«Le président espère devenir le sujet de conversation des Français autour du repas de Noël»


FIGAROVOX/TRIBUNE – Dans un entretien diffusé ce 15 décembre sur TF1, le chef de l’État reviendra sur le bilan du quinquennat. Selon le communicant Renaud Large, Emmanuel Macron espère éclipser les autres candidats à la présidentielle en abordant des thématiques qui touchent au quotidien des citoyens.

Renaud Large est communicant. Avec le psychiatre Ruben Rabinovitch, il a rédigé une note pour la Fondation Jean-Jaurès intitulée «Des hussards noirs de la République à la chronique des Bridgerton. Contre la nébuleuse woke et la cancel culture».


Il n’y a rien de plus subjectif qu’un bilan. Chacun viendra chercher dans le rapport final d’une action des points de réassurance ou de critique, en fonction de ses affects et de ses inclinaisons. Rappelons-nous le «bilan globalement positif» des pays de l’Est de Georges Marchais. Pourquoi diable Emmanuel Macron présente-t-il son bilan et ses perspectives aux Français ce mercredi soir ? Il s’agit peut-être de livrer une part de sa vérité sur l’exercice du pouvoir en des temps troublés. Dans Panégyrique, Guy Debord explique : «Celui qui a mené telle action, dont on a pu ressentir au loin de grandes conséquences, a été souvent presque seul à en connaître des côtés assez importants, que diverses raisons avaient incité à tenir cachés, tandis que d’autres aspects ont été oubliés depuis, simplement parce que ces temps sont passés (…)». Mouvement des Gilets jaunes, gestion économique et sanitaire de la crise du COVID qui se poursuit, autant d’évènements ayant dévié le cours et l’approche idéologique de son quinquennat et autour desquels le président de la République va devoir s’expliquer pour la suite.

Exit la révolution économique de la start-up Nation, le temps est passé à la réindustrialisation du pays, à l’investissement public, aux attributs régaliens de la souveraineté et à la lutte pour le pouvoir d’achat.

Renaud Large

C’est justement sur cette suite que le rendez-vous fixé par le Président a créé la polémique. À l’unisson, les oppositions ont crié au scandale. Elles souhaitent démasquer derrière le temps de parole d’un Président, celui d’un candidat qui se cache encore. Valérie Pécresse a même saisi le CSA. On va encore gloser pendant des jours sur la comptabilité du temps de parole. Emmanuel Macron tend un piège à ses opposants pour les enfermer dans un débat picrocholin : à lui, l’action; à eux, la réaction. Pendant que ses adversaires comptent patiemment les minutes d’intervention pour savoir s’il faut les imputer au candidat ou au Président, Macron déroule son récit politique. On prête la phrase suivante à François Mitterrand : «Je suis le dernier des grands présidents. Après moi, il n’y aura que des financiers et des comptables». Sans doute, les oppositions auraient-elles dû avoir le bon goût de s’en inspirer. À peu de frais, Emmanuel Macron a la possibilité de jouer la proximité avec le quotidien des Français, pendant que le reste de la classe politique s’échine en questions scolastiques. Il prend même le luxe d’enregistrer l’émission trois jours avant sa diffusion lors d’une heure de grande écoute.

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Alors que les syndicats d’élus ont désigné ou finissent de désigner leurs candidats dans des processus de primaires. La gauche, dont les perspectives de victoire s’assombrissent chaque jour, tente de boucler une primaire crapoteuse. La droite termine une primaire où des lignes politiques hétérogènes cohabitent, portées avant tout par l’intérêt électoral. Aussi convenue et désuète soit-elle, la séquence des primaires commencée en septembre a alimenté la chronique médiatique avec un succès qu’il faut reconnaître. Emmanuel Macron crée l’évènement avec cette émission et vide l’effet primaire de la scène médiatique. Les débats politiques des tables de Noël se gorgeront désormais plus de son intervention que des chances de victoire de la droite. Le coup est violent pour LR. La progression sondagière fulgurante de sa candidate ces derniers jours se voit mise à mal par la démarche. Mais, plus qu’un catenaccio stratégique, Emmanuel Macron convoque, le temps d’une soirée, une primaire contre lui-même. Dans le bilan, c’est le candidat de 2017 qui est appelé à se confronter au possible candidat de 2022. Exit la révolution économique de la start-up Nation, le temps est passé à la réindustrialisation du pays, à l’investissement public, aux attributs régaliens de la souveraineté et à la lutte pour le pouvoir d’achat. Quels thèmes politiques flotteront dans l’air à l’issue de l’émission ? Dans sa primaire contre le candidat qu’il a été, Emmanuel Macron va mettre à l’agenda ses sujets de campagne. Il désignera, par la négative, un adversaire jugé prioritaire à droite. Il enverra probablement des signes à un électorat de gauche qui risque de se retrouver orphelin d’un second tour.

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Cette sortie arrive quelques jours après sa conférence de presse sur la présidence française de l’Union Européenne. Preuve que la chronique de cette présidence continentale ne suffit pas à incarner un récit pour les élections françaises. Les problématiques européennes sont éloignées des préoccupations politiques des français. Le président de la République prend acte de ce fait. C’est un constat d’échec pour celui qui avait fait de l’euro-béatitude un marqueur de la mobilisation de son camp politique. C’est aussi le signe que la campagne présidentielle de 2022 ne ressemblera pas à celle de 2017. Lors de leur débat d’entre deux tours, Emmanuel Macron et Marine Le Pen polarisaient un clivage entre pro et anti-européen, réminiscence décennale des blocs antagonistes du référendum européen de 2005. Les aggiornamentos européens de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon ont nuancé l’opposition sur le sujet, prenant acte que le souverainisme n’avait qu’un succès électoral d’estime. À ce compte, le vibrato de la IXe de Beethoven résonne moins fort, sans un épouvantail eurosceptique crédible. La thématique européenne ne sera probablement pas un marqueur structurant de la campagne présidentielle de 2022. Dommage, car ce clivage sera le «retour du refoulé» de la scène politique nationale après les élections.

L’émission s’intitule « Où va la France ? ». Il serait surprenant qu’avec un titre pareil, le sujet du récit national et de ses symboles ne surgisse pas dans la discussion.

Renaud Large

L’émission s’intitule «Où va la France ?». Il serait surprenant qu’avec un titre pareil, le sujet du récit national et de ses symboles ne surgisse pas dans la discussion. Éric Zemmour a mobilisé dans son clip d’annonce de campagne un ensemble de références historiques et culturelles pour donner sa vision de la France. Valérie Pécresse a invoqué les fêtes de Noël ou des traditions culinaires comme le foie gras pour dire, à la manière d’OSS 117, ce que signifiait «être français». Quels symboles va invoquer le président de la République ? La panthéonisation de Joséphine Baker constituait un premier élément de réponse, assez astucieux, au demeurant. Le Président de la République tentera-t-il des transgressions dans la pop culture pour coller au quotidien des Français ? Il pourrait sortir des visions «muséifiées» de ses adversaires pour mobiliser les affects de «la France sous nos yeux». L’ouvrage de Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely donne en effet quelques clés de lecture pour trouver le plus petit commun dénominateur symbolique d’une nation qui se fracture. Le barbecue entre amis est un symbole sans doute trop profane pour devenir une «mythologie» appropriable par un homme politique en exercice. Mais, jusqu’à quand ?

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