Jérôme Bosch, gourou de la musique rock


Des êtres étranges, des animaux, des hommes, des flammes, des rêves mais surtout une flopée de cauchemars… Quelle diablerie ! Hieronymus Bosch, dit Jérôme Bosch, a vu le jour en 1450 à Bois-le-Duc, cité des Flandres, où il signe, jusqu’à sa mort en 1516, d’énigmatiques tableaux en lettres gothiques. Dans l’Europe des XVe et XVIe siècles, marquée par les crises religieuses, Jérôme Bosch fait montre d’une inventivité hors normes, qui intrigue encore les spécialistes de l’art primitif flamand : « Nous avons foré quelques trous dans la porte de la pièce condamnée, mais nous n’avons pas encore trouvé la clef », dira par exemple l’historien d’art Erwin Panofsky. Ces visions symboliques ont inspiré nombre d’artistes surréalistes, de Max Ernst à Salvador Dalí, qui trouveront en lui un terreau pour faire pousser les peurs de l’inconscient. Mais pas seulement !

Jérôme Bosch, La Nef des fous

Jérôme Bosch, La Nef des fous, vers 1500–1510

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Huile sur bois • 58 × 32,5 cm • Coll. musée du Louvre, Paris

Cinq siècles après sa mort, Jérôme Bosch hante la scène musicale rock. Dès les années 1960, ses images de péchés fascinent les pionniers du genre. C’est l’époque où, à l’aune de l’histoire de l’art, on redécouvre le peintre du Nord tombé dans l’oubli. En premier lieu Jim Morrison ! En 1963, pas encore leader des Doors, il consacre son mémoire d’étudiant à Jérôme Bosch avançant que le peintre croyant (il était membre de la confrérie religieuse locale) appartenait à une secte libertaire, les adamites, prônant l’amour libre et la nudité. Envoûté par l’art de Bosch, Jim Morrison lui réserve également plus qu’un clin d’œil avec le titre Ship of Fools, référence directe à La Nef des fous, sujet d’une huile sur bois attribuée à l’artiste. Quelques années plus tard, La Cure de la folie, autre œuvre de Bosch, inspire au groupe punk rock Wire un couplet dans l’album The Ideal Copy (« Master cut the stone out, my name is Lubbert Das » / Maître, coupe cette pierre, mon nom est Lubbert Das), citation directe de la peinture.

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En 1969, le groupe Deep Purple est un des premiers à emprunter des détails du panneau de l’Enfer du Jardin des délices.

Mais c’est un autre de ses chefs-d’œuvre qui, de loin, plane sur l’imagerie rock, punk, métal et trash – et non des moins mystérieux puisqu’il s’agit du célèbre triptyque du Jardin des délices, conservé au musée du Prado, à Madrid. Exécutée vers 1500, dans les dernières années du peintre, l’œuvre représente le Paradis et l’Enfer, deux panneaux qui encadrent au centre un paysage luxuriant, le Jardin, probable évocation de la Terre avant le Déluge. Des centaines de personnages nus comme des vers batifolent avec des créatures chimériques, des chèvres, des oiseaux et des dromadaires, des baies rouges démesurées, le tout composant une vaste orgie des sens.

Cette décadence, ce mystère, cette atmosphère survoltée sont des ingrédients prompts à séduire plus d’un rebelle de la musique. En 1969, le groupe Deep Purple est un des premiers à emprunter des détails du panneau de l’Enfer du Jardin des délices, transposés en noir et blanc pour la pochette de son album éponyme. Et ils ne seront pas les seuls !

Celtic Frost, Pochette de l’album « Into the Pandemonium »

Celtic Frost, Pochette de l’album « Into the Pandemonium », 1987

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Du hardrock au métal, de nombreux groupes du mouvement rock ont basé leur identité visuelle sur les motifs de Bosch, notamment Celtic Frost, figure du death metal, qui choisit l’Enfer du Jardin des délices pour la pochette d’Into the Pandemonium en 1987 : une immersion grinçante dans les entrailles du mal ! Plus légers, les Australiens de Dead Can Dance adoptent en 1990 pour leur cinquième album, intitulé Aion (éternité en grec ancien), un détail du panneau central du Jardin, où deux amoureux sont coincés dans une bulle.

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Outre la reprise des détails, le chef-d’œuvre de Jérôme Bosch donne aussi lieu à d’inventifs collages. Exemple avec Ray Manzarek (ex-clavier des Doors) pour la pochette de Carmina Burana, où les personnages de Bosch et de son confrère flamand Van Eyck jouent de la guitare et de la batterie. Plus proche de nous, le peintre de la Renaissance flamande s’invite aujourd’hui dans l’univers rock à travers la réalité virtuelle, à l’instar du clip hallucinant (à voir ci-dessous) du guitariste Buckethead qui nous entraîne dans une promenade effrénée au sein du Jardin. Bienvenue en enfer !



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