Le design de demain sera-t-il biologique ?


La polarisation des disciplines du design et des sciences ne date pourtant pas d’hier. Dès les années 1960, sous l’impulsion du designer allemand Luigi Colani, les designers s’inspirent librement des courbes de la nature pour repenser les objets du quotidien. Ce courant qualifié de « bio-mimétisme » pose les bases d’une nouvelle articulation entre nature et technique, qui trouvera son essor quarante ans plus tard. Grâce à l’accélération des biotechnologies, les designers ne se contentent plus d’imiter la nature. Ils créent désormais avec le vivant. C’est la naissance d’un mouvement d’un tout nouveau genre qui fusionne design, chimie et biologie synthétique : le biodesign.

En France, c’est en 2013 que le chamboulement s’opère. Avec « En vie/Alive – Aux frontières du design », la fondation EDF marque un tournant radical dans l’introduction du matériel vivant dans l’espace d’exposition en France. Vous reprendrez bien une part de micro-algues ? De la nourriture diététique imprimée numériquement à la demande : c’est l’un des projets fous qu’on y découvre, celui de Marin Sawa, qui imagine un Bioprinter Algaerium pour nos cuisines de demain. Réunissant une dizaine de travaux aux frontières du design et des sciences biotechnologiques, l’exposition signe les débuts d’une petite révolution dans le monde muséal, jusqu’alors plus habitué aux fac-similés de la nature qu’aux objets organiques mutants.

Studio Klarenbeek & Dros, Mycelium chair

Studio Klarenbeek & Dros, Mycelium chair, 2018–2019

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Coll. Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle, Paris • © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Audrey Laurans. © Studio Klarenbeek & Dros

La voie ouverte, les expositions qui convoquent design et biologie poussent à grande vitesse. Jusqu’où peuvent aller les designers pour défier la science ? C’est la question posée par « La Fabrique du vivant », exposition magistrale présentée par le Centre Pompidou en 2019, le troisième volet du cycle Mutations/Créations initié deux ans plus tôt. Pour ses commissaires Marie-Ange Brayer, conservatrice en chef du service design du musée et Olivier Zeitoun, attaché de conservation, « aujourd’hui, le design s’aborde dans de nouvelles approches du vivant, et entend répondre aux impératifs écologiques de son temps ». Pari gagné, puisque l’exposition entière sonne comme une ode au vivant. De la Mycelium Chair du studio Klarenbeek & Dros, une chaise composée de mycélium (sorte de champignon sous forme de filament) imprimée en 3D, à la lampe bioluminescente Electric Life de la designer Teresa van Dongen, dont la particularité est d’être alimentée par des micro-organismes qui excrètent des électrons. Quand design et vivant ne font qu’un, c’est tout notre rapport au monde qui se trouve bousculé.

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En 2021, le constat est sans appel : la nature est à la fois sujet et matière du design. Certaines manifestations s’affirment comme des expositions ouvertement militantes, à l’instar de « Plant Fever, vers un design phyto-centré », visible jusqu’en mars 2021 au Centre d’Innovation et de Design au Grand-Hornu. Sa commissaire Laura Drouet y fait la proposition savoureuse de regarder le design « du point de vue des plantes ». On pourra se délecter devant la chaise aux allures Art nouveau fraîchement récoltée du Britannique Gavin Munro, « le designer qui fait pousser des chaises ». Les plantes, nos alliées assurées pour un monde plus écologique ? C’est aussi l’hypothèse formulée par la designer Dasha Tsapenko, qui réalise en collaboration avec le microbiologiste Han Wösten une série de manteaux en « fourrure de culture verte », présentée dans l’exposition un poil monstrueuse « Evolutionaries – Bio art and design from the Sea to the Soul » au MU Hybrid Art House d’Eindhoven, jusqu’en mars 2021. Et en attendant la réouverture des musées, on peut toujours écouter « Bio is the new black  », le podcast ludique qui décortique l’impact des technologies de bio-fabrication dans le design, orchestré par Élise Rigot.

Aki Inomata, Think Evolution #1: Kiku-ichi (Ammonite)

Aki Inomata, Think Evolution #1: Kiku-ichi (Ammonite), 2016–2017

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© Aki Inomata et MAHO KUBOTA GALLERY, Tokyo.

Le design peut-il pour autant réparer le monde ? L’exposition « Broken Nature », initialement présentée à la XXII Triennale di Milano en 2019 et visible au MoMA jusqu’en août 2021, se donne pour objectif de dévoiler le rôle réparateur du design dans les écosystèmes. Interrogée par Wallpaper en 2020, sa commissaire Paola Antonelli pose un regard confiant sur le rôle du designer face à la catastrophe écologique à venir : « Le principe, c’est que la race humaine va s’éteindre, mais qu’il nous est encore possible de concevoir une meilleure fin. » La Japonaise Aki Inomata en fait la démonstration la plus magistrale. Dans Think Evolution #1, elle recréé synthétiquement une coquille de poulpe disparue il y a 66 millions d’années. Lorsqu’elle filme la rencontre des deux, surprise : si le poulpe a perdu sa coquille au cours de son évolution, il la reconnaît pourtant quasiment immédiatement comme son foyer et s’y réfugie spontanément. Signe que le design peut filer un coup de pouce à la nature…

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Le vivant comme palette, une affaire d’éthique ? Alors que Singapour vient d’autoriser la vente de viande cultivée en laboratoire à partir de cellules animales, la question de la responsabilité humaine dans la manipulation du vivant est brûlante. Et elle innerve le champ culturel. Le designer est-il soumis aux mêmes lois éthiques que le scientifique ? On se rappelle de la veste miniature Victimless leather cultivée à partir de tissus cellulaires du collectif australien SymbioticA, présentée dans les salles du MoMA en 2008, qui grandissait si vite que sa commissaire avait été forcée de la détruire peu avant la fermeture de l’exposition. Le risque est là : créer un objet si vivant qu’il échappe parfois à la mainmise de son propre créateur. Pourtant, si l’on reproche parfois aux biodesigners de flirter avec les limites de l’éthique, on leur reconnaît aussi volontiers leur capacité à porter un dialogue fécond sur les possibilités d’habiter la Terre autrement. Les objets « du monde de demain » seront-ils vivants, respireront et se dégénèreront ?

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Plant Fever, vers un design phyto-centré

Du 18 octobre 2020 au 7 mars 2021

www.cid-grand-hornu.be

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Evolutionaries – Bio art and design from the Sea to the Soul

Du 11 décembre 2020 au 7 mars 2021

mu.nl



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