Comprendre Joseph Beuys en 5 vidéos



1. Un humour emprunté à Fluxus

L’anecdote est aussi connue que lui : engagé très jeune dans l’armée de l’air allemande, Joseph Beuys (1921–1986) a connu, à l’âge de 22 ans, un grave accident d’avion, fondateur dans sa vie d’artiste. Il raconte avoir été soigné par des Tatars, qui l’auraient nourri de miel, couvert de graisse et enveloppé dans des couvertures de feutre ; autant de matériaux pauvres mais salvateurs, qu’il emploiera obsessionnellement tout au long de sa carrière… Cette vidéo de 1970 le montre assis devant une télévision dont l’écran est couvert de feutre ; l’artiste se boxe le visage devant l’écran, balade une saucisse sur sa surface puis place la télévision face à un panneau de feutre. « L’observateur lui-même est tout aussi important que ce qui sort de la boîte », dira-t-il. Proche du mouvement anti-art Fluxus, l’artiste en adopte l’irrévérence, l’humour et le regard critique.

2. Un pionnier de l’art écolo

Atterré face aux destructions provoquées par les industries, Joseph Beuys est un pionnier de l’art écologique occidental. En 1982, il plante le premier chêne d’une série de 7000 lors de la Documenta 7 de Cassel, en Allemagne : l’idée est d’inviter les gens à faire de même dans toute la région. Chaque arbre doit être voisin d’une colonne de basalte de 1 m 20 de hauteur, vendue pour 500 marks aux visiteurs. Également au nombre de 7000, celles-ci sont entreposées devant le musée ; leur entassement diminue petit à petit et donne à voir la progression de cet ambitieux projet de reboisement… Tout aussi emblématique, la performance I Like America and America Likes me (1974) a duré trois jours : dans l’enceinte d’une galerie de New York (qu’il a rejointe sans poser un pied sur le sol américain, transporté en civière depuis l’Allemagne, conformément à sa promesse de ne pas y revenir avant la fin de la guerre du Viêt Nam), l’artiste enveloppé de feutre interagit avec un coyote, qu’il apprivoise… Et prône la réconciliation entre les hommes et la nature, tout en faisant référence aux Indiens décimés par les colons, le coyote étant pour eux sacré.

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I Like America and America Likes Me

3. Un chaman allemand

Le public est resté à la porte trois heures durant. Puis, enfin, a pu pénétrer dans la galerie Schmela (Düsseldorf) qu’arpente Joseph Beuys ce 26 novembre 1965, un lièvre mort dans les bras. Jusqu’ici, les patients visiteurs avaient pu apercevoir à travers la vitre que l’artiste parlait au petit animal, et entendre ses murmures sur l’art (la performance s’intitulant Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort). Mais là, il leur tourne carrément le dos ! Son visage, couvert de miel et d’or, est synonyme selon lui de fécondité, de pensée vive : « Le miel est une substance essentiellement vivante, et la pensée de l’homme peut le devenir aussi. D’un autre côté, l’intellectualisation peut tuer la pensée : on peut tuer son esprit par la parole en politique ou sur le terrain académique. » L’inventeur du concept de « sculpture sociale », qui déclarait volontiers que « chaque homme est un artiste », voyait en l’art bien plus qu’un produit marchand, destiné à flatter le goût de collectionneurs fortunés et instruits : pour lui, l’art et la vie ne font qu’un, et ses performances ont l’allure de rituels chamaniques.

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Wie man dem toten Hasen die Bilder erklärt

4. Les luttes d’un anticapitaliste

Manifester, d’accord. Retrouver ses amis et collègues pour brandir dans la rue des pancartes contestataires, très bien. Mais qui nettoie les déchets, une fois le cortège passé ? Les plus pauvres et les plus fragiles – c’est en tout cas ce que met en évidence Beuys le 1er mai 1972, en balayant avec deux étudiants étrangers les restes d’une manifestation pour la fête du travail. Les travailleurs étrangers sont alors les plus mal payés du pays, et sont mal défendus par les syndicats. Comme très souvent lors de ses actions, mais ici avec une clarté absolue, l’artiste utilise sa pratique artistique pour se mettre délibérément en retrait du capitalisme, qu’il considère destructeur et esclavagiste. Il affirme sa liberté en tant que sujet qui a le pouvoir d’agir. Sur son parcours, il place Karl Marx, avec lequel il partage bien des convictions.

5. La musique pour arme

S’attaquer aux pouvoirs en place en maniant habilement l’humour, voilà bien l’essence de Sonne statt Reagan, pépite d’ironie dans la carrière de Beuys. Filmé en 1982, le clip est imprégné de la patte des artistes Fluxus, qui aiment autant la musique que la dérision. Le titre est un jeu de mots avec regen, qui signifie pluie en allemand, et réclame Du soleil à la place de Reagan. Pour une fois, Joseph Beuys a troqué son austérité ombrageuse (mais pas son chapeau et son gilet !) pour une dégaine dansante, comme pour affirmer que la lutte ne se fera pas sans moment de joie partagée. Il poursuit ici avec truculence son effacement des frontières de l’art, qui peut donc prendre l’aspect d’un clip de musique pop tout en protestant contre le président des États-Unis, anti-communiste acharné.



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