À Porquerolles, une expo sur l’enchantement des îles


La Fondation Carmignac, sur l’île de Porquerolles

La Fondation Carmignac, sur l’île de Porquerolles

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© Fondation Carmignac – Photo Camille Moirenc

C’est d’abord un trajet en bateau agité par le vent. Puis une marche le long d’un chemin de poussière, dans le silence et sous l’ombre des pins. Enfin, une fois le lourd portail passé, la fondation Carmignac s’ouvre aux visiteurs, avec son parc de sculptures (dont certains recoins sont annoncés comme étant « réservés aux plantes et animaux ») et sa villa méridionale reconvertie en temple de beauté. Difficile, impossible même, de ne pas être heurté de plein fouet par la grâce absolue des lieux, isolés du monde et baignés d’harmonie. Ici, tout est beau : l’architecture, son inscription discrète dans le paysage, les jardins fleuris, les cyprès et les mûriers, et puis les œuvres qui émergent du sol, tel un nid d’œufs en marbre de Carrare de Nils-Udo (La Couvée, 2018) ou un labyrinthe de miroirs de Jeppe Hein, dans lequel on tourne et se perd entre des fragments de soi (Path of Emotions, 2018).

Une exposition « qui ne pourrait pas se faire ailleurs »

Pour répondre à cet environnement exceptionnel, Charles Carmignac a choisi d’inviter le commissaire Jean-Marie Gallais, auteur entre autres de l’exposition « Peindre la nuit » au Centre Pompidou-Metz (2018). « Depuis, je n’ai plus jamais regardé la nuit de la même façon », confie le directeur en préambule. Gageons qu’il pourrait en être bientôt de même avec son île tant aimée, tant le commissaire s’en est imprégné pour concevoir un parcours comme une œuvre d’art, kaléidoscope de visions d’artistes singuliers, poétiques, étranges, qui bouleverse les repères établis. Son idée ? Imaginer une exposition « qui ne pourrait pas se faire ailleurs », dit-il, et qui tienne compte de l’insularité de Porquerolles : « l’exposition fonctionne comme une île. Séparée du continent, elle permet de découvrir un autre monde. »

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Isa Tursic et Wilfried Mille, Melancholic Sunset

Isa Tursic et Wilfried Mille, Melancholic Sunset, 2018

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Huile sur bois, cadre en chêne, 64 bouteilles de bière • 241 × 372 × 5 cm • © Courtesy des artistes / Photo Pilevneli, Istanbul

Il le répétera à plusieurs reprises au cours de la visite : de nombreuses œuvres jouent de porosités, demeurent dans un état de flottement ou ne permettent pas de savoir à quel paysage ou à quelle époque elles sont liées. C’est, dès la première salle, une plante de bronze qui pousse au pied du mur grâce à Tony Matelli et fait entrer l’extérieur à l’intérieur (Weed #389, 2017). Ou Roy Lichtenstein, qui peint un visage de femme comme un ciel d’été où volent des oiseaux (Landscape, 1977).

Ce sont encore les paysages photographiques étranges de Darren Almond, venu à Porquerolles saisir ses rivages par nuit de pleine lune et en adoptant un temps de pose long ([email protected], 2022) : le ciel est clair, la mer lisse, l’ensemble nimbé d’une atmosphère irréelle. Citons encore les deux lunes et trois soleils se reflétant dans l’eau sous le pinceau de Harold Ancart (Untitled, 2022), les jeux d’enfants nocturnes de Marcus Cope (Reflector, 2021), le coucher de soleil idéal quoique sale et toxique d’Isa Tursic et Wilfried Mille (Melancholic Sunset, 2018).

Comme une fenêtre dans le mur, vue scintillante d’un paysage où domine la mer, reine des reines parée de milliers d’éclats lumineux.

Parfois, c’est un instant de sieste qui est suggéré − ou, plus exactement, une échappée, une tangente. De gros coussins étalés au sol offrent l’occasion de s’installer confortablement pour observer au plafond une vidéo de Jennifer Douzenel, sorte de diamant brillant dont chaque facette est une brisure de soleil filmée à travers les arbres. Henri-Edmond Cross et sa peinture pointilliste les Îles d’Or, îles d’Hyères (Var) (1891–1892) ouvrent comme une fenêtre dans le mur, vue scintillante d’un paysage où domine la mer, reine des reines parée de milliers d’éclats lumineux.

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Avec Miquel Barceló, on s’immerge dans un paysage en apnée, sublime toile monumentale qui suit la courbe de l’architecture et où nagent des créatures sous-marines surdimensionnées (Not yet titled, 2018). Face à lui, c’est Cathy Josefowitz qui fait le portrait sensuel d’un homme en plein sommeil, enfoncé dans un fauteuil qui enveloppe toute la toile (Portrait de Romain, 1977). On l’imiterait bien, tant la route dessinée ici par « L’île intérieure » semble mener au rêve…

Certains réveils sont brutaux. Comme celui du pirate, seul sur une minuscule île et assommé par une noix de coco dans la vidéo de Rodney Graham (Vacation Island, 1997). D’autres heureusement apparaissent plus vaporeux, tel celui-ci orchestré par la toute dernière salle de l’exposition, une œuvre immersive de Pia Krajewski composée de tapisseries et de deux peintures, où la douceur textile des murs répond à l’étrangeté florale des motifs.

Entraîné par cet élan végétal, on éclot à nouveau au monde en empruntant l’escalier qui remonte à la surface. Là, on retrouve nos chaussures (comme toujours à la fondation Carmignac, l’exposition se visite pieds nus), mais pas tout de suite l’envie de quitter les lieux. On est trop bien là, isolé du monde, dans l’entre-temps esthète de ce parcours méditatif… Serions-nous, à notre tour, devenus île parmi les îles ?



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