La cité polychrome du bonheur, l’utopie de Vasarely


Portrait de Victor Vasarely

Portrait de Victor Vasarely, entre 1950–1959

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© Ministère de la Culture – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Denise Colomb / ADAGP, Paris / RMN-Grand Palais – Gestion droit d’auteur

Victor Vasarely (1906–1997) a toujours été un artiste idéaliste et humaniste. « Trésor commun en faveur d’une multitude », l’art doit selon lui avoir un rôle social et être accessible au plus grand nombre. C’est avec cet état d’esprit qu’il débarque à Paris en 1930. Il est communiste, comme beaucoup d’artistes d’alors, et le revendiquera toute sa vie. Pétri de colère contre le régime autoritaire de l’amiral Miklós Horthy – qui sévit dans sa Hongrie natale depuis qu’il a renversé en 1919 le régime communiste de Béla Kun –, Vasarely porte surtout en lui les idées généreuses de son professeur Alexandre Bortnyik. Directeur de l’Académie Mühely à Budapest, celui-ci perpétue l’enseignement du Bauhaus de Weimar et de Dessau, faisant la promotion d’un art qui serait la somme de tous les autres, et dont la réputation s’est construite avec Walter Gropius, Hannes Meyer, László Moholy-Nagy, Vassily Kandinsky…

Vasarely aurait voulu poursuivre l’aventure en créant à son tour une école à Paris ; sans le sou, il laissera mûrir ce projet, qui évoluera sous une autre forme 40 ans plus tard. Dans l’immédiat, il gagne sa vie grâce au dessin publicitaire, tout en poursuivant ses propres recherches. Elles le mènent à « une nouvelle direction de la plasticité », comme il l’exprime lui-même, un alphabet composé d’unités plastiques assemblées de façon à jouer sur la perception du spectateur grâce à des effets optiques. Il crée les bases de l’art optique et s’imposera comme chef de file de ce nouveau courant artistique, tout en soutenant et fédérant les artistes d’Amérique Latine et d’Europe de l’Est. Il les expose à la galerie Denise René, qu’il a co-créée en 1944 et dont il est le directeur artistique. Rapidement, il mène une carrière internationale, expose à New York chez Sidney Janis, et s’impose comme l’artiste de la modernité. Ses œuvres sont partout ! Dans la rue, dans les magazines, elles servent de décor aux émissions de télé, il les décline dans la mode, le design – jusqu’à Prisunic…

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Victor Vasarely réalisant une composition murale en carreaux de ciment coloré, chez l’éditeur William Wise à Lacoste (Vaucluse) en 1964

Victor Vasarely réalisant une composition murale en carreaux de ciment coloré, chez l’éditeur William Wise à Lacoste (Vaucluse) en 1964

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© Ministère de la culture – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Willy Ronis

Le succès est total. Dans les années 1960, il a une reconnaissance internationale et les fonds nécessaires pour donner corps à son projet. Ce sera une fondation – un dispositif théorisé par Michel Pomey sous André Malraux –, qu’il crée en 1970 et qui sera reconnue d’utilité publique l’année suivante. Le lieu est tout trouvé : le château de Gordes, village duquel il est tombé amoureux dès 1948 et où il vient chaque été avec sa femme, ses deux enfants et ses trois cockers ! Il le restaure à ses frais et c’est un succès : le musée accueille dès la première année environ 25 000 visiteurs, alors que le village éloigné n’est pas encore un lieu de villégiature.

Mais il ne s’arrête pas là, et la fondation sera bicéphale. Il cherche un lieu pour son grand œuvre, la démonstration grandeur nature de l’évident dialogue entre l’art et l’architecture, de la force de son vocabulaire plastique transposé à la dimension monumentale et urbanistique. Il pense d’abord à Marseille-Luminy, où il pourrait bénéficier d’un environnement stimulant avec l’université, l’importance des recherches dans le domaine de l’informatique et l’école d’art et d’architecture, mais le maire d’Aix-en-Provence, Félix Ciccolini, remporte la partie en lui offrant le Jas de Bouffan.

Vue de la fondation Vasarely

Vue de la fondation Vasarely

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Là, au pied de la montagne Sainte-Victoire où a vécu Paul Cézanne, un nouveau quartier avec plus de 5 000 logements vient de sortir de terre pour accueillir les familles rapatriées d’Algérie. Il y dépose son navire amiral de 87 mètres et 5 000 mètres carrés, dont 2 500 d’exposition, dessiné par lui-même bien sûr, et mis en œuvre par Jean Sonnier et Dominique Ronsseray. Dans les fondations de béton, il y a glissé un tube métallique, avec comme promesse : « Nous serons dignes de Cézanne. »

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Si l’extérieur affiche ses unités géométriques alternant cercles noirs et blancs, c’est à l’intérieur qu’explose la couleur, dans les seize alvéoles de 8 mètres de côté sur 11 de haut, baignées d’une lumière zénithale. Il y présente ses intégrations murales : tapisseries, cartons sérigraphiés, émaux de Briare, reliefs d’aluminium anodisés, œuvres en verre de Saint-Gobain… et 22 présentoirs où défilent toutes les 30 secondes 42 prototypes, autant de projets prêts à être reproduits sur les murs de ces cités de béton qui envahissent les villes nouvelles et défigurent le paysage français. Il rêve de « transformer la désolante grisaille quotidienne des déshérités en une ambiance de beauté et de gaieté ». Le pouvoir de la couleur…

L’exposition de Gordes raconte cette histoire sur les trois niveaux du château de façon chronologique, avec force appareil documentaire. L’évidence tombe quant à la cohérence de cette œuvre plastique dont on voit que tout est en germe dès les propositions graphiques pour la publicité, et dont on saisit le basculement vers l’abstraction à la fin des années 1940. L’exposition nous replonge aussi dans la présentation du musée tel qu’il était aménagé à l’époque, avec ce système de présentoir des prototypes que l’on retrouve à Aix. Il aurait fallu 500 mètres de cimaises ininterrompues pour exposer les 300 œuvres sélectionnées…

Dès la création de ce musée didactique en 1970, on mesure l’enjeu du projet de Vasarely, qui formalise ainsi, tel un testament, deux ans après : « En résumé, je lègue l’essentiel de mes créations à la communauté, la mieux représentée en fin de compte par l’État de toujours. L’œuvre dans son ensemble doit être un trésor commun d’utilité publique, sans but lucratif, et non les biens des particuliers dispersés dans le monde. » Peut-on être utopiste sans être un brin mégalo ?

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L’art sera trésor commun ou ne sera pas

Du 10 novembre 2021 au 8 mai 2022

www.fondationvasarely.org



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