Ép. 2 : L’Armory Show (1913), l’art moderne à la conquête de l’Amérique


Ce fut un spectacle grandiose. Un show à l’américaine, devenu la plus importante exposition d’art moderne aux États-Unis. La recette de son succès ? Plus de 1 300 œuvres, des grands noms de la peinture américaine et des avant-gardes européennes rassemblés dans un lieu hors norme, un battage médiatique sans précédent et 70 000 visiteurs rien que pour son édition new-yorkaise… L’Armory Show, présenté dans une ancienne caserne militaire du quartier de Rose Hill à Manhattan du 17 février au 15 mars 1913, a fait l’effet d’une bombe dans l’histoire de l’art du début du XXe siècle.

Vue de l’une des salles de l’exposition de l’Armory Show à New York

Vue de l’une des salles de l’exposition de l’Armory Show à New York, 1913

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Tout a commencé en 1911, à la Madison Gallery. C’est là que les peintres américains Jerome Myers, Elmer MacRae et Walt Kuhn discutent avec Henry Fitch Taylor, directeur de la galerie. Leur principal sujet de conversation ? La scène américaine, et surtout, la National Academy of Design, qui bride la jeune création… Ainsi est née, quelques semaines plus tard, l’Association des peintres et sculpteurs américains (Association of American Painters and Sculptors), bientôt formée de 50 artistes. Sa mission : organiser, à New-York, une grande exposition d’art contemporain !

Affiche de l’ArmoryShow

Affiche de l’ArmoryShow, 1913

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Alors que la préparation de l’événement suit son cours – non sans quelques débats internes –, une découverte vient tout bouleverser : en 1912, le peintre Arthur B. Davies, qui vient de rejoindre l’association, tombe sur le catalogue de l’exposition de Sonderbund, qui a rassemblé, en 1912 à Cologne, Vincent Van Gogh, Pablo Picasso, Edvard Munch ou encore Paul Cézanne. C’est une révélation. « J’aimerais que nous puissions faire une exposition comme celle-ci », déclare-t-il à Walt Kuhn. Sans attendre, celui-ci saute dans un bateau et arrive, juste à temps, pour voir les fameux tableaux que l’on commençait à décrocher des cimaises. Amsterdam, Munich, Berlin et bien-sûr Paris… L’artiste, enthousiaste, continue son périple à travers l’Europe et rencontre les artistes des avant-gardes, des collectionneurs et des marchands d’art (parmi lesquels Ambroise Vollard).

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De retour à New-York, une véritable course contre la montre s’enclenche alors : de fin novembre 1912 à février 1913, l’Association des peintres et sculpteurs américains organise le transport de 500 œuvres depuis le vieux continent, rassemble près de 1 000 pièces d’artistes américains, rédige le catalogue… Un travail de titan, qui aboutit finalement à l’inauguration de l’Armory Show le 17 février 1913 en grande pompe, avec plusieurs milliers d’invités ! D’emblée, le New York Post annonce la couleur : « L’art américain ne sera plus jamais ce qu’il a été. »… Mais les européens lui voleront la vedette !

L’Armory Show, dans le bâtiment du 69th Regiment Armory

L’Armory Show, dans le bâtiment du 69th Regiment Armory, 1913

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Certains critiques, n’épargnent pas ces artistes qualifiés de « faussaires », de « fous » ou encore de « dégénérés ».

L’exposition, agencée en une quinzaine de sections, fait se côtoyer les œuvres d’Eugène Delacroix, Jean Auguste Dominique Ingres, Gustave Courbet, avec celles des pionniers de la modernité comme Vincent Van Gogh, Paul Gauguin ou encore Paul Cézanne. C’est d’ailleurs à cette occasion que le Metropolitan Museum of Art (Met) achète La Colline des pauvres, la première œuvre du maître d’Aix à rejoindre ses collections ! Parmi la jeune garde figurent les Fauves (Henri Matisse – dont la réception fut très mitigée –, Raoul Dufy, Albert Marquet, Georges Rouault, André Derain, Maurice de Vlaminck), les cubistes (Pablo Picasso, Georges Braque, Fernand Léger, Albert Gleizes) et d’autres grands noms comme Constantin Brâncuși, Francis Picabia, et les frères Raymond et Jacques Duchamp-Villon, alors illustres inconnus pour le public américain !

Tandis que l’exposition est célébrée par la presse américaine comme un grand événement, certains critiques, en revanche, n’épargnent pas ces artistes qualifiés de « faussaires », de « fous » ou encore de « dégénérés ». Théodore Roosevelt, de passage au pavillon, s’offusque : « Ce n’est pas de l’art ! ». Une œuvre fait particulièrement scandale : le célèbre Nu descendant l’escalier de Marcel Duchamp. Largement moquée, et même caricaturée dans les journaux, elle est décrite comme « une fabrique de tuiles en explosion ». Mademoiselle Pogany de Brâncuși est quant à elle qualifiée de « ligne à un œuf de femme ».

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Armory Show, la salle cubiste, lors de l’étape à l’Art insitute de Chicago

Armory Show, la salle cubiste, lors de l’étape à l’Art insitute de Chicago, 1913

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© Matteo Omied / Alamy / Hemis

L’association avait-elle pressenti un tel torrent de moqueries ? Quelques semaines avant l’inauguration et pendant toute la durée de l’exposition, elle avait mis en place une véritable stratégie de communication, inondant la presse de communiqués, de publicités et de tracts, faisant de l’Armory Show un événement artistique et médiatique d’ampleur inédite. Itinérante, l’exposition s’est également tenue la même année à Chicago et à Boston attirant au total plus de 200 000 visiteurs ! Le soir de l’inauguration new-yorkaise, le collectionneur et mécène John Quinn écrivait : « La soirée d’aujourd’hui n’entrera pas seulement dans les annales de l’art moderne américain, mais dans celles de l’art moderne tout court. » Preuve en est qu’il avait eu du flair !



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