Les plus improbables pigments de l’histoire de l’art


1. Chris Ofili : catho ou scato ?

Chris Ofili, The Holy Virgin Mary

Chris Ofili, The Holy Virgin Mary, 1996

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Acrylique, huile, résine de ployester, collage de papier, paillettes, épingles à cartes et bouse d’éléphant sur toile • 253,4 × 182,2 cm • Coll. Museum of Modern Art (MoMA), New York / © Scala, Florence

En 1992, Wim Delvoye lançait la création de sa machine à excréments Cloaca, qui n’a vu le jour que huit ans plus tard. Entre-temps, en 1996, le peintre britannique Chris Ofili (né en 1968) s’est, lui, fait remarqué en représentant une madone noire avec non seulement de la peinture à l’huile mais aussi et surtout… de la bouse d’éléphant. Le tout sur un fond jaune-orangé constellé de photos de sexes féminins. Scandale assuré ! Rudy Giuliani, maire de New York à l’époque, somme alors le Brooklyn Museum de retirer la vierge scatologique de l’exposition « Sensation », pour atteinte au catholicisme. The Holy Virgin Mary – tel est son titre – a pourtant été adjugé en juin 2015 chez Christie’s à près de 3,7 millions d’euros, puis offerte au MoMA par l’investisseur américain Steve Cohen, rejoignant la trentaine d’œuvres de l’artiste déjà présente dans les collections du musée.

2. Au XIXe siècle : de beaux restes sur la palette

Il est fort probable que La Liberté guidant peuple (1830), chef-d’œuvre d’Eugène Delacroix ait été, comme d’autres toiles du peintre et de ses contemporains, réalisée à partir de brun de momie, pigment composé d’organes broyés, particulièrement apprécié pour sa transparence. Ce matériau pour le moins surprenant tire son origine dans la pharmacopée. Vendus en poudre par les apothicaires, les restes d’Égyptiens embaumés étaient censés guérir l’épilepsie et les brûlures d’estomac, entre autres maux. Usage médical détourné par les artistes qui mélangeaient les résidus de cadavres avec de l’huile sèche ou du vernis. Aux XVIIIe et XIXe siècles, cette substance atterrit sur les palettes de peintres. Aujourd’hui, il existe l’équivalent chimique, chez les revendeurs de fournitures artistiques. Ouf !

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3. Sarah Levy : un portrait de Trump dans les règles

Sarah Levy, « Whatever » (Bloody Trump)

Sarah Levy, « Whatever » (Bloody Trump), 2015

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Sang menstruel sur carton • 11,5 × 13,5 cm • Courtesy Sarah Levy

C’est la grande mode du vampire facial, soit menstrual masking aux États-Unis, soin du visage à base de sang menstruel qui n’est pas du goût de tout le monde… Déjà en 2015, recourir aux menstrues pour peindre suscitait la controverse. « On pouvait voir du sang sortir de ses yeux … du sang provenant de son… où que ce soit », avait lancé Donald Trump, au sortir d’un débat, à propos de la présentatrice-phare de Fox News, Megyn Kelly. Et l’artiste Sarah Levy (née en 1989), choquée, de troquer le charbon de bois, son matériau de prédilection, contre ses fluides corporels, afin d’exécuter le portrait du candidat à l’élection présidentielle. De cette initiative est né le hashtag #periodsarenotaninsult (les règles ne sont pas une insulte), soutenu par quelques-uns avant de laisser la place à un flot d’injures. Traitée de tous les noms, Levy a tout de même tenu à vendre son œuvre sur eBay, afin de reverser l’argent récolté à une association pour réfugiés et migrants.

4. Soutine : la peinture dans le sang

Dans les années 1920, Chaïm Soutine entame une série de toiles sur le thème des carcasses de bœuf, inspirée du célèbre Bœuf écorché (1655) de Rembrandt. Pas question de copier ce tableau à proprement parler. Il s’agit plutôt de le revisiter dans son atelier de la rue Saint-Gothard, à Montparnasse. Pour ce faire, il se procure des pièces de viande aux abattoirs de Vaugirard. Et sa compagne de l’arroser régulièrement de sang frais. L’odeur est épouvantable, au point d’indisposer le voisinage. Plusieurs versions découlent de cette sanguinolente idée, dont Le Bœuf écorché et Bœuf et tête de veau, respectivement conservés aux musées de Grenoble et de l’Orangerie à Paris.

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Chaïm Soutine, Boeuf et tête de veau

Chaïm Soutine, Boeuf et tête de veau, vers 1925

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Huile sur toile • 92 × 73 cm • Coll. Musée de l’Orangerie, Paris / © RMN-Grand Palais / Photo Hervé Lewandowski

5. Pete Doherty et Amy Winehouse : amis de sang

Le chanteur Pete Doherty ne craint pas l’anémie. Sa technique repose sur ce qu’il appelle lui-même des « éclaboussures artérielles » : il se pique le doigt, avant de l’utiliser comme un pinceau. Toutefois, le provocateur anglais ne ponctionne pas uniquement sa main. Pour Ladylike, portrait d’Amy Winehouse adjugé à 43 000 euros aux enchères, par exemple, Doherty a mis son modèle et amie à contribution. Afin de venir à bout de cette œuvre, les deux compositeurs-interprètes se sont saignés aux quatre veines…

« Ladylike », peinture réalisée par Pete Doherty avec le sang d’Amy Winehouse

« Ladylike », peinture réalisée par Pete Doherty avec le sang d’Amy Winehouse

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6. Cai Guo-Qiang : feuilles aux poudres

Cai Guo-Qiang, I Am an Extraterrestrial, Project for Meeting with Tenjin (Heavenly Gods): Project for Extraterrestrials No. 4

Cai Guo-Qiang, I Am an Extraterrestrial, Project for Meeting with Tenjin (Heavenly Gods): Project for Extraterrestrials No. 4, 1990

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Poudre à canon et encre sur papier monté sur toile • 227.4 × 182 cm • Coll. Fukuoka Asian Art Museum, Japon / Photo Imamura Kaoru / © Cai Guo-Qiang

Quand on sait que le fusain est une branche de saule carbonisée, la pratique de Cai Guo-Qiang ne paraît pas si extravagante. Quoique… Le plasticien chinois propose un travail beaucoup plus spectaculaire. Ses dessins sont le fruit de véritables explosions. Une fois ses contours marqués à la poudre à canon, sur une surface plane, vient l’étape de la mise à feu. L’opération n’est pas sans risque mais vaut le détour aux yeux de l’artiste qui cherche à provoquer en chacun – avant et après le grand « boom ! » – un feu d’artifice d’émotions. Rien d’étonnant, au vu de pareilles prouesses pyrotechniques, que ce virtuose des détonations, exposé aux quatre coins de la planète (au Met et au Guggenheim à New-York ; au MAMAC à Nice et au Tripostal à Lille…), ait été convié aux cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques de Pékin en 2008.

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