La colère des femmes décryptée


État du monde : l’ère de la colère 

Something in the air

S’il y a une émotion palpable dans l’air actuel, c’est celle de la colère. Elle gronde, s’exprime et se montre.

Elle s’entend dans la violence verbale des réseaux sociaux et dans les propos disruptifs des dirigeants mondiaux. La colère se voit également dans les mouvements de grève rallongés, dans les revendications des gilets jaunes, dans l’urgence écologique, dans la dénonciation des Weinstein, Polanski et autres…

La société s’est radicalisée, comme diraient les experts. Or, la radicalisation c’est quoi, si ce n’est l’expression de la colère.

La colère des classes défavorisées, les sociologues et politologues la prédisent depuis 40 ans. Mais il y a une autre colère, que l’on n’attendait pas forcément et qui a surgi et tout chamboulé : c’est celle des femmes.

L’avènement de la colère des femmes

Pourquoi la colère des femmes a mis longtemps à surgir ? En quoi est-ce une bonne chose ? Et pourquoi certains hommes ne veulent pas en entendre parler ?

Ce sont les questions auxquelles répond Soraya Chemaly, journaliste et féministe notoire aux Etats-Unis, qui a publié « le pouvoir de la colère des femmes » aux éditions Albin Michel. Soraya Chemaly dissèque et retrace toutes les raisons qu’ont les femmes d’être en colère aujourd’hui.

Plus les femmes sont jeunes, plus elles sont conscientes de cette colère en elles. Contrairement à leurs aînées, leur colère n’est pas silencieuse, elles l’expriment. Pourquoi ? Parce que l’esprit de notre époque sur le féminisme est aux antipodes de celui des années 1950.

A cette période, l’environnement psycho-social inculquait aux femmes que la colère les rendait hostiles, laides, masculines, infertiles, folles, incompétentes hystériques. En clair, l’idée maitresse de l’époque était que la colère était la propriété exclusive des hommes.

La colère, propriété exclusive des hommes

Les émotions ont un sexe

Kirri Johnson, chercheuse en psychologie et techniques de communication à l’UCLA, a publié en 2011 une étude inédite sur la perception de la colère des hommes et des femmes. Elle démontre que la colère est perçue comme de la tristesse pour les femmes, alors que chez les hommes la colère se lit bien comme de la colère.

La chercheuse résume :

On trouve tout à fait normal que les hommes manifestent de la colère. On s’y attend. Mais quand les femmes éprouvent une émotion négative, elles, il faut que cela se manifeste par de la tristesse.

Cette étude conclut avec l’idée que les émotions sont genrées, que la colère appartient aux hommes et la tristesse aux femmes.

Or, cette idée n’est qu’une perception conditionnée par notre environnement social et culturel.

La colère spoliée

Est-ce une peur ancienne des femmes, remontant à la Préhistoire, qui a poussé les hommes à soumettre les femmes par le biais de la loi ou de l’emprise mentale ?

Dans l’éducation traditionnelle patriarcale, on tolère que les petits garçons fassent des crises de colère. C’est très bien même, c’est le signe d’un futur adulte plein d’énergie et de volonté.

Mais pour les petites filles, c’est un autre son de cloche. On attend d’elles qu’elles soient gentilles et calmes. Les petites princesses, l’idéal féminin, ne se roulent pas dans la boue en hurlant.

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Or, en opposant la colère à l’idée que l’on a d’une femme « comme il faut », on prive les femmes de cette émotion. De fait, on leur enlève une force émotionnelle qui pourrait les protéger. Bâillonnées psychologiquement, tout ce qui reste aux femmes est la tristesse.

La colère en tant que force libératrice

Car entre la colère et la tristesse, il existe une différence majeure. La colère, c’est le conflit la bagarre. Bats-toi ! Matthijs Baas, Carsten de Dreu et Bernard Nijstad, chercheurs en sciences sociales, montrent que contrairement à la tristesse, la colère c’est un jaillissement d’énergie incontrôlé et créatif, qui se ressent dans le corps avec un message déterminé, sans ambiguïté : agir immédiatement et se protéger de tout franchissement de limite.

La colère offre également le sentiment de maîtriser son sort, d’être indépendant et d’avoir un certain leadership. La colère se marie très bien avec l’idée de virilité du patriarcat.

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Alors que la tristesse, c’est une émotion de repli. Quand vous voyez une personne triste, vous pouvez voir sa fragilité, sa soumission, sa faiblesse. Ce qui se marie très bien avec l’image de la femme en tant que « beau sexe faible ».

Bien que la tristesse ne soit pas dénuée de vertus (elle permet la prise de recul et la remise en question), elle devient dangereuse dès lors qu’elle s’inscrit dans le temps et nous positionne en victime de la vie. On accepte son sort, on a moins d’attentes et on se satisfait de peu. On pourrait appeler cela de la résilience, mais ce serait se méprendre.

La résilience consiste à reconnaître que nous n’avons aucune prise sur les évènements extérieurs ou les autres. Par contre, elle n’empêche pas de chercher ses ressources pour améliorer sa situation. Et une des ressources pour les femmes, c’est la colère en tant que force libératrice.

La colère comme réveil des consciences

Le burn-out des femmes

Quand il y a un soulèvement, une révolte, cela ne vient jamais d’une seule et unique raison. C’est la somme d’un grand nombre de motifs. Ce cumul aboutit à une prise de conscience d’un ras-le-bol. Les esprits bouillonnent et fulminent, jusqu’à ce que la moindre petite injustice soit ajoutée, et là, la colère explose.

Pour les gilets jaunes, c’était le prix du carburant. Pour les Chiliens, le prix du ticket de métro, ou encore pour les Libanais une taxe sur WhatsApp. Ces motifs ne sont pas les vraies raisons, ce sont juste la dernière goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Or, les femmes ne manquent pas de raison de se mettre en colère :

  • Dans le domaine médical, pas un récit de femmes atteintes d’endométriose n’évoque un passage qui évoque le déni de leur souffrance par des hommes gynécologues .
  • Dans les foyers, les femmes s’occupent davantage des enfants, de l’organisation de la maisonnée. Ce que l’on appelle la charge mentale et cela les prive de temps pour elles et leur repos.
  • Dans les bureaux, les inégalités salariales, les différences de traitements, de considérations sont autant d’injustices. L’ambition d’une femme se paie au prix de sa santé.
  • Dans leurs corps. La pression pour rentrer dans les canons de beauté se paie également par une fatigue mentale. Fatigue qui est devenue une colère comme en témoigne le mouvement du body positive . Il exprime son ras le bol d’être esclave de son apparence pour être conforme au diktat du corps mince et musclé.
  • De la rue, où selon un sondage IFOP datant de novembre 2018, 86% des femmes déclarent avoir subi au cours de leur vie au moins une forme d’atteinte ou d’agression sexuelle dans la rue, du regard appuyé au viol.
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Or, quand les femmes n’assument pas leur colère, elles tombent malades. Grâce à des nombreuses études, dont celles des docteurs Lisa Molis, (« Sex Differences in Cardiovascular Health: Does Sexism Influence Women’s Health ? Publiée en 2104), et de Patricia Van Velsor et Joseph Hulgus (Who Me, Angry ? Patterns of Anger Diversion on Women en 2004), on sait maintenant que certaines maladies sont directement liées à la perception et à l’expression de la colère comme :

  • Les troubles endocriniens.
  • Les troubles immunitaires. Avec le temps, la colère retenue libère dans le sang trop d’adrénaline et de cortisol, des hormones du stress, qui, à long terme, usent le système immunitaire, digestif, de croissance et l’appareil reproductif. Le seul fait de se remémorer sa colère provoque une chute d’anticorps, notre première défense contre la maladie.
  • Les troubles cardiaques. Les femmes qui refoulent leur colère ont deux fois plus de risques de mourir d’une maladie cardio-vasculaire.
  • Les troubles musculosquelettiques,
  • Les maux de tête.

Quel avenir pour les rapports hommes / femmes ?

A partir de ce constat, posons-nous la question : qu’est-ce que cette colère va changer dans les rapports hommes / femmes ?

On entend souvent les hommes s’inquiéter : comment pouvoir aborder une femme sans passer pour un harceleur ? Soraya Chemaly s’émeut fort peu de leur nouvelle situation. Après tout, les hommes vont connaître ce que les femmes vivent depuis des siècles.

Ne doivent-elles pas faire attention à ce qu’elles disent en présence d’un homme ? Ne doivent-elles pas faire attention à ce qu’un sourire, une gentillesse, une politesse, ne soient pas perçus comme une invitation sexuelle ? Peut-être que ces préoccupations du comportement à adopter vis-à-vis d’une femme n’inquiètent que ceux qui les prenaient pour des objets de désir sans âme ni volonté propre.

Beaucoup regardent la femme comme une somme de détails (nez, bouche, sein, fesse, cheveux etc.), et l’homme comme un ensemble. Cela pourrait paraître anodin, mais pas tant que cela. Selon une étude de 2012 menée par la chercheuse Susan Fiske de l’université de Princeton, quand un homme voit une femme en bikini, ce qui s’active dans leur cortex préfrontal est la zone de reconnaissance des objets inanimés, et non la zone de reconnaissance des êtres humains.

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Ce qui a particulièrement choqué la chercheuse, et créée un petit tollé médiatique, c’est que chez certains participants, la zone de reconnaissance d’un être humain ne s’activait plus du tout devant une femme. Que celle-ci soit en bikini ou non.

Les quelques participants issus de l’âge de Fer ne représentent aucunement tous les hommes. Loin s’en faut. Néanmoins, ces résultats font la démonstration qu’il existe bien une violence inouïe qui fait encore des ravages, et elle justifie pleinement que la colère des femmes ait éclaté.

La colère a le pouvoir de remettre les points sur les i et de remettre de l’ordre dans les quelques esprits libidineux et abjects qui rôdent encore.

 Les pouvoirs de la colère

Les 5 vertus de la colère

La colère, dirigée, conscientisée, peut-être une véritable force. Elle permet de :

  1. Cultiver la conscience de soi.
  2. De s’affirmer et gagner en assurance. On a plus de facilité à dire non.
  3. De gagner en courage en repoussant ses peurs et en acceptant une terrible épreuve : celle de ne pas être apprécié. Quand une femme élève la voix, elle est vite taxée d’emmerdeuse. Qu’à cela ne tienne. Si ces gens ne se demandent pas pourquoi vous êtes en colère, alors ils vous dénigrent, et ne méritent pas que vous vous inquiétiez de ce qu’ils pensent.
  4. De prendre (bien) soin des autres. Au bureau, chez soi, on peut faire attention aux autres sans se négliger pour autant. Cela consiste à demander de l’air et de partager la charge mentale.
  5. De ne plus se taire devant l’injustice quand elle croise notre route. Si vous la croisez au bureau, la peur de perdre son gagne-pain, de voir sa réputation malmenée, peut vous faire garder le silence. Face à l’inacceptable, une seule stratégie marche, c’est celle du nombre. Quel que soit le contexte, cherchons des alliés, verbalisons le problème, et affrontons ensemble la hiérarchie.

Le pouvoir du changement

La colère des femmes obligera les hommes à prendre conscience qu’elles ne sont pas différentes d’eux. Qu’elles aspirent à vivre tranquillement, à avoir des ambitions, des souhaits et que leur objectif final n’est pas d’éradiquer les hommes mais bien de vivre en harmonie avec eux. En égaux !

Il a d’ailleurs été démontré que les hommes qui vivaient en bonne intelligence avec les femmes étaient plus heureux et vivaient mieux. Encore mieux, à l’échelle nationale, c’est toute la société qui gagne en paix et en harmonie.

Valérie Hudson, professeure de sciences politiques à la Rice University de Houston, a montré que le meilleur indicateur de degré de sérénité et de sécurité d’une nation était la manière dont les filles étaient éduquées et traitées au sein de leur famille.

A ce titre, nous vous renvoyons aux 15 préceptes d’une éducation féministe de Barbara Polla pour filles comme pour les garçons afin de faire de faire du principe d’égalité une réalité pour tout le monde !

Source : Soraya Chemaly, Le pouvoir de la colère des femmes, éditions Albin Michel, 2019





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