menacée de liquidation, l’ONG Mémorial à nouveau au tribunal


Les partisans de l’ONG considèrent que le pouvoir poutinien veut supprimer Mémorial pour passer sous silence l’histoire des répressions soviétiques.

La justice russe examine jeudi 23 décembre une demande de dissolution du Centre de défense des droits humains de l’ONG Mémorial, pilier de la société civile et dernière cible en date d’une campagne visant les voix critiques du Kremlin.

Le procès doit s’ouvrir jeudi sans public ni journalistes dans la salle d’audience, le tribunal de Moscou arguant de restrictions sanitaires pour limiter l’accès. Le Parquet reproche à la branche de Mémorial chargée des droits humains d’avoir violé certaines obligations découlant de son statut «d’agent de l’étranger», label réservé aux organisations considérées comme œuvrant contre les intérêts russes avec des financements étrangers. Ce même Centre est également accusé d’apologie de «l’extrémisme et du terrorisme» pour la publication d’une liste de prisonniers comptant les noms de membres de groupes religieux ou politiques interdits en Russie.

«Ce n’est pas un exercice! Le tribunal peut parfaitement décider de fermer Mémorial le jour même», a mis en garde lundi le Centre des droits humains sur Telegram. Ces poursuites s’inscrivent dans un climat de répression croissante visant ceux perçus comme des adversaires du Kremlin, qu’il s’agisse d’ONG, de médias indépendants ou du mouvement de l’opposant emprisonné Alexeï Navalny, interdit en juin pour «extrémisme». Depuis le début de l’année, l’opposition anti-Kremlin a subi les assauts de la justice, forçant nombre de ses figures à l’exil, tandis que d’autres étaient incarcérés.

« Mémorial n’est pas l’ennemi du peuple, Mémorial est l’ami du peuple »

Le journaliste Dmitri Mouratov, prix Nobel de la Paix

Mémorial International, l’organisation chapeautant les différentes filiales de l’ONG, est aussi menacée de dissolution dans un procès devant la Cour suprême, où la prochaine audience est prévue le 28 décembre. Fondé en 1989 par des dissidents soviétiques, dont le prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov, Mémorial s’est donné pour mission de faire la lumière sur le Goulag et les crimes de l’Union soviétique. Après la fin de l’URSS, elle s’est également engagée dans la défense des droits humains. Lors des deux guerres de Tchétchénie, elle s’est illustrée en documentant les exactions des forces russes et leurs alliés tchétchènes. En 2009, Natalia Estemirova, responsable de l’ONG dans cette région du Caucase, avait été assassinée. Le crime n’a jamais été élucidé. Le Centre des droits humains défend également les droits des prisonniers politiques, des migrants et des minorités sexuelles.

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La menace de liquidation de l’ONG, qui jouit d’un grand prestige en Occident, a donc suscité une vague d’indignation. «Mémorial n’est pas l’ennemi du peuple, Mémorial est l’ami du peuple», a lancé mi-décembre le journaliste Dmitri Mouratov, en recevant le prix Nobel de la paix. Les partisans de l’ONG considèrent que le pouvoir poutinien veut supprimer Mémorial pour passer sous silence l’histoire des répressions soviétiques, car le Kremlin a plus à cœur de célébrer l’héroïsme de l’URSS face aux Nazis que la mémoire des millions de victimes de Staline. Le 9 décembre, Vladimir Poutine lui-même a accusé Mémorial d’avoir classé des collaborateurs de l’Allemagne hitlérienne comme victimes des répressions staliniennes. Mémorial a répliqué qu’il s’agissait d’une erreur ponctuelle, corrigée depuis.

L’ONG accuse en retour les autorités de compliquer son travail, en limitant l’accès aux archives ou en classant secrètes les identités des exécutants des purges soviétiques. Mémorial accuse aussi le pouvoir russe d’avoir monté de toutes pièces une affaire d’agression sexuelle contre l’un de ses historiens, Iouri Dmitriev, condamné en 2020 à 13 ans de prison, afin de le punir pour ses recherches sur la terreur stalinienne.



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