Au Bicolore, les bulles de vie de Nour Fog

C’est une expérience vécue au plus profond de sa chair. Nour Fog (né.e en 1981), artiste non-binaire installé.e au Danemark, a connu les enfers d’une procréation compliquée. D’un enfant né trop tôt, qui a passé ses premières semaines dans le cadre glacé d’un hôpital. Loin, si loin de la chaleur humaine de ses parents. Mais au plus proche d’une force ahurissante de survie. « Un si grand combat dans un si petit être », résume désormais l’artiste. Pour le Bicolore, centre d’art contemporain gratuit de l’avenue des Champs-Élysées, Nour Fog a conçu un parcours de sculptures en céramique en deux parties, développement d’une première exposition montrée il y a quelques mois à Copenhague.

Dans la première salle, les formes sont abstraites, explorent la fragilité, la croissance, le corps qui n’est d’abord qu’une masse de chair. L’artiste cite Louise Bourgeois, dont on sent effectivement la présence à traverse ces protubérances enserrées dans des cordes de métal. Certaines sont posées sur des tables de métal aux pieds dansants, des extensions sculpturales qui transforment le socle en œuvre et relient la sculpture à la terre – comme un cordon ombilical, peut-être. Dans la seconde salle, les socles parlent encore : mais cette fois-ci, ils sont plats, posés à ras du sol ; de petits bébés en terre cuite, couverts d’un engobe couleur chair, s’y agitent. Le contraste est flagrant, et voulu par l’artiste afin de souligner l’expérience violente de l’accouchement, de la réalité clinique de l’hôpital – et ce, malgré la vie qui surgit, miraculeuse, désirée avec tant d’ardeur. L’ensemble est baigné d’une atmosphère sonore pensée par un ami, le compositeur Jirasol Pereira Ayala, évoquant des bruits d’eau et des battements de cœur… Qui plongent le visiteur dans des souvenirs de liquide amniotique. 

Et puis il y a ce cœur [ill. de Une], démesuré, brillant d’un émail rose, greffé d’une oreille. Cet organe fabriqué de toutes pièces raconte ce moment qu’aucun parent n’oublie, celui du premier battement de cœur. Ultra-sensible, cet ensemble d’œuvres est un choc visuel autant qu’une bourrasque émotionnelle : les parents qui ont connu les mêmes violences, les mêmes attentes que Nour Fog auront le cœur percé par l’intense sincérité de cet.te artiste diplomé.e de l’Académie des Beaux-Arts d’Aarhus en 2016, et qui affiche ici un talent déjà très affirmé.