assurera les plus belles heures de la manufacture… Voilà de quoi inspirer vos prochaines lectures !

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Étoffes et littérature

Du 16 novembre 2021 au 27 mars 2022

www.museedelatoiledejouy.fr



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