La « Moda Povera » d’Olivier Saillard, cousue d’histoires


Dix minutes top chrono, une ribambelle de mannequins, une foule oppressante et une musique assourdissante : chaque défilé de mode parisien apporte avec lui son lot de stress et de précipitation. Alors que, lundi 23 janvier dernier, la maison de luxe Schiaparelli venait de présenter ses robes brodées de têtes de lions hyperréalistes, le lendemain, le couturier et historien de la mode Olivier Saillard transportait sa petite trentaine d’invités dans une bulle hors du temps. Organisée sous les ors du salon de la princesse à l’hôtel de Soubise, écrin très privé des Archives nationales, la présentation de ses vêtements haute couture condensait l’essentiel de son travail : un créateur, son mannequin complice et des pièces réalisées sur-mesure.

Dans ce lieu abritant de précieux documents historiques, les créations de tissu d’Olivier Saillard se muent en archives de sa propre histoire. Sobrement intitulée « Les vêtements de Renée », la collection puise son inspiration et sa matière dans la garde-robe de la mère du créateur, disparue il y a deux ans. Grâce aux savoir-faire de ses ateliers, il transforme ainsi une jupe et sa doublure satinée en robe à col plissé, un drap en haut structuré par de savants drapés… ou encore un mouchoir à carreaux en élégants petits gants !

Olivier Saillard, Photographie du défilé « Les vêtements de Renée » au salon de la princesse à l’hôtel de Soubise

Olivier Saillard, Photographie du défilé « Les vêtements de Renée » au salon de la princesse à l’hôtel de Soubise

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Seule sous les peintures rococo du plafond du petit boudoir, la très chic Axelle Doué, chevelure pâle et visage serein, parade devant les invités, se déshabille en justaucorps et collants noirs en attendant le prochain ensemble, déposé à ses pieds par le couturier. Ce dernier ferme un bouton, ajuste un col ou une manche puis la recoiffe délicatement, et s’éclipse à nouveau.

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Pendant plus d’une demi-heure, le duo répète ces gestes trente fois, dans un silence monacal seulement interrompu par le bruit des escarpins de la mannequin sur le parquet et de poèmes récités à haute voix par un membre de l’équipe. Écrits par Olivier Saillard pour présenter chacun des ensembles, les drapés sont ainsi décrits comme des « petits plis mémoire » ; une jupe est « abattue » en blouse du soir ; un haut se glisse « sous les remords d’une jupe d’humeur noire » ; un manteau aux « manches perdues » se transforme en cape…

Inscrivant chacune de ses collections au sein de son cycle de « Moda Povera », il imagine, dans la logique de l’upcycling, des vêtements bien plus complexes qu’il n’y paraît.

Inspiré par l’arte povera, son économie de moyens comme ses matériaux dits pauvres, Olivier Saillard crée sa mode à partir de presque rien. Inscrivant chacune de ses collections au sein de son cycle de « Moda Povera », il imagine, dans la logique de l’upcycling, des vêtements bien plus complexes qu’il n’y paraît. Et présente, par exemple en 2018, une collection de simples tee-shirts blancs pour son défilé haute couture ! Ou, comme ici, réutilise les tenues en coton ou en synthétique que portait sa mère pour les ériger au rang de matériaux nobles, au même titre que le taffetas, le cachemire ou la soie.

Olivier Saillard conçoit le vêtement comme un morceau d’histoire : celle de la personne qui le porte, l’a porté ou le portera, mais aussi celle du créateur, qui l’a imaginé, et de son atelier, qui l’a confectionné. Mais son histoire se veut vivante – sa maison Studio Olivier Saillard s’accompagne en effet du titre « Musée de la mode vivante » –, et se raconte à travers ses défilés-performances donnant libre cours (et corps) à son imagination.

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Après avoir organisé de nombreuses rétrospectives sur la vie et l’œuvre de grands créateurs de mode, le couturier en connaît un rayon : directeur du Palais Galliera, à partir 2010, il quitte ses fonctions en 2018 pour assumer la direction de la fondation dédiée au couturier franco-tunisien Azzedine Alaïa. Avant cette cinquième collection dédiée à sa mère, sa propre histoire était donc la seule qu’il n’avait encore jamais retracée.

45 minutes, peut-être une de plus ou une de moins, selon ses besoins : c’est le temps qu’Olivier Saillard a retenu ses invités ce 24 janvier pour présenter ses créations en hommage à sa mère. Deux photographes, un seul mannequin, pas de musique ni d’agitation. Une bulle hors du temps qui, lorsqu’elle éclate, ne laisse personne indemne. À commencer par le créateur, saluant à la fin de sa performance une salle émue où se trouvaient deux de ses sœurs. Les larmes coulent, les applaudissements pleuvent et les vêtements de leur mère reprennent vie, malgré l’absence, dans ce « musée vivant de la mode » si cher à monsieur Saillard.



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