
Entrer dans cette exposition comme on plonge dans l’eau ; sentir petit à petit ses sens enveloppés, troublés par l’élément liquide… Pour mieux (re)trouver un état d’esprit imprégné de nature, une connexion avec l’environnement. Telle est la proposition rêveuse faite par la commissaire invitée Claudia Paetzold au domaine des Étangs, à partir des œuvres de dix artistes.
Celles-ci ont pris place dans l’ancienne laiterie du domaine, transformée en centre d’expositions, ainsi que dans son immense parc, autour des étangs qui lui donnent son nom – où se découvre également une collection permanente de sculptures signées Ugo Rondinone, Lee Ufan ou encore Tomás Saraceno. Et tout un écosystème vivant.

À gauche, « The Sun » de Ugo Rondinone (2018). À droite, « Cloud Cities : du sol au soleil » de Tomas Saraceno (2017)
Sculpture en bronze doré / Structure aérienne en acier inoxydable revêtu, câble en acier et dibond peint • 490 × 536 × 53 cm / dimensions variables • © Arthur Péquin
En effet, le lieu n’est pas qu’un hôtel de luxe, souligne sa propriétaire, Garance Primat : il fait partie des plus importants sites d’observation de libellules en France, qui volètent au-dessus des eaux stagnantes des étangs. Héritière de la célèbre famille Primat-Schlumberger, à la tête d’une multinationale parapétrolière, la jeune femme se fait, pour sa part, le chantre de la nature retrouvée, célébrant un rythme de vie tout en douceur, dévoué à l’observation des insectes, à l’écoute attentive du clapotis de l’eau, au respect des espèces végétales et animales du domaine. Son hôtel de luxe est, de fait, une bulle de beauté et d’harmonie, où l’ostentatoire laisse la place au charme d’un patrimoine parfaitement restauré et de jardins merveilleux ; un lieu certes réservé aux bourses les mieux dotées, mais accessible le temps d’une visite aux promeneurs et amateurs d’art.
Une invitation à ressentir l’espace qui nous entoure
Ceux-ci pourront donc débuter leur visite d’« Eaux primordiales » par l’ancienne laiterie, où un tout petit monochrome d’Yves Klein (1928–1962) donne le ton de l’immersion proposée, dans un bleu chimique comme une affirmation absolue de la couleur de l’eau. Puis, c’est l’artiste espagnol Daniel Steegmann Mangrané (né en 1977), qui crée avec très peu de matière une œuvre enveloppante en tendant entre le sol et le plafond de fines chaînes sculpturales en aluminium : abstraite, l’installation n’en est pas moins saisissante, tant elle convoque sans le dire le corps (lequel pénètre dans l’œuvre et tourne autour) ainsi qu’une sorte de mystère magique des motifs, qui suggèrent sans imposer. D’entrée de jeu, cette proposition offre aux visiteurs de prendre conscience de l’espace, du sol, du plafond, de l’air, de s’y sentir corps flottants…

Vue des installations de l’exposition « Eaux primordiales » au Domaine des Étangs de Massignac
Une (sincère) exaltation de l’eau et, plus largement, de l’environnement, certes un peu trop luxueuse et exclusive pour porter un message réellement politique et écologique…
À condition que ceux-ci accordent à l’œuvre le temps d’agir, de se disperser comme un cachet effervescent dans leur esprit. Mais ici, il est possible (et heureux !) de prendre son temps. Il y a en effet très peu d’œuvres, car l’endroit est difficile d’accès (comptez trois quarts d’heure de voiture depuis la gare d’Angoulême), ravissant en tout point et extrêmement privilégié. L’expo s’incarne en rendez-vous hors du temps, loin des villes, en pleine campagne, et jouissant d’un environnement élégant, où rien, absolument rien, ne peut gêner l’osmose entre l’homme et la nature ultra choyée du domaine. Il en va de même avec Olafur Eliasson (né en 1967) : installé dans une salle plongée dans l’obscurité, son Casting of Soon after Now (2021) projette sur les murs d’hypnotiques effets lumineux, dans une évocation des plus cosmiques. Ici, la commissaire Claudia Paetzold se plaît à souligner la « lenteur de la projection », qui « suggère des formes sans les affirmer » (encore) et ouvre à une « perception exacerbée ».
Météorites, laiterie et hommes du lac…
Plus loin, Nina Canell (née en 1979) invite le visiteur au ras du sol, où elle a disposé des roches dites « impactites », dont l’histoire remonte à l’impact d’une météorite sur le domaine il y a 260 millions d’années : l’artiste a déposé une fine couche d’eau, un peu irréelle, évoquant une pellicule de verre, une pierre précieuse. Aussi, dans l’espace, de temps à autre, une odeur se répand. Sissel Tolaas (née en 1963) a travaillé à restituer le parfum de l’eau du lac voisin, pour le transporter dans la laiterie grâce à son système d’air conditionné et solliciter l’odorat du visiteur.
Sculpturale, colorée, olfactive, l’eau inspiratrice a enfin soufflé à la commissaire l’envie d’événements et d’œuvres éphémères tout au long du calendrier de l’exposition, telle une performance sonore commandée à l’artiste Tomoko Sauvage (née en 1976) pour le vernissage, For Floating Bells and Amplified Lake (where centenary mussels dwell). Dotés de casques audio, les invités ont assisté ce jour-là à un ballet étrange et minimaliste, emmené par six hommes et femmes plongés à moitié nus dans l’eau du lac ; grâce à des hydrophones, les remous de l’eau, le bourdonnement des insectes et les frottements de bols en métal ont formé, vingt minutes durant, un concert des plus flottants. Une bien jolie performance, qui nous a semblé résumer à elle seule l’esprit d’« Eaux primordiales » : une (sincère) exaltation de l’eau et, plus largement, de l’environnement, certes un peu trop luxueuse et exclusive pour porter un message réellement politique et écologique, mais qui veut faire de l’art un éveil, une expérience propre à rapprocher l’homme de la nature qu’il a tant malmenée.
Eaux primordiales
Domaine des Étangs • 16310 Massignac
domainedesetangs.com