La main, motif infini de l’art contemporain


Venue exprès de New York pour l’accrochage, Genesis Belanger (née en 1978) nous le rappelle d’emblée : la main, et par extension les doigts, jouissent d’une place de choix dans l’histoire de l’art. C’est Dieu qui tend son index vers l’homme sur le plafond de la chapelle Sixtine (1508–1512) peint par Michel-Ange, La Diseuse de bonne aventure (1595–1598) du Caravage qui parcourt du bout de ses doigts la paume d’un innocent… Dans bien des portraits officiels, souligne encore l’artiste, le visage et le corps entier apparaissent figés – sauf les mains, occupées avec un sceptre royal, un éventail, un livre, ou tenant le pinceau d’un autoportrait. Mine de rien, donc, les mains jouent bien souvent le premier rôle, et révèlent selon leur position la personnalité représentée, dévoilent l’action, l’enjeu de l’œuvre. S’y intéresser de près revient aussi à recentrer l’attention sur le corps – puissant, malmené, érotique, solitaire, agressif, sensuel.

Les deux commissaires de l’exposition, Genesis Belanger et son amie GaHee Park (née en 1985), se sont rencontrées lors de leurs études au Hunter College de New York. Toutes les deux représentées par la galerie Perrotin, elles ont choisi de mettre les pieds dans le plat : « Finger Bang » est une expression grivoise, que l’on pourrait traduire par… « doigter ». De fait, le sexe ici revient en mantra : par un doigt pointé vers une langue bien rouge chez Emily Mae Smith (Covenant, 2022), par une main qui empoigne un immeuble élastique comme un phallus chez Trevor Baird (Brutalist Tug Job, 2022), ou encore qui enserre délicatement le talon haut d’un élégant soulier chez Ivy Haldeman (Heels, Stiletto to Palm, Pursed Fingers, 2022). Juste de quoi avoir le rose aux joues, et constater à quel point l’érotisme, par sa puissance suggestive, peut féconder de très hypnotiques images…

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Mais la main est aussi politique. C’est elle qui se tend vers le ciel, poing fermé, pour figurer la colère. Elle qui a rendu célèbres les groupes militants « Touche pas à mon pote » et « Black Panthers ». Le peintre Mark Yang représente ainsi une collection de sept positions de mains sous le titre Svadhishthana (2022), des doigts d’honneur au OK des plongeurs – comme un mini-dictionnaire du langage manuel. Chez Robin F. Williams, une furieuse héroïne traverse la toile telle Judith fonçant vers Holopherne, un doigt sur la bouche nous demandant le silence, l’autre main agrippant un couteau aiguisé (Shhhh, 2022). Et si Genesis Belanger a choisi de glisser dans un bouquet en céramique quelques tiges surmontées de doigts tordus qui s’offrent comme des fleurs, GaHee Park a dessiné une jeune femme nue, le visage dissimulé derrière une main aux ongles rouges (Half Pears, 2021) – deux œuvres qui nous parlent en filigrane d’un rapport complexe à soi et aux autres, entre tendresse et agressivité.

Robin F. Williams, Shhhh

Robin F. Williams, Shhhh, 2022

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Acrylique sur toile • 121.9 × 152.4 cm • Courtesy de l’artiste, Perrotin et P·P·O·W © JSP ART PHOTOGRAPHY

Et puis il y a les mains qui créent de la poésie, de l’étrangeté. Cartoonesque à souhait, Sarah Slappey a imaginé une main gratouillant de ses ongles pointus la plante d’un pied dodu (Push and Pierce, 2022)… Et Nikki Maloof, une planche à découper couverte de saucisses, jouant d’une analogie bien connue (Sausage Fingers, 2022). N’oublions pas la céramiste Jessica Stoller, qui illusionne avec un drôle de gâteau au glaçage coloré, surmonté d’ongles si longs qu’ils donnent à l’ensemble une couronne dorée (Untitled (fringe), 2019). Enfin, on gardera également longtemps en tête le doigt sensuellement glissé dans un livre de Henni Alftan (Novel, 2022), comme démonstration implacable et minimaliste des 1001 possibles… du bout des doigts !





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