Le « Baiser de l’artiste » d’ORLAN, un scandale d’art et d’argent



« Un vrai baiser d’artiste pour 5 francs ! 5 francs ! Mesdames et messieurs, c’est pas cher ! » C’est un cri surprenant qui résonne en 1977 au Grand Palais de Paris. Le vénérable édifice accueille la quatrième édition de la Fiac (Foire Internationale d’Art Contemporain). Il flotte dans l’atmosphère un parfum de scandale… La raison de tant de tumulte n’est pas une œuvre de la sélection officielle. Il s’agit au contraire d’une installation d’une jeune artiste inconnue et autodidacte, ORLAN (née en 1974), qui n’a même pas été invitée. Avec l’aide de quelques amis, elle a posé son œuvre sans autorisation, en plein cœur du Grand Palais.

Dans ce qui ressemble à un stand de fête foraine, elle présente deux autoportraits photographiques grandeur nature. D’un côté, une image d’elle-même costumée en sainte baroque. De l’autre, une photo de son buste nu et découpé, derrière lequel elle s’assoit. Une fente en haut du buste permet d’insérer une pièce de cinq francs qui atterrit dans un réceptacle triangulaire au niveau du pubis. Le principe est simple : pour 5 cinq francs, n’importe quel visiteur peut, au choix, poser un cierge devant la figure d’ORLAN en sainte, ou embrasser l’artiste en chair et en os, assise derrière son buste.

Un Baiser très féministe

Le scandale est immense, au point que le Baiser de l’artiste éclipse toute la sélection officielle de la Fiac. Et si ORLAN profite d’une notoriété soudaine, avec des articles dans la presse nationale, elle subit surtout de plein fouet de violentes critiques, des menaces, et perd même son travail d’éducatrice. « On écrivait que j’étais une prostituée, que ce que je faisais était absolument « dégueulasse » », se souvient ORLAN une quarantaine d’années plus tard. Personne ne prend sa défense, que ce soit dans le monde de l’art ou dans les milieux féministes. Un paradoxe douloureux pour ORLAN, car le Baiser de l’artiste est justement une œuvre féministe. L’installation met en scène deux stéréotypes auxquels les femmes ont bien du mal à échapper : d’un côté la Vierge, de l’autre la prostituée.

Lire aussi article :  Titien, maître des désillusions

L’œuvre interroge avec humour l’identité féminine qui pourrait exister hors de ces deux stéréotypes, et dénonce les pressions exercées sur le corps des femmes… Au journaliste dubitatif qui lui demande en quoi un baiser est une œuvre d’art, ORLAN réplique avec aplomb : « Il faut voir ma démarche non pas comme uniquement un gadget, mais comme une réflexion sur la position de l’art, de l’artiste et du corps de la femme à l’heure actuelle dans la société. Et pour moi le corps de la femme est un matériau nouveau. »

5 francs, le prix du scandale ?

Cette réflexion sur le corps, et notamment sur le corps féminin, est au cœur de l’ensemble de l’œuvre d’ORLAN. En se positionnant derrière son buste, l’artiste devient une sculpture vivante, une machine automatique à donner des baisers. Elle transforme son propre corps en « lieu de débat public ». Et du débat, il y en a ! Si le scandale est aussi violent, c’est parce qu’ORLAN transgresse les normes morales, en faisant au passage un pied de nez à d’autres normes, celles du marché de l’art. Le passage par la transaction financière est également un acte politique, comme elle l’explicite dans deux manifestes encadrant son installation : « Je me vends moi-même, je suis un produit libre, je reprends possession de mon corps et de tous ses possibles. » Ici la marchandisation du corps féminin n’est pas subie, mais choisie, et devient même un acte d’émancipation.

Quant au prix, 5 francs, il a été mûrement réfléchi : « Il fallait que ce soit une seule pièce, qui se voit, qui soit grosse. Le prix devait être abordable pour tout le monde. On ne pouvait pas dire qu’on ne le faisait pas car c’était trop cher. » Et même si le public et les médias ont à l’époque traîné ORLAN dans la boue, l’histoire de l’art a fini par lui donner raison. Ironiquement, lorsque la Fiac fête ses 30 ans, quelle est la création présentée comme la performance ayant le plus marqué l’histoire de la foire ? Non pas une œuvre de la sélection officielle, mais… le Baiser de l’artiste. Cette œuvre iconique, qui a bouleversé les codes de l’histoire de l’art et lancé la carrière d’une grande artiste, est à découvrir à la Monnaie de Paris, où l’exposition « L’argent dans l’art » explore, jusqu’au 24 septembre 2023, les relations complexes et multiples entre l’art et l’argent !

Lire aussi article :  « Entrepreneuses : il faut être entourées »
Arrow

L’argent dans l’art

Du 30 mars 2023 au 24 septembre 2023

www.monnaiedeparis.fr



Source link