Ingres ou le trait de génie d’un jeune prodige


Virtuose du crayon, Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780–1867) a laissé derrière lui plusieurs milliers de dessins d’une finesse arachnéenne. Le seul musée Ingres Bourdelle de Montauban, sa ville natale, en conserve 4500 ! C’est donc cette discipline, qu’il a pratiquée toute sa vie et par laquelle tout commence, que privilégie l’exposition du musée des Beaux-Arts d’Orléans. Enfant, Ingres copie déjà sur papier les estampes d’après Raphaël, Titien, Corrège et Rubens que lui a offertes son père Joseph Marie (1755–1814), peintre lui aussi. Un portrait à la sanguine réalisé en 1791 d’après un dessin de ce dernier témoigne de ses qualités de prodige : malgré des proportions inexactes, la technique est impressionnante pour un enfant de onze ans. Très fier, son père lui apprend à réaliser de petits portraits au graphite et l’envoie en 1791 à l’Académie royale de peinture et de sculpture de Toulouse, dont il sort en 1797, lauréat du prix de dessin d’après modèle vivant.

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Jean-Charles-Auguste Simon

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Jean-Charles-Auguste Simon, vers 1802–1803

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Fusain et estompe, crayon noir, crayon graphite, rehauts de craie blanche sur papier vélin • 42,2 × 37,7 cm • Coll. Musée des Beaux-Arts, Orléans • © Musée des Beaux-Arts d’Orléans / François Lauginie

Aussitôt, Ingres plie bagage pour Paris, où il n’abandonne pas le portrait dessiné. Dès 1797, il s’essaie à une technique à la pierre noire avec effets d’estompe, dite « à la manière noire ». L’artiste en tire notamment une extraordinaire copie de La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci, réalisée pour un graveur fin 1801–1802, puis son superbe portrait d’un jeune administrateur des impôts, Simon fils [ill. ci-dessus]. Déjà, le modelé du visage est si doux et réussi qu’il semble sortir de la feuille. En 1802–1803, son portrait d’Aglaé Adanson laisse pour la première fois entrevoir la sensualité si particulière dont il dotera plus tard ses figures féminines, accentuée par des exagérations anatomiques volontaires : large et bombé, le cou de la demoiselle anticipe le « goitre » d’Angélique enchaînée à son rocher (Roger délivrant Angélique), qui fera ricaner les critiques parisiens en 1819.

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Jean-Auguste-Dominique Ingres, Danaé, d’après une gravure de Giulio Bonasone

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Danaé, d’après une gravure de Giulio Bonasone

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Crayon graphite • 10,6 × 9,5 cm • Coll. Musée Ingres Bourdelle, Montauban • © Musée Ingres Bourdelle / photo : Marc Jeanneteau

Plus méconnus sont ses dessins griffonnés sur le vif, à la hâte, pour exercer son œil au quotidien. Une femme accoudée à une table, des buveurs… Sans but précis, Ingres croque tout ce qu’il voit dans un petit carnet. Une pratique qui « n’existe pas chez les autres artistes de l’époque », souligne Mehdi Korchane, commissaire de l’exposition, et « anticipe celles des peintres de la vie moderne de la fin du XIXe siècle » ! Parmi les autres curiosités sorties de l’ombre, ses dessins érotiques d’après des gravures et reproductions d’œuvres italiennes du XVIe siècle… d’un corps d’une élégance serpentine (issu de la maniériste Vénus et l’Amour de Lambert Sustris) à une Danaé aux jambes écartées (isolée d’une composition mythologique) exposant son sexe dans une posture frontale digne de L’Origine du monde de Courbet…

À Paris, Ingres entre dans l’atelier du célèbre Jacques-Louis David (1748–1825), chef de file du mouvement néoclassique, pour qui les lignes pures des statues de la Grèce antique incarnent la beauté idéale. Studieux, le jeune élève se fait remarquer par la finesse de ses contours, mais s’éloigne du maître par son intérêt porté aux primitifs italiens – choix peu commun à l’époque. Aux Beaux-Arts, il remporte des prix avec ses études de nus masculins (dont un élégant Torse d’homme, 1800, présent dans l’exposition) aux lignes douces et aux effets de lumière délicats, moins rigides que celles de ses camarades néoclassiques.

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Mais la révolution de 1789 a chamboulé l’institution d’Ancien Régime qu’est l’Académie de France à Rome, laquelle, suite à des émeutes républicaines puis une coupe de budget, ne peut accueillir ses lauréats. Ingres doit donc patienter cinq ans avant de s’y rendre ! Logé dans le couvent désaffecté des Capucines, il vit de dessins tout en exécutant ses premiers portraits peints – un florilège de chefs-d’œuvre absents de l’exposition, parmi lesquels son Autoportrait à vingt-quatre ans (1804) inspiré d’un tableau de Raphaël, Philibert Rivière, Madame Rivière et Mademoiselle Rivière (1805), La Belle Zélie (1806,) et deux représentations de Napoléon Bonaparte : l’une en premier consul (1804), l’autre sur le trône impérial (1806, Musée de l’Armée), pétrifié comme une statue de marbre dans sa cape de velours d’un réalisme saisissant, ses ornements dorés reproduits avec une minutie d’orfèvre.

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Autoportrait à vingt-quatre ans

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Autoportrait à vingt-quatre ans, 1804

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huile sur toile • 77 × 61 cm • Coll. musée Condé, Chantilly

Avant même l’ouverture du Salon de 1806, Ingres doit quitter Paris pour enfin rejoindre sa résidence à la Villa Médicis. Mais les critiques lui parviennent : ses portraits de la famille Rivière sont jugés trop « secs », celui de l’empereur trop étrange et figé. Le jeune artiste écume de rage. Lorsque la grande composition qu’il rend au terme de ses quatre ans de pensionnat (Jupiter et Thétis, 1811) est qualifiée de « bizarre » et dénigrée par l’Académie parisienne, c’en est trop : Ingres décide de rester à Rome où il vivra jusqu’en 1824 – des années fructueuses au cours desquelles il peindra sa Grande Odalisque (1814), désormais icône…

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Ingres avant Ingres. Dessiner pour peindre

Du 18 septembre 2021 au 9 janvier 2022

www.orleans-metropole.fr



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