Viticulture – Dans l’Entre-deux-Mers, la « descente aux enfers » d’une famille de vignerons


« On est dans l’incapacité de stocker la prochaine vendange » : dans ce chai de l’Entre-deux-Mers, les cuves sont pleines. La faute à la surproduction qui frappe le Bordelais et qui, à l’ombre des grands châteaux, plonge nombre de viticulteurs dans un gouffre financier.

Chez Daniel et Bastien Mercier, à Camiran, le classeur des factures à régler grossit jour après jour. « Frais pour le contrôle qualité du vin, carburant pour les tracteurs, EDF, impôts fonciers, etc. C’est la descente aux enfers, on est coincés », soupire Bastien Mercier, 34 ans, en cours d’installation dans l’exploitation familiale de 65 hectares. Au point de ne plus pouvoir payer les prochaines bouteilles et leur étiquetage.

Placé en redressement judiciaire début décembre, le domaine était pourtant loin d’être un mauvais payeur.

« On a une incapacité de trésorerie et non de paiement. Dans les cuves dorment 900 000 euros en liquide ! », relève le jeune producteur de vins d’appellation bordeaux et bordeaux-supérieur, vendus en vrac et en bouteilles, dont la qualité a été récompensée depuis 1985 lors de concours agricoles.

Nombre de ses collègues font les frais de la crise historique qui frappe les appellations les moins clinquantes du Bordelais. Les acheteurs ne se bousculent plus aux portes des exploitations, « alors qu’avant, ici, c’était le bal des camions ».

Eldorado chinois

La surproduction, combinée à la baisse de la consommation de vin, a fait chuter les prix au plus bas. Et la hausse des coûts de production (énergie, engrais, copeaux de bois, piquets en fer…) rend la situation intenable.

Mais chez les Mercier, c’est la fermeture des marchés à l’export qui a sonné le glas. Depuis une vingtaine d’années, la famille vendait 60 % de sa production en Chine, « l’Eldorado pour les petites exploitations » comme la leur.

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Les intermédiaires payaient le tonneau rubis sur l’ongle, entre 1 600 et 1 800 euros contre 700 euros ces derniers mois, et la marchandise « partait rapidement ».

Face à cette conjoncture au beau fixe, père et fils achètent en 2013 une propriété voisine. « En grossissant, on limitait les coûts de production, les banques nous poussaient et nous accompagnaient, on cochait toutes les cases ».

Et de multiplier les investissements comme l’installation d’un chai extérieur avec cuves autovidantes. Pour obtenir la certification haute valeur environnementale (HVE3), les vignerons font de nombreuses mises au normes : pulvérisateur plus performant, tracteur avec cabine protégeant le conducteur, bassin de stockage des effluents du chai, station de nettoyage phytosanitaire.

Soit quelque « 200 000 euros de dette accumulée petit à petit ».

Mais avec la crise du Covid-19, l’export vers l’Asie et les ventes vers l’hôtellerie et la restauration au point mort, leur chiffre d’affaires s’effondre brutalement de 60 %.

Lueur d’espoir

« Chaque jour, on creuse un peu plus notre tombe. Les viticulteurs du coin souffrent en silence », ajoute le trentenaire, maire de cette petite commune de 434 habitants. « On craint tous d’apprendre qu’un voisin s’est pendu dans son chai ».

Seule lueur d’espoir : un plan d’aide à l’arrachage de vignes, avec une aide de 10 000 euros à l’hectare, réclamée aux pouvoirs publics par un collectif qui manifestera mardi à Bordeaux – Bastien Mercier en sera.

Il estime avoir 20 hectares en trop, mais n’a pas les moyens d’arracher : « Il y en a pour 30 à 40 000 euros ». La prime lui permettrait de le faire, même conditionnée par une reconversion. Il envisage d’élever des moutons, d’installer des panneaux photovoltaïques et d’ouvrir une ginguette.

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Une indemnisation compenserait aussi la perte des fermages qui complètent ordinairement la retraite des anciens – comme celle d’Yvette, la grand-mère de la famille âgée de 91 ans, qui touche moins de 700 euros par mois – et qui sont en souffrance dans le vignoble car les viticulteurs-loueurs n’ont plus les moyens de payer leurs bailleurs.

Sans plan d’aide, pas d’arrachage, ni de vendanges la saison prochaine.

« Les raisins pourriront sur pied et l’Entre-deux-Mers sera envahi par les ronces », prévient Bastien Mercier.



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