Au procès du 13-Novembre, la douleur indicible des mères endeuillées


Deux mères ayant perdu un enfant dans l’attaque du Bataclan ont témoigné à la barre de ce deuil qui «dévore le cœur.»

C’est bien connu, les mamans s’inquiètent toujours pour rien. Le soir du 13-Novembre, Jocelyne, une petite dame aux cheveux courts, a tenté de joindre son fils, Nicolas, 43 ans. Mais «ça sonnait dans le vide.» Elle ne savait pas qu’il était au Bataclan, n’a pas insisté, s’est dit qu’elle le rappellerait le lendemain. Véronique, carré court et lunettes noires, elle, savait tout à fait où était sa fille unique, âgée de 23 ans. Vers 23 heures, un SMS de son compagnon l’alerte: «Claire est touchée.» Elle ne comprend pas tout de suite de quoi il s’agit, n’allume pas la télévision, ni Internet. «Je ne réagis pas assez vite», se morfond-elle devant la cour d’assises spécialement composée. Toutes les deux sont venues témoigner ce jeudi, au procès des attentats du 13-novembre.

À partir de cet instant, ces deux femmes vont être plongées dans une même attente interminable. Les minutes deviennent des heures. «Si je n’ai pas de nouvelles de la police, c’est qu’il doit être vivant», se rassure la première, avant de frapper à la porte de tous les hôpitaux parisiens. La seconde multiplie les appels au numéro de la cellule de crise ainsi qu’aux urgences. Pas de trace de Nicolas, ni de Claire.

«J’ai pensé qu’elle était vivante durant tout ce temps»

Pour Jocelyne, la nouvelle est tombée le lendemain. «J’ai appris le décès de Nicolas dans le tramway, entre la porte de Charenton et la porte de Vincennes. J’avais envie de crier, de me rouler par terre, mais il y avait plein de monde», pleure-t-elle à la barre. Ses deux petits-fils, à ses côtés pour son témoignage, lui caressent l’épaule. Le supplice de Véronique va lui se poursuivre encore quatre jours. «Y a-t-il une femme correspondant à Claire dans le coma ou en urgence à l’hôpital?», interroge-t-elle inlassablement au téléphone. La mère de famille harcèle l’Institut Médico-Légal (IME), mais se voit opposer un refus. «Nous étions le 16 novembre, il ne s’agissait pas d’entraver leur travail», s’insurge-t-elle. Ce n’est que le mardi, à 20 heures, qu’elle reçoit finalement ce terrible appel. «Ce qui a dévoré mon cœur, c’est que j’ai pensé qu’elle était vivante durant tout ce temps.»

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Au déni de l’une s’est ensuite opposé le besoin de réponses de l’autre. Jocelyne ne parvient pas à franchir la porte de l’IME pour identifier la dépouille. «À son enterrement non plus, je n’ai pas voulu voir son corps. Il était tellement vivant Nicolas. Et maintenant, il repose dans 2 mètres carrés au Père-Lachaise.» Véronique trouve le courage de dire au revoir à sa fille, mais se heurte à la froideur de l’institut, qui ne l’autorise à se recueillir que cinq minutes auprès de Claire: «Je n’ai pas pu me rapprocher de ma fille comme j’aurais dû le faire.»

Les médecins légistes ne sont d’aucune aide, pour comprendre comment sa fille a vécu ses derniers instants. A-t-elle agonisé dans la fosse? À quel endroit a-t-elle rendu son dernier souffle? «Ma fille a été examinée succinctement et abandonnée, soupire la témoin. Je vais continuer d’être dans la quête des derniers instants de sa vie.» Six ans après, Véronique se raccroche à un ultime espoir: le bracelet connecté de Claire. Elle lance un appel à la barre: si quelqu’un peut analyser ses données, il pourrait lui indiquer à quelle heure son cœur a cessé de battre? «J’ai un besoin viscéral d’entendre chaque détail.»

La pudeur s’impose

Comment tient-on après la mort d’un enfant, fauché par une violence aussi aveugle qu’injuste? Toutes les nuits qui ont suivi ce vendredi, Jocelyne s’est réveillée «en hurlant.» Après une dépression, elle est encore sous traitement d’antidépresseurs et d’anxiolytiques. La mère de la victime fait part de ses remords de ne pas avoir dit à Nicolas à quel point elle était fière de son parcours professionnel. «J’ai aussi le regret de ne pas lui avoir dit simplement que je l’aimais. On n’avait pas pris cette habitude.» De son côté, Véronique lutte pour garder la douleur à distance, y compris dans sa propre famille, où la pudeur s’impose. Mais en réalité, elle «s’écroule souvent.»

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Des photos de Claire sont projetées aux écrans de la salle d’audience. On devine derrière une frange de jolis yeux noisette. Sa fille devait emménager avec son petit ami Cédric la semaine après les attentats. «Elle parlait de projets d’enfants dans les années futures», se remémore-t-elle. Nicolas a laissé derrière lui deux garçons, alors âgés de 11 et 15 ans. Entourée des deux jeunes hommes qu’ils sont devenus, Jocelyne s’effondre en larmes: «Je ressens une peine immense devant la souffrance de mes petits-enfants.»



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