Ep.4 : Qui a tiré sur Andy Warhol ?


Au printemps 1968, Andy Warhol est déjà l’un des artistes les plus célèbres des États-Unis. Sa mythique Factory aux murs d’argent, inaugurée en 1964 dans un loft de Manhattan, vient de déménager au 6e étage du 33 Union Square West. Dans cet atelier devenu un bastion de la contre-culture, l’excentrique peroxydé s’entoure de personnages étranges. Jour et nuit, ses portes restent ouvertes à tous vents, accueillant pêle-mêle artistes décalés, membres de la jet set new-yorkaise et paumés toxicomanes qui se retrouvent pour faire la fête ou produire des tableaux à la chaîne. L’artiste y tourne des films sur le pouce, portraits d’une jeunesse déjantée.

Soirée dans la Factory d’Andy Warhol (231 East 47th Street) à New York

Soirée dans la Factory d’Andy Warhol (231 East 47th Street) à New York, 1965

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Coll. Premium Archive • Photo Fred W. McDarrah / Getty Images

Mais le 3 juin 1968, une illuminée débarque dans le hall de la Factory armée d’un Beretta, et tire plusieurs balles en direction du maître des lieux, puis de son compagnon et de son imprésario. Son pistolet s’étant enrayé, la tireuse quitte l’immeuble avant de se rendre à la police quelques heures plus tard. Warhol, lui, est dans un état critique : une balle lui a transpercé le poumon, la rate, l’estomac, le foie et l’œsophage. Transporté à l’hôpital, puis déclaré cliniquement mort, l’artiste survit miraculeusement. Le photographe Richard Avedon immortalise ses blessures qui le laisseront traumatisé à vie, et contraint de porter un corset jusqu’à la fin de ses jours.

Onbekend, Photographie de l’arrestation de Valerie Solanas

Onbekend, Photographie de l’arrestation de Valerie Solanas, 1968

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Coll. Spaarnestad • © Archive nationale / Photo Onbekend / Bridgeman Images

La coupable ? Une certaine Valerie Solanas, qui fréquentait la Factory. Cette féministe de 32 ans, abusée par son père puis battue par un grand-père alcoolique, avait quitté son foyer à 15 ans pour la rue, où elle mendiait et se prostituait pour survivre. Malgré tout, elle avait brillamment obtenu un diplôme de psychologie à l’université du Maryland avant d’arriver à New York en 1965, où elle avait replongé dans la prostitution et la drogue tout en se consacrant à l’écriture. En 1967, elle autoéditait un pamphlet misandre : le SCUM Manifesto (SCUM pour « Society for Cutting up Men » ou « Société pour la castration des hommes »), clamant la supériorité des femmes… appelées à « renverser le gouvernement » et « éliminer le sexe masculin » !

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Andy Warhol, Affiche du film « Bike Boy »

Andy Warhol, Affiche du film « Bike Boy », 1967

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© Telegraph Repertory Cinema

Son mobile ? Une pièce de théâtre délicieusement intitulée Up your ass (Dans ton cul), dont elle avait confié l’unique exemplaire à Warhol dans l’espoir qu’il la produise. L’artiste, qui avait trouvé trop extrême cette histoire d’une prostituée mendiante qui haît tant les hommes qu’elle finit par en tuer un, prétextait l’avoir égarée et ignorait les appels insistants de son auteure. En guise de dédommagement pour le manuscrit « perdu », il l’avait finalement fait jouer dans deux de ses films, I, a Man (1967) et Bikeboy (1967) pour une poignée de dollars. Mais Solanas restait persuadée qu’il avait gardé son texte pour le lui voler…

Quelques heures avant le drame, Valerie se rend chez une jeune productrice de 23 ans, Margo Feiden, à qui elle demande de produire sa pièce. Son interlocutrice, qui n’apprécie guère son projet d’éradication de la gent masculine, refuse. Déterminée, Valerie sort son arme. « Je vais tirer sur Andy Warhol et ça me rendra célèbre et ça rendra la pièce célèbre, et ensuite vous la produirez ! » lance-t-elle avant de partir en direction de la Factory. Alarmée, Feiden appelle plusieurs commissariats. Hélas, elle n’est pas prise au sérieux…

Diagnostiquée schizophrène et paranoïaque, Solanas est condamnée à trois ans de prison et incarcérée dans un asile pour criminels. À sa sortie, elle menace de nouveau l’artiste, ce qui la conduit à être de nouveau internée pour plusieurs années. Qu’avait-elle aimé chez Warhol, elle qui détestait tant les hommes ? Peut-être avait-elle l’impression de retrouver un peu d’elle-même chez cet artiste homosexuel et androgyne à l’enfance difficile, misanthrope et provocateur, révolutionnaire dans sa façon de dynamiter les concepts d’art et d’artiste… et intéressé par la violence américaine, comme en témoignent ses sérigraphies Silver Car Crash (Double Disaster) (1963), Race Riot (1964) et Big Electric Chair (1967).

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Profondément marqué par l’événement, Warhol peindra plus tard une série de crânes et une autre figurant des armes à feu [ill. en une]. Sur ses gardes, il transforme son atelier underground en agence et développe une phobie des hôpitaux qui le pousse à procrastiner durant des années une opération de la vésicule biliaire. C’est sans nul doute que les séquelles de cette tentative d’assassinat pèsent dans la balance lorsqu’il succombe d’un arrêt cardiaque le lendemain de cette intervention, le 22 février 1987. L’année suivante, Solanas décède des suites d’une pneumonie dans un hôtel miteux de San Francisco où elle se prostituait pour vivre. En 2000, sa fameuse pièce, retrouvée en 1999 au fond d’une malle, est jouée dans un théâtre voisin du lieu de sa mort. Un but atteint d’une bien triste façon…

La Faculté des rêves

Par Sara Stridsberg

Éd. Stock • 420 p. • 22,50 €

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