Le canapé Élysée de Pierre Paulin ou le triomphe de l’esprit lounge


Octobre 1969. En pleine visite du Mobilier national, le nouveau président féru d’art contemporain Georges Pompidou (qui vient de succéder au général de Gaulle), se serait exclamé : « Je trouve excellente votre idée de créer un atelier pour le mobilier moderne. Il n’y a pas de raison de laisser aux Italiens le monopole de la recherche et de la création. D’ailleurs, si je peux, je ferai appel à vos services pour meubler l’Élysée. » C’est décidé : il donnera un coup de jeune à ce palais daté du XVIIIe siècle. Et nommera un designer français chargé de concevoir le nouveau mobilier, qui sera ensuite fabriqué par l’Atelier de Recherche et de Création du Mobilier national. L’heureux élu ? Le créateur Pierre Paulin (1927–2009), déjà star dans le milieu, notamment grâce à son fauteuil Mushroom créé en 1959 – une prouesse technique toute en rondeur, au tissu élastique et sans couture qui s’enfile directement sur la structure.

Pierre Paulin dans son atelier

Pierre Paulin dans son atelier

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Mais sa nouvelle mission n’est pas sans difficulté… Trois pièces des appartements privés sont à refaire entièrement : une salle à manger, un fumoir et un salon bibliothèque. En outre, il faut intégrer des matériaux contemporains, préférer la couleur beige, s’abstenir de toucher aux murs de cet hôtel particulier classé monument historique, et, surtout, éviter les travaux bruyants qui importuneraient le chef de l’État et ses conseillers en pleine réunion. Face à ce cahier des charges bien rempli, Pierre Paulin n’hésite pourtant pas à voir grand. Ni à redoubler d’originalité : il orne le plafond de la salle à manger de 9 000 cannes de cristal – le transformant en lustre ondulant ! Puis dans le fumoir, il imagine des structures autoporteuses inspirées des tentes bédouines pour recouvrir les boiseries Napoléon III…

Une curiosité minimaliste et douillette au possible…

Dernière étape : le salon, accueillant une collection d’œuvres d’art – une structure abstraite de Jean Arp, des tableaux de Robert Delaunay et Victor Vasarely, des collages de Henri Matisse. Pour ce temple de l’art contemporain, le créateur dessine un canapé aux lignes galbées, à l’assise et au dossier si bas qu’ils ne gênent aucunement la visibilité des tableaux ! Une curiosité minimaliste, douillette au possible grâce à sa coquille de mousse recouverte d’un cuir retourné de couleur beige foncé. Ainsi, plusieurs exemplaires sont disposés le long des murs, assortis de fauteuils ronds. Devant ce nouveau design gonflé, le couple Pompidou est ravi, et le grand public enthousiasmé.

Fauteuils et canapé Élysée dans la salle des tableaux du palais de l’Élysée aménagée par Pierre Paulin pour le président Pompidou

Fauteuils et canapé Élysée dans la salle des tableaux du palais de l’Élysée aménagée par Pierre Paulin pour le président Pompidou, 1972

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Mais en 1974, le nouveau président Valéry Giscard d’Estaing, aux goûts plus classiques, met fin à cette aventure moderne : il fait démonter l’ensemble du salon et du fumoir qu’il laissera dormir (pour ne pas dire moisir) dans les caves du château de Pierrefonds ! Heureusement, un sous-traitant du Mobilier national (Alpha international) continue d’éditer le canapé qui devient rapidement un symbole du made in France. À tel point qu’il s’est vendu 253 000 euros le 25 mai dernier lors d’une vente aux enchères chez Christie’s !

Chez Alice et Benjamin Paulin

Chez Alice et Benjamin Paulin, 2020

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Pourtant, nul besoin de dépenser des fortunes astronomiques : la société familiale Paulin Paulin Paulin produit toujours le modèle sur commande, de manière totalement artisanale. Il est donc possible d’inviter le canapé présidentiel dans son salon, revêtu, par exemple, de cette fameuse bouclette blanche que le monde du design s’arrache actuellement. Pour Benjamin Paulin, fils du designer, c’est sûrement le canapé Élysée qui a lancé la tendance de ce revêtement à l’aspect moutonneux, nous confie-t-il par téléphone. Indémodables seventies.



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