Blick Bassy fait résonner les voix de l’Afrique au quai Branly

« Dans chacun de mes projets, ce sont les mêmes préoccupations qui m’animent : comment l’Afrique peut renouer avec son identité, s’émanciper de son histoire coloniale, inspirer sa jeunesse et inventer son futur. » Auteur-compositeur, percussionniste, écrivain et producteur, Blick Bassy emprunte à l’Afrique pré-coloniale tout un champ d’images, de souvenirs et de sentiments qu’il réimagine avec panache pour façonner un univers avant-gardiste. Dans sa musique aux accents afro-futuristes, les airs de guitare et de percussions traditionnels se fondent aux notes jazz et électro. Sa démarche : panser les plaies laissées béantes et renouer la chaîne des temps. Au musée du quai Branly, qui lui offre carte blanche, Blick Bassy porte aux yeux du monde et de ses compatriotes le récit de son pays et du continent africain.

Artiste engagé, il y défend notamment l’image d’une femme forte et émancipée, célébrant la pluralité de la scène musicale féminine afro-contemporaine. Au programme : Kareyce Fotso, une mélomane bamiléké, qui chante sur des airs doux et épurés toute la poésie de sa langue maternelle. Ami Yerewolo, rappeuse qui défie les normes étriquées en brillant sur la scène essentiellement masculine du rap malien. Puis Poundo, artiste touche-à-tout guinéo-sénégalaise qui a collaboré avec de nombreux créateurs prestigieux, de Marie-Claude Pietragalla à Alicia Keys, en passant par Orelsan.

Il en est de même avec le spectacle Bikutsi 3000, une épopée digne des plus grands mythes, où la reine de Nkolmesseng – actuel Cameroun – part en croisade pour libérer Mintaba – Afrique actuelle – des affres du colonialisme et des impérialismes de tout ordre. Elle est à la tête d’une légion de femmes guerrières, dont l’arme la plus redoutable n’est autre que la danse. Pour cette création, il a puisé son inspiration dans le Bikutsi, une tradition musicale et dansante par laquelle les femmes beti soignent les maux.

Une carte blanche à la croisée des arts

Musique, arts vivants, cinéma : Blick Bassy fait dialoguer les disciplines, comme lorsqu’il interroge, avec Nadia Yala Kisukidi – professeure agrégée de philosophie, spécialiste des mémoires post-coloniales – la réappropriation de l’identité africaine par les Africains. Composée comme une réflexion entrecoupée d’intermèdes musicaux, cette rencontre est un prolongement de 1958, son dernier album, qu’il interprétera accompagné par le violoncelliste Clément Petit et le trompettiste Arno de Casanove au théâtre du musée le 22 mai. Chanté en Bassa, langue de son enfance, parlée par 5 % des Camerounais, il aborde la décolonisation et l’effacement de sa culture. L’artiste y réveille le souvenir de Ruben Um Nyobé, père de l’indépendance camerounaise assassiné par l’armée française en 1958, et fait des souffrances qui irriguent l’histoire du grand continent une lampe d’or qui éclaire le chemin de nouvelles générations.

Il propose aussi d’autres rendez-vous inopinés et poétiques,  à l’image d’une « interview des instruments » imaginée comme un jeu de question-réponse entre trois instruments traditionnels du Cameroun présents dans les collections du musée, et Emil Abossolo Mbo, comédien, poète et musicien. Sur la scène du théâtre Claude Levi-Strauss, ce dernier donne voix à un grand tambour bamiléké Ndom, un tambour à fente bamoun Iko et une harpe arquée – sublimés pour l’occasion par la styliste Murielle Kabile –, et dialogue avec des pistes sonores que Blick Bassy aura lui-même conçues.

L’artiste met également en avant la projection de Future Lullaby : la berceuse d’hier, d’aujourd’hui et de demain, un court métrage de Diana Bouli, véritable phénomène TikTok au Cameroun. Comme un voyage dans le temps, la réalisatrice montre, sur fond de voix chantantes et douces, comment ce rituel si anodin, symbole de l’amour maternel, peut aussi révéler le poids du patriarcat qui pèse sur les épaules des mères… Une carte blanche touchante par la noblesse de son intention. Envoûtante et ensorcelante par ses rythmes et ses voix.