La nature pour refuge chez Georgia O’Keeffe, au Nouveau-Mexique


Le séjour de Georgia O’Keeffe à Abiquiú

Le séjour de Georgia O’Keeffe à Abiquiú

i

© Aude Adrien pour BeauxArts.com

Alfred Stieglitz, Georgia O’Keeffe

Alfred Stieglitz, Georgia O’Keeffe, 1918

i

Épreuve gélatino-argentique • 23,5 × 15,4 cm • Coll. Metropolitan Museum of Art, New York • © Metropolitan Museum of Art / RMN-GP

Georgia O’Keeffe (1887–1986) découvre le Nouveau-Mexique pendant l’été 1929, à Taos. L’artiste américaine est alors connue pour ses peintures de fleurs, en plan si resserré qu’elles en paraissent abstraites, et ses paysages urbains, en particulier ses représentations uniques de New York, où elle vit depuis 1918. Mariée depuis cinq ans au célèbre photographe et galeriste Alfred Stieglitz, qui a quitté sa femme pour elle, O’Keeffe est lasse de leurs vacances annuelles à Lake George, dans la propriété familiale de ce dernier, au nord de New York. Elle a renoué l’année précédente avec les terres de son Wisconsin natal, et souhaite repartir dans l’Ouest américain.

Elle sait aussi que Stieglitz, qui a 23 ans de plus qu’elle, la trompe avec une assistante de 41 ans sa cadette, et prend ses distances avec ce conjoint volage. Ce qui devait n’être qu’une escapade estivale s’avère une expérience fondatrice qui libère sa créativité et change le cours de son art – et de son existence. Comme elle l’expliquera plus tard : « Dès que je vis [le Nouveau-Mexique], ce fut mon pays. Je n’avais jamais rien vu de tel auparavant, mais cela me correspondait parfaitement. » L’artiste continuera à venir tous les ans avant de s’y installer de manière définitive, pendant les quatre dernières décennies de sa vie.

Georgia O'Keeffe, Pedernal

Georgia O’Keeffe, Pedernal, 1941

i

Huile sur toile • Georgia O’Keeffe Museum. Gift of The Georgia O’Keeffe Foundation • © Georgia O’Keeffe Museum. [2006.5.172] Photo: Tim Nighswander/IMAGING4AR

O’Keeffe consacre ses étés à l’exploration des terres arides du nord de Santa Fe, jusqu’à sa découverte du Ghost Ranch en 1934. Elle loue d’abord une maisonnette dans ce ranch à vocation touristique, 8 500 hectares d’étendues désertiques détenus par un couple aisé amoureux de la nature, Arthur et Phoebe Pack. Elle leur achètera un lopin de terre et une maison six ans plus tard !

Lire aussi article :  Les fils spirituels de Chiharu Shiota au musée Guimet

« C’est ma montagne privée »

O’Keeffe trouve les vues sur les paysages qui l’entourent irrésistibles, et confie à son ami, le critique d’art Henry McBride en 1939 : « Toutes les couleurs terre de la palette du peintre sont là ». Elle représentera le Cerro Pedernal, visible depuis le patio de sa maison, vingt-quatre fois. L’artiste voue à cet ancien volcan la même passion que Cézanne au mont Sainte-Victoire – ses cendres y seront d’ailleurs dispersées après sa mort. « C’est ma montagne privée », s’amuse-t-elle, « Dieu m’a dit que si je la peignais suffisamment, elle m’appartiendrait. » O’Keeffe est également fascinée par les falaises orange et jaune des collines qui s’élèvent au dos de sa propriété, et inspireront elles aussi nombre de ses œuvres.

Après Ghos Ranch, Georgia O’Keeffe jette son dévolu sur une ruine du XVIII<sup>e</sup> siècle tournée vers la nature.

Après Ghos Ranch, Georgia O’Keeffe jette son dévolu sur une ruine du XVIIIe siècle tournée vers la nature.

i

© Aude Adrien pour BeauxArts.com

Malheureusement, cette résidence au cœur du désert n’est pas habitable à l’année : l’eau manque et il est impossible d’y cultiver quoi que ce soit. O’Keeffe cherche activement un autre terrain à Abiquiú, à quelques kilomètres de là, et tombe amoureuse d’une ruine datant du XVIIIe siècle. Sis au sommet d’une mesa (ou plateau), le lot de près de deux hectares offre une vue plongeante sur la vallée du Rio Chama, tout en procurant à l’artiste la proximité confortable d’un village. O’Keeffe est séduite par la maison en pisé quand elle en découvre le patio parmi les ruines. La cour intérieure abrite un puits lui donnant accès à l’eau, ressource précieuse et rare qui lui permettra de créer un jardin potager, suffisamment grand pour assurer sa subsistance et celle de ses visiteurs.

C’est le long mur du patio, percé d’une porte donnant sur une salle secrète, qui la décide absolument à acquérir le site : «  Cette porte était une chose que je devais posséder » ; à droite, « My Last Door », 1952-1954

C’est le long mur du patio, percé d’une porte donnant sur une salle secrète, qui la décide absolument à acquérir le site : «  Cette porte était une chose que je devais posséder » ; à droite, « My Last Door », 1952-1954

i

© Aude Adrien pour BeauxArts.com ; © Georgia O’Keeffe Museum. [1997.6.29] Photo: Tim Nighswander/IMAGING4ART

Le mur du patio et sa porte, peinte en noir, feront l’objet de 18 peintures.

Mais c’est le long mur du patio, percé d’une porte donnant sur une salita (petite salle) secrète, qui la décide absolument à acquérir le site : «  Cette porte était une chose que je devais posséder », dira-t-elle plus tard. Elle se battra pendant dix ans pour acheter la maison en pisé – du moins ce qu’il en reste – alors détenue par l’archidiocèse de Santa Fe. En 1945, elle en devient propriétaire et commence sa rénovation avec l’aide d’une jeune écrivaine rencontrée quelques années plus tôt, Maria Chabot.

Lire aussi article :  Décès de la romancière québécoise Marie-Claire Blais

Pendant quatre ans, les deux femmes correspondront de manière quasi quotidienne : Chabot supervise les travaux sur place pendant qu’O’Keeffe gère la succession de Stieglitz, décédé en 1946. Elle s’installe définitivement dans sa nouvelle maison en 1949. Le mur du patio et sa porte, peinte en noir, feront l’objet de 18 peintures dans la décennie qui suit, dont quatre l’année même de son emménagement !

La chambre de Georgia O’Keeffe bénéficie elle aussi de cette vue imprenable sur la vallée et les montagnes. À droite, le vestiaire de l’artiste connue pour ses tenues épurées et amples.

La chambre de Georgia O’Keeffe bénéficie elle aussi de cette vue imprenable sur la vallée et les montagnes. À droite, le vestiaire de l’artiste connue pour ses tenues épurées et amples.

i

© Aude Adrien pour BeauxArts.com

La décoration est  profondément empreinte de l’esthétique japonaise.

La maison d’Abiquiú est une ode à la nature qui l’entoure : l’artiste dote son studio d’une immense fenêtre de près de cinq mètres de long, et sa chambre attenante bénéficie elle aussi de cette vue imprenable sur la vallée qu’elle aime tant et les montagnes qui la bordent. Le bois utilisé pour remettre la maison en état est récupéré localement, O’Keeffe parvient même à conserver le plafond d’origine, datant de 1744, dans l’arrière-cuisine.

Une suspension originale offerte par Isamu Noguchi

La décoration est, quant à elle, profondément empreinte de l’esthétique japonaise, qui eut un impact fondamental sur l’artiste à la fin de sa vie : en témoignent l’arbre de sauge taillé à la manière d’un – grand – bonsaï dans le patio, la palette de couleurs terre, vert sombre et beige de son intérieur, l’intrusion de pierres et de troncs dans la maison, ou encore la suspension originale offerte par Isamu Noguchi au-dessus de la table (qu’elle a elle-même dessinée) dans la salle à manger.

Lire aussi article :  Prix des carburants : une « indemnité inflation » de 100 euros
La salle à manger surplombée par une lampe offerte par Isamu Noguchi.

La salle à manger surplombée par une lampe offerte par Isamu Noguchi.

i

© Aude Adrien pour BeauxArts.com

O’Keeffe, qui partage son temps entre cette maison et celle de Ghost Ranch, n’aura de cesse de créer – malgré son handicap.

Aujourd’hui, tout est exactement dans l’état dans lequel O’Keeffe l’a laissé quand elle est définitivement partie pour Santa Fe en 1984, deux ans avant sa mort. On y trouve de nombreux os et pierres de sa collection, ainsi que certaines de ses rares sculptures – l’une en spirale, dans le studio, imite le mouvement hélicoïdal des cornes du bélier, deux autres, de forme conique et appartenant à une série (inachevée) de trois, se dressent dans le patio.

On découvre aussi certaines de ses céramiques, façonnées avec l’aide de son jeune protégé Juan Hamilton à partir de 1974 ; l’artiste, atteinte de dégénérescence maculaire, ne peut plus peindre sans assistance et décide de s’attaquer à ce nouveau médium… à 87 ans ! Car O’Keeffe, qui partage son temps entre cette maison et celle de Ghost Ranch, n’aura de cesse de créer – malgré son handicap.

On trouve aujourd’hui de nombreux os et pierres de sa collection, ainsi que certaines de ses rares sculptures.

On trouve aujourd’hui de nombreux os et pierres de sa collection, ainsi que certaines de ses rares sculptures.

i

© Aude Adrien pour BeauxArts.com

En déambulant dans les pièces dont chaque centimètre a été consciencieusement pensé, les mots de Carolyn Kastner, conservatrice du Georgia O’Keeffe Museum, prennent tout leur sens : « Ses maisons comptent parmi les œuvres les plus caractéristiques de la créativité de Georgia O’Keeffe. Elles sont une expression de sa connexion au Nouveau-Mexique. » Connexion si forte qu’elle colore tout l’espace, confondant les murs avec le désert, l’artiste avec son œuvre, et donnant au visiteur l’envie de se perdre dans ses tableaux autant que dans les terres arides qui les ont inspirés.

Arrow

Georgia O’Keeffe House Museum



Source link