Hallucinations et selfies à gogo : on a testé le musée de l’Illusion


Le musée de l’Illusion à Paris

Le musée de l’Illusion à Paris

i

« Ne vous inquiétez pas, vous pourrez prendre plein de photos ! » Derrière le comptoir de l’accueil, un jeune homme rassure au téléphone une personne préparant sa venue en famille au musée de l’Illusion. Fermé trois mois à peine après son inauguration, en décembre, en raison de la pandémie de Covid-19, le lieu peut se targuer d’être le premier « musée » (à prendre ici avec des pincettes) à avoir réouvert ses portes à Paris, dans un contexte sanitaire plus que délicat. En cette journée du mois de juillet, où le thermomètre flirtait avec les 40 degrés, nous sommes accueillis (incognito) avec enthousiasme.

Prière de toucher

Après une vérification en bonne et due forme de notre réservation en ligne (pour la coquette somme de 36 euros pour deux adultes, soit 18 euros par personne), l’employé nous explique le concept de ce musée dédié aux illusions d’optique, où l’on peut « à peu près tout toucher, tout expérimenter ». « Du gel hydroalcoolique est à votre disposition, poursuit-il, et même si certaines installations sont fermées à cause du Covid, vous pourrez presque tout tester. » Ouf, nous voilà rassurés. Nous empruntons donc l’escalier menant au premier étage du musée, où débute le parcours. De part et d’autre des murs, des stickers rappellent, lors de l’ascension, le tag du musée sur Instagram, c’est-à-dire le pseudo grâce auquel les internautes peuvent, sur le réseau social, identifier le lieu et partager leurs plus beaux clichés pris lors de leur visite.

Vue du musée de l’Illusion

Vue du musée de l’Illusion

À l’étage, premier constat : pas un visiteur à l’horizon. Seule résonne de la musique sortant des enceintes disséminées aux quatre coins de ce musée fantôme (bonne playlist au demeurant, les amateurs de rock indé apprécieront). La lumière blafarde est, il faut le dire, plutôt angoissante, donnant parfois l’impression de se trouver plutôt à l’hôpital. Notre regard balaye les murs où sont accrochées non pas des œuvres, mais des reproductions d’illusions d’optique, inspirées, entre autres, des travaux des psychologues allemands Ewald Hering et Franz Müller-Lyer. Un carré observé fixement se mue en rond, une autre forme paraissant au premier coup d’œil complètement plane semble tout à coup jaillir de son support, deux flèches de tailles différentes s’avèrent finalement parfaitement similaires… Bref, de grands classiques ! Mais bien que très connues, ces illusions amusent toujours la galerie, tant elles titillent nos perceptions et chatouillent nos certitudes à coup d’antagonismes. Un groupe de trois amis, qui nous a finalement emboîté le pas lors de la visite, tente d’en percer les mystères et s’en donne à cœur joie !

Lire aussi article :  [Réservé aux abonnés] À quoi ressemble Atys, l’opéra baroque d’Angelin Preljocaj, Jeanne Vicérial et Prune Nourry ?

Comme dans n’importe quel musée, des cartels disposés de part et d’autre des diverses expériences tentent d’expliquer ces phénomènes. Ne vous attendez toutefois pas à trouver ici des renseignements scientifiques. Très descriptifs, les textes mentionnent à peine les inventeurs de ces illusions ! Pour le reste, heureusement, il y a Google.

La salle d’Adelbert Ames

La salle d’Adelbert Ames

i

Guidés par le marquage au sol (pandémie oblige, le musée a prévu un sens de circulation), nous voici désormais arrivés dans une pièce défiant les lois de la gravité, tapissée de motifs géométriques, que Vasarely n’aurait sans doute pas réprouvé. Imaginé par Adelbert Ames, un ophtalmologue américain, le principe de cette illusion réside dans le fait que l’espace nous paraît cubique alors qu’il est en fait trapézoïdale. Son sol, légèrement pentu, fait ainsi perdre inéluctablement l’équilibre à celui qui s’y aventure. Sommes-nous ici plus étourdis par la perte de repères ou par l’odeur (entêtante) de plastique du en PVC turquoise, kitsch à souhait ? Mystère.

Selfie or not selfie ?

C’est alors qu’une jeune fille arborant un badge du musée nous propose d’entrer dans une autre pièce au nom mystérieux : la « salle infinie ». La porte à peine poussée, l’on comprend qu’il s’agit d’un grossier plagiat des fameuses Infinity Mirror Rooms de l’artiste japonaise Yayoi Kusama. Ces pièces couvertes du sol au plafond de miroirs, éclairées par une lumière aveuglante ou au contraire par des milliers de petites diodes luminescentes, sont bien connues des amateurs d’art contemporain. A tel point que ceux-ci font parfois la queue pendant de longues minutes dans les musées où elles sont installées avant de pouvoir y pénétrer. Aussi magiques qu’étranges, ces environnements cosmiques où tout semble démultiplié à l’infini, sont de la même manière particulièrement plébiscités par les internautes sur Instagram, friands de cette esthétique hallucinogène : chaque cliché pris dans une room de Kusama et posté sur la plateforme provoque immédiatement une déferlante de likes et de commentaires.

Les visiteurs sont en permanence invités à se mettre en scène dans toutes sortes de décors et à assumer pleinement leur narcissisme.

Pas de doute ici, nous sommes moins dans un musée de l’illusion que dans un musée du selfie. Comme au Museum of Ice Cream à Los Angeles ou à la Color Factory à New York – deux exemples parmi d’autres de « musées » taillés pour le partage de photos et de vidéos sur les réseaux sociaux –, les visiteurs sont en permanence invités à se mettre en scène dans toutes sortes de décors et à assumer pleinement, face à un miroir ou à la caméra frontale de leur smartphone, leur narcissisme. Et que ceux qui ne seraient pas habitués à l’exercice se rassurent, au musée de l’Illusion des cartels spécifiques montrent l’exemple, suggérant des poses et des mimiques ! Au sol, différents marquages indiquent aussi le meilleur angle pour un cliché réussi… Même le personnel du musée propose aux visiteurs, pour la plupart venus en famille ou entre amis, de les prendre en photo.

Lire aussi article :  Alors on danse Bande-annonce VF

Le tunnel Vortex et la Color Room du musée de l’Illusion

Le tunnel Vortex et la Color Room du musée de l’Illusion

i

Entre la fête foraine et le parc d’attraction, la visite se poursuit et s’achève au rez-de-chaussée du musée. Au pied de l’escalier, un mur blanc est éclairé par des spots lumineux. En se plaçant devant ces derniers, l’ombre du visiteur se trouve diffractée et projetée sur la surface, rappelant étrangement la célèbre œuvre d’Olafur Eliasson, Your Uncertain Shadow. En face, on pense une nouvelle fois à l’artiste islandais et son One-Way Color Tunel en traversant le clou de la visite, le Vortex. Comprenez un tunnel infernal long de plusieurs mètres, aux parois mouvantes et à la lumière stroboscopique, dont la périlleuse traversée, provoquant nausées et vertiges, est déconseillée aux enfants comme aux personnes souffrant d’épilepsie.

Sticker « I’m watching you »

Sticker « I’m watching you »

i

© Musée de l’illusion

Une fois les yeux à nouveau en face des trous, une dernière expérience attire notre attention. Il s’agit de deux gros yeux, qui nous fixent étrangement. Un « regard troublant », précise le cartel, qui comme celui de la Joconde nous suit dans nos moindres mouvements jusqu’à la sortie de ce musée de l’Illusion, qui est finalement lui-même l’illusion d’un musée ! De retour au point de départ, entre fou rire et malaise, à peine trente minutes après le début de notre visite, on ne sait quoi répondre au jeune homme de l’accueil qui nous lance, tout sourire : « Vous vous êtes bien amusés ? J’espère que vous avez pris plein de photos ! »



Source link