1. Quand Giulio Romano « singe » Ovide
Construit entre 1524 et 1536, le Palazzo Te, à Mantoue, est un chef-d’œuvre maniériste de Giulio Romano, admiré en particulier pour les sublimes fresques qu’il abrite. Dans la Chambre des Géants, salle des plus extraordinaires, l’architecte et peintre Giulio Romano offre un récit grandiose de la Chute des Géants, d’après le texte latin des Métamorphoses (8 ap. J.-C.) du poète romain Ovide. L’artiste représente le moment où Zeus rassemble les autres dieux et punit les géants insurgés qui ont tenté un assaut sur le mont Olympe. Mais si l’on regarde attentivement, on distingue des singes parmi les roches éboulées et les corps des géants.
Mais que viennent faire ici ces primates ? Dans ses Métamorphoses, le poète Ovide évoque la deuxième génération de l’humanité, née du sang des géants déchus (« scires e sanguine natos », ce qui signifie « vous savez que – ces générations – sont nées du sang »). Mais il n’a fallu qu’une petite erreur dans la transcription du texte d’Ovide pour que Romano en perde son latin ! La traduction était incorrecte : le passage concerné disait « scimies e sanguine natos », signifiant « singes nés du sang ».
2. La corbeille miraculeuse du Caravage
Maître du clair-obscur, Caravage a livré deux versions du Souper à Emmaüs. Dans le plus connu, daté de 1601, le peintre a figé l’instant où le Christ ressuscité, attablé avec les pèlerins d’Emmaüs, leur dévoile son identité : « Ils avaient reconnu le Seigneur à la fraction du pain » (évangile selon saint Luc). La scène prend place dans une auberge. En un mouvement – celui du pèlerin à droite ouvrant les bras de surprise – nous voilà projetés au sein de la scène. Pour renforcer la proximité entre le spectateur et le tableau, Le Caravage a recours à un autre procédé : voyez cette corbeille de fruits qui tient en équilibre… Elle semble défier les lois de la nature ! En plaçant cette corbeille miraculeuse au premier plan et en la faisant déborder du tableau, le peintre entend créer un effet de trompe-l’œil pour mieux nous toucher et nous aspirer dans l’action. Du grand art baroque !
Les historiens de l’art ont également remarqué que les fruits de la corbeille du Caravage ne sont pas de saison puisque le repas est censé se dérouler la veille de Pâques, bien avant les récoltes de l’automne. Le maître du clair-obscur nous prendrait-il pour des pommes ? Là, il faut plutôt chercher du côté des symboles chrétiens, les pommes et les raisins en étant – de même que l’ombre de la corbeille dessinant un poisson…
3. Les deux mains droites de Rembrandt
Exécutée en 1642 pour orner la grande salle du siège de la milice des arquebusiers bourgeois d’Amsterdam, La Ronde de nuit est l’une des toiles les plus célèbres de Rembrandt. Ce portrait de groupe montre la compagnie des mousquetaires autour du capitaine Frans Banning Cocq, protagoniste habillé de noir avec une écharpe rouge au centre du tableau, et du lieutenant Willem van Ruytenburch, en dentelle blanche et armé d’une lance en fer.
Figures disproportionnées, chien qui aboie, mystérieuses ombres… L’œuvre est si truffée de symboles que les historiens de l’art ne cessent de s’interroger sur certains détails. Les gants de Frans Banning Cocq ont à ce titre fait couler beaucoup d’encre. Car, dans la pénombre, avec sa main droite gantée, le capitaine semble tenir un autre gant… épousant la forme d’une seconde main droite !
4. Le nu « défectueux » d’Ingres
« Les muscles, les plis de la chair, les ombres des fossettes, des ondulations monstrueuses de la peau, rien n’y manque », ainsi Charles Baudelaire décrit-il en 1846 La Grande Odalisque de Jean Auguste Dominique Ingres. Quelques années plus tôt, la critique était autrement plus sévère au Salon de 1819 où la toile fut présentée par l’artiste ! Le sujet – une jeune occidentale à la mode orientale, nue, de dos – avait déjà de quoi provoquer.
Et que dire de ses formes épanouies : des hanches callipyges et des bras maigrichons ! Ingres est durement moqué par ses contemporains qui lui reprochent de ne pas maîtriser les règles de l’anatomie. L’un des critiques, Auguste-Hilarion de Kératry, aurait compté « trois vertèbres de trop ». Charles-Paul Landon, responsable des peintures du Louvre, qualifie la toile d’Ingres de nu « défectueux ». Ce chef-d’œuvre, qui se moque des règles anatomiques pour inventer sa propre beauté, incarne aujourd’hui l’atout charme du grand musée parisien.
5. La beauté idéale par Botticelli aux curieuses proportions
La Renaissance, époque où s’invente la perspective, a aussi enfanté l’esthétique de la « divine proportion », véritable clef de voûte de l’harmonie qui va rythmer la création tant dans l’architecture, la sculpture qu’en peinture. Le corps se moule alors dans un modèle idéal où la beauté s’ordonne selon des règles héritées de l’Antiquité : ainsi le corps devrait correspondre à sept fois la hauteur de la tête selon les principes édictés par le Grec Polyclète (Ve siècle av. J.-C.) dans son traité Le Canon.
Mais tout cela n’est pas si immuable ! Contemplez la fameuse Vénus de Botticelli, sortant des eaux. La déesse de la beauté donne à voir bien des « défauts » d’anatomie. Son cou est étrangement long… Dans la réalité, Vénus, avec un tel cou, serait complètement voûtée. Plus étrange encore est son bras gauche qui ne laisse pas vraiment entrevoir d’épaule… Et le pied gauche, appuyé sur la conque, affiche un renflement bizarre au niveau de la cheville. Quand l’imperfection se métamorphose en chef-d’œuvre !
6. Incongruités au troquet de Manet
Un peu comme Les Ménines, ce fameux tableau de Vélasquez où l’image se fractionne, le Bar aux Folies Bergères de Manet brouille les repères. Le décor est d’ailleurs particulièrement propice tant les Folies Bergères déploient un luxe incroyable de galeries, lustres, comptoirs et miroirs.
Reste que le reflet de Suzon (la serveuse) dans le miroir déroute car il ne semble pas renvoyer une image exacte de la scène. Regardez la posture de la jeune femme et cet homme en face d’elle, si rapproché qu’il devrait logiquement cacher la scène aux regards des spectateurs. Autre détail dont le reflet ne colle pas : la position des bouteilles sur le bar est différente de l’image réfléchie. Toutes ces interprétations amuseront l’écrivain Joris-Karl Huysmans pour qui le tableau de Manet « stupéfie les assistants qui se pressent en échangeant des observations désorientées sur le mirage de cette toile ». Du génie !
7. L’homme à trois jambes de Norman Rockwell
Illustrateur et peintre très prolifique, l’Américain Norman Rockwell a produit plus de 4000 œuvres dans un style narratif qu’on lui reconnaît entre mille, annonciateur de l’hyperréalisme. Au sein du Saturday Evening Post, Rockwell poursuit une carrière plus de 50 ans, croquant Kennedy, Nixon, ou Sinatra, tout en s’adonnant à la peinture à l’huile et à la photographie.
Parmi les couvertures emblématiques figure Stock Exchange Quotations, où l’on voit quatre personnes penchées sur les dernières cotations boursières. Pourtant l’œuvre contient une étonnante déformation… Le jeune homme en chemise rouge possède trois jambes ! Voyez : deux avec les genoux droits, et une troisième, avec le genou plié où repose sa main appuyée. Au journal, au moment de fabriquer la Une, personne n’a rien vu ! Comble de cette drôle d’histoire : chaque 1er avril, Rockwell, dessinateur des plus farceurs, régalait ses lecteurs avec des images où l’on devait chercher… l’erreur !