Auprès des malades du cancer, l’artiste qui interroge l’hôpital


Implanté depuis près d’un siècle sur un terrain au centre de Bordeaux, l’Institut Bergonié s’est agrandi au fil des années. C’est davantage de confort pour les patients, accueillis en plus grand nombre, mais force est de constater, comme nous y invite Arnaud Théval (né en 1971) en traversant les différents bâtiments, que ces « strates architecturales » dialoguent mal entre elles. Résultat ? La circulation est alambiquée, l’ensemble plutôt laid. En résidence ici depuis quatre ans, Arnaud tâche de réfléchir à la notion d’hospitalité. Comment faire, dans cet endroit où, selon lui, « tout est fait pour que ce soit qualitatif et tout est anxiogène » ? Comment se glisser dans un lieu où l’on a peur de mourir, où l’on apprend le sens du mot métastase ?

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En parcourant le hall, l’artiste pose d’emblée ses limites : ce n’est « pas un travail sur le soin, ni la décoration ». Autrement dit, Arnaud Théval ne fait pas d’art-thérapie, ni ne cherche à se fondre dans l’environnement. Au contraire, lui veut interpeller, interroger. Une photographie d’une femme médecin en blouse blanche sur un cheval prise au flash est par exemple exposée près d’une salle d’attente. Énigmatique, celle-ci résonne avec ses réflexions sur l’« imaginaire lié à la guerre » qui teinte le vocabulaire de l’hôpital – la « lutte » contre le cancer, les « armes » thérapeutiques… Dans cette croisade, le cheval est également symptomatique des réflexions de l’artiste autour de la « présence animale dans l’hôpital », qui « bouscule les habitudes » et apparaît totalement incongrue.

Depuis 2017, Arnaud Théval organise aussi des conférences-débats au sein de l’institut ; il s’intéresse au vocabulaire, aux acteurs, à l’architecture et au temps de l’hôpital, et cumule de courtes réflexions traversées d’éclairs tragiques dans un recueil paru en février dernier, Hôpital cherche Nord (éd. Dilecta). Il y a deux ans, il a invité CANCAN, un collectif d’architectes et d’artistes, à réfléchir avec lui à l’îlot central de l’hôpital, lieu sombre où les patients, les médecins et les visiteurs ne font que passer. Une petite salle y sert toutefois de lieu d’accueil : l’ERI (Espace de rencontres et d’information), tenu par des bénévoles. Entièrement repensé par l’artiste et CANCAN, il vient d’être inauguré dans son nouvel aspect, à l’inspiration domestique.

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Vue de l’Espace de rencontres et d’information réaménagé dans le cadre du projet « Le chemin de sa personne » d’Arnaud Théval, à l’Institut Bergonié de Bordeaux

Vue de l’Espace de rencontres et d’information réaménagé dans le cadre du projet « Le chemin de sa personne » d’Arnaud Théval, à l’Institut Bergonié de Bordeaux

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L’impression de quitter un instant l’hôpital et sa couleur blanche « qui maquille les émotions et ses débordements » (dixit l’artiste dans son livre) est réussie. Le lieu a été conçu de manière à ce que « les gens aient l’impression de rentrer chez eux ». Du mobilier sur-mesure aux angles arrondis et rythmé par de joyeux éléments en métal rouge a été ajouté : un portemanteau, des étagères, un support qui soutient quelques tasses à café. Un paravent a été conçu à partir de photographies choisies par les bénévoles, et se déploie selon les besoins – les images ont été uniformisées par un effet « glitch », reprenant le glissement de pixels des bugs d’ordinateur, ce qui nous fait tiquer un instant tant la métaphore avec la maladie nous saute aux yeux. Même malaise avec certaines photos d’Arnaud Théval, comme ce chien pris au flash aux yeux écarquillés et qui génère un soupçon d’angoisse – dans ce lieu qui n’en manque pas…

Arnaud Théval + Cancan, Le chemin de sa personne

Arnaud Théval + Cancan, Le chemin de sa personne, 2020

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© Cyrille Beirnaert / Institut Bergonié, Bordeaux.

Mais la réflexion qu’engage l’artiste sur son rôle au sein de l’institution est plus qu’intéressante. Toujours avec CANCAN, il organise des journées d’enquête : ce processus « Performatif Poétique » consiste à créer des architectures éphémères pour y inviter les passants et provoquer des discussions. Autour de ce que les gens vivent et attendent de l’hôpital, autour des couleurs qu’ils aimeraient y voir, autour du réconfort, de ses objets que les médecins gardent au fond de leurs poches par superstition, autour de nouveaux noms à donner aux différents espaces. Entre les draps tendus ou dans la structure gonflable apportés par l’artiste et les architectes, le rythme de l’hôpital se trouve alors suspendu ; à l’intérieur, la « parole intime » est recueillie. Puis transformée, au fil du projet global, en « extime [afin] qu’elle prenne forme dans l’espace public ».

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Qu’en retenir ? Que le rôle de l’artiste dans un hôpital est avant tout d’être incongru. Pour mieux interroger l’institution, ses fonctionnements, ses tics de langage. Et de cette incongruité qui questionne, tirer l’opportunité d’« ouvrir les imaginaires ». Rester critique, toujours, affûté, poétique, même dans un lieu où se vivent les douleurs les plus aiguës de l’existence. Ça n’a rien d’une mince affaire… Mais, on y croit avec lui, ça vaut le coup d’essayer.

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