Patrick Roger, sculpteur de choc’


Pourriez-vous nous décrire le cadre de votre atelier, qui est semble-t-il à l’image de votre démesure et de votre double aspiration de chocolatier et de sculpteur ?

C’est à la taille de la « connerie » on va dire : il fait 11 mètres de haut et 400 mètres carrés, sur 2 200 en tout avec les espaces où travaille mon équipe. On vit beaucoup sur l’extérieur aussi, quelques sculptures sont dans le jardin. Pour travailler, je suis uniquement en lumière du jour.

Comment le chocolat vous a-t-il mené à la sculpture ?

Patrick Roger, L’Homme qui Voyage

Patrick Roger, L’Homme qui Voyage

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Courtesy de Patrick Roger

J’ai compris à 18 ans que le chocolat était la matière qui allait me révéler. J’avais fait un CAP de pâtisserie, et on m’avait viré du poste de pâtissier pour me mettre au poste de chocolatier… Le chocolat, c’est tout une philosophie, un état d’esprit : j’ai compris que je pouvais tout faire avec. C’est lui qui m’a sorti du pétrin où j’étais fourré. Je venais de la campagne, d’une vie extrêmement simple basée sur le travail – j’ai toujours très bien mangé. Jamais vu de musée ! Du moins, pas avant mes 24 ou 26 ans. Ma richesse s’est construite avec le fait de ne rien savoir. Le fait de ne pas aller à l’école, c’est extraordinaire… Ne rien savoir est extraordinaire ! Parce qu’on est libre. Et la première fois que j’ai exposé une sculpture, elle était placée entre des œuvres de Giacometti et de Brâncuși !

À quel moment est arrivée la sculpture ?

12 ou 14 ans plus tard, grâce à une cliente qui m’a emmenée à la Fonderie de Coubertin [une fondation française qui complète la formation professionnelle et culturelle de jeunes travailleurs issus des métiers manuels, NDLR]. Le fait de passer à l’étape du bronze allait me permettre de pérenniser mon travail. Moi, mon chef-modèle [une matrice réutilisable et résistante utilisée par les sculpteurs, NDLR] est la matière chocolat. Le chocolat a toutes les contraintes du monde ! Ça fond, ça peut se manger… Et cette cliente m’a fait comprendre que je pouvais figer mon travail dans le temps.

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Patrick Roger, Les Papes

Patrick Roger, Les Papes

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Courtesy de Patrick Roger

Vos sculptures sont, pour certaines, marquées par le gigantisme : pourquoi ?

J’ai tout fait : de l’infiniment petit, type joaillerie, à des œuvres de 1 200 mètres carrés… Tout dépend des sujets ! Il faut être à la taille du sujet, à la taille de l’impensable.

Vous avez représenté des animaux, des formes géométriques, des figures humaines, repris le Balzac de Rodin : comment choisissez-vous vos sujets ? Pourquoi les grands singes ont-ils particulièrement attiré votre attention ?

Patrick Roger, La puce

Courtesy de Patrick Roger

J’ai ma propre orthographe. J’ai de la chance : je ne suis pas derrière un ordinateur. Très peu de gens ont cette chance. Je suis proche de Picasso : c’était un touche-à-tout, et moi c’est la même chose ! Picasso était aussi un énorme gestionnaire, et j’ai, moi aussi, cette capacité de gestion. C’est extrêmement pluriel. On vit dans une vie cloisonnée. J’ai passé ma vie à vivre sans cloison, sans frontière, c’est ce qui fait mon ouverture. Le Balzac, c’était pour la réouverture du musée Rodin. Avec les thèmes qui lui étaient chers, comme le drapé… Je voulais représenter ce qu’était l’homme, l’homme Rodin. On a tendance à tout lisser, à tout occidentaliser… On va perdre ! Moi qui suis sans frontière, je pense qu’il faut s’ouvrir à tout ! Notez que nous avons tous le même téléphone… On est ravagé, l’humanité est ravagée. Ça passe par le végétal, l’animal, le minéral. Chaque sujet a une incidence sur la beauté, l’esthétique, le partage, le faire-voir. On a peut-être un message à passer.

Comment vous confrontez-vous à la matière ?

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J’ai un rapport charnel avec la matière. Je suis capable de changer la température de mes mains pour toucher ce que personne ne peut toucher…

Vous avez produit plus de 300 œuvres à ce jour : quelle évolution observez-vous dans votre pratique ?

Une seule peut faire jusqu’à 1 200 mètres carrés ! Mais oui, j’ai fait 300 œuvres environ. Je suis un peu plus calme aujourd’hui. Mon évolution repose sur la philosophie de l’émotion, sur la dimension de l’émotion, qui donne l’irrationnel. Je vis sans douter. Sur vingt ans, il y a de l’évolution, mes filles me disent « ça fait cinquante ans que tu fais ça » mais mon travail est de plus en plus abstrait, de plus en plus ésotérique.

À quoi rêvez-vous aujourd’hui ?

Des projets, j’en ai tout le temps. Mais en ce moment [pendant le confinement, NDLR], on ne peut pas vivre ! Moi je viens de la vitesse…

Qu’est-ce que la vitesse ?

C’est l’effet le plus absolu, le plus débile, le plus extrême.

Un certain rapport à la mort ?

Non ! Il faut toujours être sur la limite ; tout est basé sur un équilibre… Comme l’amour, comme tout.

Quel est votre rapport au public ?

On me reproche de ne pas assez montrer mon travail. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de mécène, et exposer coûte très cher. Comment faire ? Le musée Picasso n’est pas à la taille de son œuvre… On doit donner à voir ! Pour exposer, oui, on doit donner à voir.

À quoi ressemble une journée de travail ?

C’est toujours au moins une centaine d’heures par semaine. Je m’organise au gré du vent. Comme si j’étais marin. Autrefois, je travaillais quand les chocolatiers partaient le soir, mais aujourd’hui j’ai plus de temps. Mais c’est de plus en plus cher : je produis beaucoup, très vite, très grand…

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Vos ambitions dépassent ce qui est possible ?

La dimension de la création est tellement élevée, qu’aujourd’hui on manque de moyens ! Il faut énormément de moyens pour faire ce que je fais ; il faut voir le bordel qu’on fait… Quand j’ai exposé chez Christie’s, je suis arrivé avec deux semi-remorques.

Quel est votre rêve absolu ?

Le plateau à Beaubourg, ça commence à avoir un peu d’allure ! Ma dernière expo, c’était dans le musée d’Issey Miyake à Tokyo [le 21_21 Design Sight, NDLR]… Mais la question est toujours : comment tu fais pour exposer ? L’art ne peut grandir que si l’extérieur grandit. C’est la cause et la conséquence.

Que lisez-vous ?

Hier, je regardais des morceaux de Spinoza, Newton, Bernard Shaw… Je lisais des pages au hasard de tout ça. Moi qui n’ai pas de culture, j’ai la chance de ne pas avoir de mémoire : ça ne m’entrave pas.

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