Les peintres des Lumières, brillants créateurs de modes


Siècle des dentelles et des perruques poudrées, le XVIIIe s’impose comme le berceau de la mode et du luxe à la française. Satin rutilant, velours, damas, gaze et brocart brodés de fleurs, de feuilles et d’oiseaux de toutes les couleurs… Jamais les vêtements et accessoires n’avaient été aussi sophistiqués ! Pour satisfaire l’insatiable coquetterie de la crème du royaume, une fourmilière de petites mains délicates s’active. Tissutiers rubaniers et fileurs d’or et d’argent approvisionnent brodeurs et couturières chargés de confectionner robes, culottes, vestes et redingotes. À Paris, les marchandes de mode fournissent une débauche de rubans, plumes et autres ornements, tandis que s’affairent 1200 perruquiers, aidés de 6000 ouvriers. La garde-robe d’un couple de courtisans huppés, à l’affût des nouvelles tendances, peut nécessiter plus de trente tailleurs et fournisseurs à temps plein, et un seul « grand habit de Cour » (robe d’apparat) jusqu’à 28 mètres d’une quinzaine de tissus différents !

Jean-Marc Nattier, Madame Sophie de France

Jean-Marc Nattier, Madame Sophie de France, 1748

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Huile sur toile • 79 × 60 cm • Coll. Châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles • © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

Le « superflu » est devenu « nécessaire », observe Voltaire ! Car en revêtant les habits les plus somptueux, les rois et les nobles affirment leur grandeur et celle de leur pays. Les peintres jouent donc un rôle primordial dans la diffusion de cette image de marque : à eux de rivaliser de virtuosité pour rendre la brillance du satin et du taffetas de soie, la finesse des dentelles et le détail des broderies ! Pour son portrait de Madame Sophie de France, fille de Louis XV (1748), Nattier fignole chaque fil du « grand habit » de soie tramée d’or et d’argent, tandis qu’Alexandre Roslin soigne à l’extrême les moirures de l’écharpe de soie bleue et l’aspect étincelant de l’habit en lampas argenté du prince de Suède (1770)…

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L’expression de soi

Pour les peintres, la mode s’impose aussi comme un précieux élément de langage. Un portrait d’une dame écrivant à ses enfants, plume et mouchoir à la main, par Adélaïde Labille-Guiard (vers 1787), démontre combien le vêtement peut aider l’artiste à exprimer le caractère de la personne représentée. Fille d’un marchand de mode, la peintre rend à merveille la légèreté du pouf brodé de plumetis et du voile transparent, fin comme un souffle, qui couvre la poitrine du modèle, soulignant ainsi sa douceur et sa tendresse… tandis que le choix de la robe-redingote – confortable mais critiquée car inspirée du vestiaire masculin – suggère un esprit libre et indépendant.

Un sous-genre, celui des tableaux de mode, émerge même sous le pinceau de Jean-François de Troy.

D’autres font de l’habillement un sujet à part entière. En 1746, François Boucher dépeint une marchande de mode proposant des articles à une jeune coquette. Un sous-genre, celui des tableaux de mode, émerge même sous le pinceau de Jean-François de Troy. Des scènes galantes qui deviennent de simples prétextes à la représentation de beaux atours, et où le choix des vêtements, détaillés avec précision, aide à définir l’action. Ainsi, pas de doute quant au caractère osé d’une scène lorsqu’un homme conte fleurette, en extérieur, à une femme vêtue d’une simple robe volante – un vêtement ample qui avait longtemps été réservé à l’intimité de la chambre avant de conquérir scandaleusement l’extérieur après la mort de Louis XIV !

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Jean-Antoine Watteau, L’Enseigne de Gersaint

Jean-Antoine Watteau, L’Enseigne de Gersaint, 1720

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Huile sur toile • 166 × 308 cm • Coll. Chateau de Charlottenburg, Berlin • © Bridgeman Images

Chez Antoine Watteau, les vêtements deviennent la base de tout, des éléments clés qui construisent les compositions et expriment, par leurs formes, leurs couleurs et leurs plis, l’atmosphère des scènes représentées. Son célèbre panneau publicitaire pour un marchand de tableaux, L’Enseigne de Gersaint, 1720 (œuvre actuellement au cœur de l’exposition « Antoine Watteau, l’art, le marché et l’artisanat d’art » au château de Charlottenburg en Allemagne, mais évoquée par des gravures à Nantes), met davantage en valeur les tenues des clientes que la boutique et son contenu. D’une modernité presque abstraite, une forme asymétrique et lumineuse attire tous les regards : celle du long manteau en soie rose d’une femme saisie de dos alors qu’elle entre dans le magasin. Un style qui inspirera beaucoup son élève le plus zélé, Nicolas Lancret, présent dans l’exposition.

« Manteau » ou « robe de chambre », dits aussi « robe volante »

« Manteau » ou « robe de chambre », dits aussi « robe volante », Etoffe vers 1720 / Robe vers 1730–1735

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Lampas lancé broché, fils de soie jaunes, vert foncé et vert clair, filés et ondés d’argent; doublure, taffetas de soie jaune • Coll. Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris

Avant même de les représenter, les peintres participent aussi à la création des vêtements en dessinant au préalable les motifs des broderies – fleurs, oiseaux, angelots, saynètes… – et en ornant de décors peints éventails, tabatières, bonbonnières, étuis à billets doux et autres petits accessoires luxueux. À travers des gravures publiées dans des gazettes, ce sont également eux qui diffusent les tenues à copier pour être dans le vent.

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Le peintres, influenceurs mode

Leurs tableaux font d’eux des prescripteurs de mode. Les intellectuels et artistes posant souvent en robe de chambre pour leurs portraits, cette tenue libre et confortable, très appréciée de Diderot, gagne en importance et en préciosité. Les scènes pastorales dans lesquelles excelle François Boucher conduisent la Pompadour, favorite de Louis XV, à se faire peindre en tenue champêtre. En représentant la duchesse de Polignac en robe-peignoir dans un célèbre portrait prêté par le château de Versailles, et Marie-Antoinette en robe-chemise de mousseline blanche resserrée à la taille par un simple ruban et portée sur un corset sans baleines (alors l’équivalent d’un sous-vêtement ou d’une chemise de nuit, la tenue fait scandale au Salon de 1783), Elisabeth Vigée-Lebrun contribue à lancer un engouement pour ce type de vêtements plus décontractés.

Dès 1789, le couperet de la Révolution tombe sur la mode. Mais le lien entre cette dernière et les peintres ne se défait pas pour autant. Pour preuve, un rare costume de représentant du peuple présenté en fin d’exposition, rouge et drapé à l’antique, que Jacques-Louis David a été appelé à concevoir. Désormais, les excès de faste ne sont plus d’usage et l’Antiquité sert de modèle pour des vêtements plus sobres, pratiques et rigoureux, en accord avec la nouvelle morale… En attendant Napoléon qui fera revenir le satin, l’hermine et l’or !

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À la mode. L’art de paraître au 18e siècle

Du 26 novembre 2021 au 3 mars 2022
Coproduite avec le musée des Beaux-arts de Dijon, l’exposition y sera présentée du 15 mai 2022 au 20 août 2022

museedartsdenantes.nantesmetropole.fr



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