Les étranges œuvres peintes et sculptées de Sarah Bernhardt révélées au Petit Palais


Page de garde dédicacée de sa pièce de théâtre, “L’Aveu” (1888)

Page de garde dédicacée de sa pièce de théâtre, “L’Aveu” (1888)

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© Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris.

Coup de théâtre ! Comédienne flamboyante et muse des artistes, Sarah Bernhardt était aussi une créatrice aux multiples talents, auteure, peintre et sculptrice accomplie. Après plus d’un siècle d’oubli, son œuvre sort enfin de l’ombre… En papillonnant de déjeuners en soirées mondaines au contact du Tout-Paris, la « Divine » rencontre de nombreux artistes qui stimulent sa créativité. Amie de Victor Hugo, Edmond Rostand, Victorien Sardou et Sacha Guitry, elle prend elle-même la plume pour écrire ses mémoires (Ma double vie, un livre plein d’humour et d’esprit), ainsi qu’un traité sur son métier (L’Art du théâtre, 1923) et plusieurs pièces comme L’Aveu (1888) et Adrienne Lecouvreur (1908). La star publie même des romans – Jolie sosie (1920), Petite idole (1920) – et un récit, Dans les nuages (1878), qui relate son aventure aérienne en ballon durant l’Exposition universelle en compagnie de son amant peintre, Georges Clairin.

Un autoportrait en Pierrot, en chauve-souris…

Sarah Bernhardt manie également le pinceau. Elle qui, adolescente, avait suivi des cours de dessin, aurait même regretté d’avoir préféré les planches au chevalet ! Dans les années 1870, la belle vit entourée de peintres comme Gustave Doré, Alfons Mucha, Alfred Stevens, Jules-Bastien Lepage, Georges Clairin et Louise Abbéma, qui ne cessent de faire son portrait… Lui donnant envie de se mettre elle aussi à la peinture, à laquelle elle se forme dans un atelier de femmes, rue Frochot, sous la houlette de l’artiste belge Alfred Stevens qui l’encourage vivement.

Sarah Bernhardt, Autoportrait

Sarah Bernhardt, Autoportrait, 1910

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Huile sur toile • Coll. Toulouse, Fondation Bemberg • © RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau.

Dans un autoportrait surprenant, l’actrice regarde hors-champ, emmitouflée dans la tenue excentrique qu’elle porte dans son atelier, un costume de Pierrot.

Seule subsiste une reproduction gravée de son tableau La Jeune Fille et la Mort, applaudi au Salon de 1880. Mais l’actrice laisse derrière elle une appétissante nature morte aux pêches, ainsi qu’un autoportrait où elle se représente en pied, en tenue sombre aux côtés d’un chien noir, en train de retirer l’un de ses gants – peut-être un clin d’œil à La Dame au gant (1869) de Carolus-Duran. Peint vers 1910, un autre autoportrait surprend par sa touche vigoureuse, très impressionniste, et son cadrage original. Saisie au vol, l’actrice regarde hors-champ et semble passer devant nous, emmitouflée dans la tenue excentrique qu’elle porte dans son atelier, un costume de Pierrot, personnage de la commedia dell’arte qu’elle a incarné en 1883. Évoquant les tableaux d’écume et de ciels agités du peintre suédois August Strindberg, ce costume blanc brossé vigoureusement occupe presque la moitié de la toile, formant un bouillonnement abstrait d’où émerge son visage !

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Mention « honorable » au Salon

Mais Sarah Bernhardt s’illustre surtout dans le domaine de la sculpture. L’envie de modeler lui prend alors qu’elle pose pour le sculpteur Mathieu-Meusnier. Dès les années 1870, elle se met à suivre son enseignement, ainsi que celui de Jules Franceschi, sur les bancs de la prestigieuse académie Julian. L’actrice excelle dans cette matière. Dès 1875, elle expose au Salon, le portrait posthume de sa sœur Régina, et sculpte des bustes de ses amis artistes, dont un en marbre de Louise Abbéma (présenté au Salon de 1879), et un en bronze du dramaturge Victorien Sardou, qu’elle fait émerger d’un socle allégorique où elle prête ses traits à une muse de la tragédie.

Marie-Désirée Bourgoin, L’atelier de Sarah Bernhardt

Marie-Désirée Bourgoin, L’atelier de Sarah Bernhardt, 1879

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Aquarelle et gouache sur mine de plomb sur papier • 67,8 × 53,1 cm • © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN- Grand Palais / image of the MMA.

En quête de naturel, Sarah Bernhardt demande à ses modèles de converser durant les séances de pose. Et donne également corps à de saisissants autoportraits en bronze, dont une étrange statuette-encrier, où elle se représente en chimère dotée d’ailes de chauve-souris. Un autre, remarquable, fait émerger son visage lisse et impassible d’un écrin de matière brute, formé par ses cheveux et un col montant, qui la figent telle une mystérieuse icône symboliste.

Achille Melandri, Portrait de Sarah Bernhardt peignant

Achille Melandri, Portrait de Sarah Bernhardt peignant

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Photographie, tirage sur papier albuminé • 14,1 × 10 cm • Coll. musée Carnavalet, Histoire de Paris • © akg-images.

En 1876, l’artiste travaille avec acharnement, jusqu’au petit matin, à un grand groupe sculpté en plâtre grandeur nature – une vieille femme pleurant son fils mort, inspirée de La Pietà de Michel-Ange. Présentée au Salon, l’œuvre intitulée Après la tempête lui vaut une mention honorable du jury, ainsi que l’admiration du public et de la critique. « Il me semblait maintenant que j’étais née pour être sculpteur », écrira-t-elle. En 1878, elle exulte lorsque Charles Garnier lui commande une sculpture allégorique, Le Chant (aux côtés d’un pendant réalisé par Gustave Doré, La Danse) pour orner la façade du nouvel opéra de Monte-Carlo.

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D’étranges objets en bronze moulés sur des plantes et des poissons

Réalisme, romantisme, symbolisme et Art nouveau s’entremêlent dans ses œuvres, dont un superbe relief représentant Ophélie, la fiancée noyée de Hamlet, son visage aux lèvres entrouvertes et sa poitrine voluptueuse émergeant avec sensualité des flots, avec lesquels se confond sa chevelure ondulante… Avec tendresse, elle sculpte la tête de son défunt époux Jacques Damala, couchée sur un lit de roses. Puis se fait plus fantaisiste en saisissant le ricanant Triboulet, personnage démoniaque du Roi s’amuse, de Victor Hugo.

Inspirée par la faune et la flore marine de la Bretagne, et en particulier de Belle-Île où elle aime se rendre pour créer, bercée par les coassements des grenouilles, l’extravagante réalise aussi d’étranges objets en bronze d’inspiration Art nouveau, moulés sur des plantes et des poissons, telle qu’une dague ornée d’algues. œuvres raffinées qui séduisent le jury de l’Exposition universelle de 1900 et le joaillier René Lalique.

« Saloperie que cette sculpture », crache Auguste Rodin devant ses oeuvres au Salon, en 1878.

Ces multiples casquettes, Sarah Bernhardt les revendique fièrement en ciselant une statuette en marbre à son effigie où elle se représente en allégorie des arts, son maillet de sculpteur à la main, accompagnée d’une palette et de masques de théâtre. Profitant de ses tournées pour diffuser ses œuvres et en vendre des modèles réduits, l’artiste expose dans des galeries à Londres, Vienne et New York, où elle fait même photographier ses sculptures à des fins publicitaires. Car la mondaine, toujours à court d’argent, cherche de riches acheteurs pour renflouer sa bourse !

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Une actrice qui se prend pour une sculptrice, profite de sa notoriété pour exposer, et s’attaque à des domaines masculins ? Dès le départ, Sarah Bernhardt subit de méchantes critiques et railleries. En 1878, elle est violemment attaquée dans la presse et caricaturée. « Saloperie que cette sculpture », crache Auguste Rodin lorsqu’il découvre ses œuvres au Salon. Mais, dans les années 1900, son art ne fait plus polémique. « Elle dépassa en sculpture le talent d’amateur. Il est évident que si elle n’eût été Sarah, elle eût pris parmi les femmes artistes un rang excellent », écrit alors le critique Gustave Kahn. Ses œuvres sont cependant tombées dans l’oubli après sa mort, pour n’être redécouvertes que très récemment… Et enfin remises à l’honneur !

Du 14 avril 2023 au 27 août 2023

www.petitpalais.paris.fr



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