La Nuit Blanche a 20 ans ! Portrait d’un événement pas comme les autres


6 octobre 2002, 2h30 du matin : alors que la première Nuit Blanche bat son plein dans tout Paris, le maire Bertrand Delanoë est victime d’un attentat. Poignardé par un inconnu, un « déséquilibré » diront les journaux, dans l’Hôtel de ville ouvert aux visiteurs pour l’occasion. De quoi éclipser un peu le succès immense de ce nouveau rendez-vous artistique, mais sans pour autant décourager le maire – qui a repris ses fonctions après quelques semaines de repos – de recommencer, puis de passer le flambeau à son adjointe et successeure, Anne Hidalgo. Ce souvenir étrange au goût de sang, c’est Jean Blaise qui nous le rappelle : joint par téléphone, le Nantais a été le premier directeur artistique de la Nuit Blanche, et en a pour ainsi dire posé les bases fondamentales. Il se souvient : « Dans les années 1990, on avait créé le festival les Allumées à Nantes : six nuits, de six heures du soir à six heures du matin, pour mettre en valeur les avant-gardes de six grandes villes du monde (Barcelone, Buenos Aires…) et pendant six ans seulement. Ainsi, on organisait la frustration dès le début, on créait l’urgence. »

« Ce qui a rendu populaire la Nuit Blanche, c’était cette possibilité d’aller là où on ne pouvait pas aller. »

Jean Blaise

Christophe Girard, alors adjoint à la culture du maire de Paris, le contacte au début des années 2000. « Il est venu me voir au Lieu unique, dont j’étais directeur, pour me demander de travailler sur la programmation d’une idée qu’il avait eue : une seule nuit blanche, à Paris. » Et ce, seulement un an avant la première édition… Branle-bas de combat. Déjà, la date. Le premier week-end d’octobre est choisi, quelques semaines après les vacances : « On rentre, oui, mais tout n’est pas fini, il y a encore un espoir ! » Puis, les lieux. L’idée a tout de suite été d’emmener les Parisiens dans des lieux insolites – comme les anciennes pompes funèbres de Paris où s’était invité Edwin van der Heide, aujourd’hui devenues le Centquatre mais à l’époque encore chargées de corbillards ! –, ou de leur permettre de regarder autrement des monuments phares – comme la tour Eiffel, dont l’entrée a été gratuite le temps d’une nuit et où Sophie Calle avait installé sa chambre au 4e étage, pour recevoir les visiteurs… « Ce qui a rendu populaire la Nuit Blanche, c’était cette possibilité d’aller là où on ne pouvait pas aller. Il fallait faire en sorte qu’on découvre des ruelles, des lieux abandonnés, inédits, pour que la ville soit au centre de la Nuit Blanche, interprétée par les artistes. » Le nouveau site de la BNF, par exemple, dont les façades sont animées comme des jeux vidéo grâce au Chaos Computer Club.

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Sophie Calle, Chambre avec vue

Sophie Calle, Chambre avec vue, 2003

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Performance • © Sophie Calle / ADAGP, Paris 2022 Photo : © Jean-Baptiste Mondino / Courtesy Perrotin

« On voulait dire au public : on vous montre des œuvres très importantes, mais ne regardez pas que l’œuvre, laissez-vous emporter par l’ambiance que crée le frottement entre l’œuvre et le lieu ! » De fait, au fil des années, cet esprit premier ne s’est jamais démenti. Difficile d’oublier l’effet stupéfiant du périphérique coupé et transformé en piste cyclable en 2019, des 3 200 chaussures de Markus Hansen au Palais de la découverte en 2012, de la Swimming-Pool Party de Barbara Butch à la piscine Georges Vallerey en 2021, ou encore de l’installation immersive Purple Rain de Pierre Ardouvin en 2011, une pluie violette tombant dans la cour de l’hôtel d’Albret, en plein Marais (bonne nouvelle : pour les 20 ans de la Nuit Blanche, celle-ci sera réactivée à l’Académie du Climat dans le 4e arrondissement).

La Nuit Blanche, c’est donc avant tout une nuit en ville, entre un verre entre copains et une œuvre d’art, une balade insomniaque entre d’ahurissantes visions… Et, aussi, des heures et des heures d’attente. « Il y a eu tout de suite une immense frustration du public, qui faisait des heures de queue pour passer dix minutes dans l’œuvre… mais c’est ça aussi qui a fait Nuit Blanche ! Quand vous avez cet engouement-là, vous ne pouvez pas vraiment gérer. » De fait, ceci aussi est resté un trait saillant de l’événement au fil des années – cela dit, nous vous le conseillions il y a quelques années : pour mieux apprécier les œuvres, mieux vaut s’aventurer dans le parcours tard, très tard dans la nuit ! Il y a moins de monde, et leur effet est d’autant plus magique.

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Depuis, la Nuit Blanche est devenue internationale, et s’est exportée jusqu’en Australie. Une volonté de Christophe Girard, nous dit Jean Blaise, qui aurait préféré quant à lui que le monde se déplace pour venir à la Nuit Blanche, et non l’inverse. C’est Girard, aussi, qui a favorisé une programmation parallèle dans les institutions : « Il voulait entraîner tout le réseau culturel. » Et aujourd’hui ? Les choses ont changé, un peu, beaucoup. Le budget, nous souffle-t-on dans l’équipe 2022, est bien plus étroit qu’auparavant. Les contraintes de sécurité pour l’accueil du public se sont durcies. « Aujourd’hui, on ne pourrait pas faire ce qu’on a fait aux pompes funèbres », suppose Jean Blaise. Et, surtout, il y aura dès la prochaine édition un changement de calendrier, choisi après un vote des Parisiens : la prochaine Nuit Blanche se tiendra en juin 2023. Un choix que déplore le premier commissaire : « En juin, il y a déjà la Fête de la musique, les fêtes d’été… Il y aura moins ce caractère exceptionnel d’une nuit en octobre. »

« Island Of Foam » de Stéphanie Lüning, sculpture monumentale faite de mousse colorée qui sortira des bouches d’aération du Centre Pompidou à l’occasion de la Nuit Blanche 2022

« Island Of Foam » de Stéphanie Lüning, sculpture monumentale faite de mousse colorée qui sortira des bouches d’aération du Centre Pompidou à l’occasion de la Nuit Blanche 2022, 2015

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© Thomas Gerhardts et Stephen Amante Smith

Et cette année, que nous réserve la Nuit Blanche, qui fête ses 20 ans ? Kitty Hartl, sa directrice artistique (et aussi commissaire déjantée d’Un été au Havre, ex-directrice artistique du Cabaret New Burlesque), nous raconte tout dans un café, avec une bonne humeur contagieuse. Treize projets seulement, explique-t-elle, mais essentiellement dans le centre de la capitale, « pour un parcours à pied de deux heures ». « C’est aussi un clin d’œil à la beauté de Paris » que d’avoir choisi de rester dans son cœur historique. Le fil rouge ? Faire écho au Jardin des délices (vers 1500) de Jérôme Bosch, notamment avec un triptyque numérique du collectif Smack dans le jardin Nelson Mandela, mais aussi un défilé de mode de la maison Koché sous la Canopée des Halles, une sculpture de mousse monumentale de Stéphanie Lüning sur la piazza du Centre Pompidou (!), des représentations toutes les heures du Cabaret New Burlesque au théâtre du Châtelet ouvert gratuitement pour l’occasion, un « cube surnaturel » de Mariona Benedito et du collectif Cube.BZ sur le parvis de l’Hôtel de ville… Un peu plus loin dans Paris, une folle performance d’Annie Sperling à la piscine Molitor, un match de football sans ballon au stade Charléty (clin d’œil appuyé aux JO de 2024), des Constellations de Joanie Lemercier au Canal de l’Ourq… Et près de 200 projets satellites dans toute l’Île-de-France. Alors, on sort ?



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