La Pologne fait feu de tout bois dans son bras de fer avec l’UE


Visée par une procédure d’infraction lancée mardi par la Commission européenne, la Pologne rend coup pour coup. Varsovie ouvre une enquête pour abus de pouvoir contre les juges de la CJUE.

Le ton continue de monter entre l’Union européenne et la Pologne, depuis qu’en octobre les juges constitutionnels polonais ont jugé plusieurs articles du traité sur le fonctionnement de l’Union incompatibles avec la Constitution polonaise et refusé d’appliquer des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Bruxelles est engagée dans un long et intense bras de fer avec Varsovie à propos des réformes judiciaires lancées par le parti polonais Droit et justice (PiS), au pouvoir depuis 2015. Ces réformes, accusées de saper l’indépendance des juges, ont valu à la Pologne plusieurs condamnations par la CJUE.

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Ce mardi la Commission européenne a lancé une procédure d’infraction contre la Pologne, estimant que son Tribunal constitutionnel a ouvertement défié la primauté du droit européen. De son côté la Pologne n’entend pas se laisser faire sans protester, et multiplie également les procédures judiciaires à l’encontre des institutions européennes. Son premier ministre Mateusz Morawiecki a par ailleurs réagi à cette nouvelle procédure, en critiquant mercredi le «centralisme bureaucratique» de Bruxelles.

Le gouvernement polonais abonné à Libé ?

Surtout, les procureurs de Varsovie ont opportunément tiré profit d’une longue enquête de Libération , qui avait dévoilé début décembre l’existence d’un «véritable système de conflits d’intérêts et de trafic d’influence qui étend ses ramifications non seulement à la Commission, mais aussi à la CJUE, le temple du droit européen». Ces révélations de Jean Quatremer impliquent, d’après l’article, «pour l’essentiel des membres du PPE (Parti populaire européen), la maison mère des partis conservateurs européens». Le journaliste décrivait ainsi l’existence d’un «État PPE qui a fait son nid au cœur de l’Union européenne pour le plus grand profit de ses membres».

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Dans le détail, Libé révèle l’amitié intime entre Karel Pinxten, membre belge de la Cour des comptes européenne (CCE) entre 2006 et 2018 et condamné par la CJUE le 30 septembre pour détournement d’argent public, et le président de la CJUE Koen Lenaerts, belge néerlandophone également, qui aurait participé à de nombreux dîners ou soirées chez Pinxten aux frais du contribuable européen. Le journal décrit ensuite un large réseau d’amis dans l’entourage des deux hommes, réunissant essentiellement des membres du PPE.

Or le président du PPE n’est autre que Donald Tusk, ancien président du Conseil européen de 2014 à 2019, et également président depuis le 3 juillet 2021 de Plate-forme civique (PO), le principal parti d’opposition au PiS au pouvoir en Pologne. En octobre, Donald Tusk s’était fermement ému de la décision des juges constitutionnels polonais, estimant que celle-ci «poussait le pays vers un Polexit». Dimanche dernier, il battait encore le pavé avec d’autres adversaires du pouvoir pour réclamer l’abandon d’une nouvelle loi sur les médias.

C’est pourquoi l’article de Libé a été lu avec intérêt à Varsovie. Ces révélations ont été érigées par le ministère polonais de la Justice en preuve que les institutions européennes, qui critiquent Varsovie pour violations de l’État de droit, sont elles-mêmes en train de contourner ou d’enfreindre ces mêmes règles qu’elles prétendent faire respecter de gré ou de force aux États membres. «La crédibilité de la CJUE et de la Commission européenne a été minée par ces révélations», a ainsi déclaré le vice-ministre polonais de la justice, Sebastian Kaleta.

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Les procureurs polonais ouvrent une enquête

Le ministre de la justice Zbigniew Ziobro a écrit la semaine dernière à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, l’avertissant que, si elles étaient vraies, les allégations contenues dans cet article « sapent le fonctionnement de l’UE ». Il l’a appelée à mettre fin à son «silence» et à «clarifier l’affaire» d’urgence. Zbigniew Ziobro a dans la foulée demandé aux procureurs de Varsovie d’ouvrir une enquête sur un éventuel «abus de pouvoir par des juges de la CJUE lors de l’examen de plaintes contre la Pologne».

En outre, d’après le site d’information wPolityce (proche du parti au pouvoir en Pologne Droit et justice, le PiS), il semblerait que le KRS, l’organe chargé de nommer les juges en Pologne, prépare une résolution demandant de suspendre l’activité de la CJUE à la suite de «la divulgation par les médias européens du scandale de corruption impliquant des juges et des fonctionnaires de la CJUE».

Le ministre de la justice polonais a également saisi ce jeudi le Tribunal constitutionnel pour que celui-ci tranche sur le mécanisme européen conditionnant l’octroi de fonds au respect de l’État de droit. La Pologne, tout comme la Hongrie, a déjà saisi la justice européenne de cette question pour faire annuler ce mécanisme. La Cour de justice de l’UE devrait se prononcer début 2022. Des sommes considérables sont en jeu pour la Pologne, avec 75 milliards d’euros sur sept ans pour les fonds de la cohésion et 31 milliards sur sept ans pour les financements de la Politique agricole commune.

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Enfin, dans une interview publiée ce vendredi 24 décembre, le vice premier ministre Jaroslaw Kaczynski a dénoncé l’influence allemande sur les institutions européennes, en accusant l’Allemagne de tenter de transformer l’Union européenne en un «IVe Reich allemand» fédéraliste. Ainsi, même la trêve de Noël n’a pas eu, pour l’heure, raison de la confrontation ouverte entre Varsovie et Bruxelles, amplifiée encore par l’escalade judiciaire et verbale en Pologne.



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