Huile de tournesol –  Le nouvel or jaune d’Adrien Rivière, agriculteur


Perché sur un escabeau, Adrien Rivière déverse des graines de tournesol dans un énorme entonnoir : « la presse fonctionne 24 heures sur 24 » dans son huilerie du Gâtinais (Loiret), pour répondre à une demande inédite de cet or jaune, que la guerre en Ukraine a propulsé à des prix inédits.

L’agriculteur de 35 ans, qui cultive blé, orge, colza et tournesol sur 150 hectares, n’a « jamais vu ça ». Son père et associé de 59 ans « non plus ». « La presse tourne normalement cinq à six jours par mois. Depuis trois semaines, c’est tous les jours, sans interruption. Je n’ai plus assez de cuves en inox », raconte le jeune exploitant, désignant de grands bidons bleus achetés en renfort. Les graines grises glissent de l’entonnoir vers la presse puis se métamorphosent : l’huile tirée des pépites coule dans une immense cuve et les résidus végétaux sont récupérés dans une grande bassine, sous forme de tourteaux qui nourriront les animaux des « copains éleveurs du coin ».

L’huile de tournesol issue de cette pression à froid repose idéalement deux mois avant d’être mise en bouteille. « La demande a réduit les délais à trois semaines », avec pour « seul risque » un petit dépôt noir au fond des bouteilles, moins esthétique mais inoffensif. Dans sa boutique, au cœur de la ferme, s’alignent de jolies bouteilles d’huile de tournesol, de colza – celles-ci aromatisées au citron, à l’échalote ou aux noix. L’engouement des particuliers le laisse perplexe. « Les commandes de 10 litres deviennent monnaie courante. La pénurie en rayon est due au surstockage. Un client qui consomme trois litres par an va en avoir dix ou quinze chez lui, c’est beaucoup trop ».

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Pour lui, il n’y a « pas de pénurie de tournesol » : « J’en ai plein mes silos », lance-t-il. On travaille la récolte de l’an dernier. Comme il y a de la demande, on puise dans nos réserves de graines ». À ce rythme, il va épuiser ses réserves mais pense « tenir jusqu’à la récolte » d’août. La guerre en Ukraine, qui exportait 50 % de l’huile de tournesol mondiale, a fait monter les cours des oléagineux : en deux mois, le tournesol, comme le colza, a vu son prix grimper de 40 % sur le marché européen. La tension promet désormais d’être alimentée par l’interdiction d’exportation de l’huile de palme imposée jeudi par l’Indonésie, premier producteur mondial.

« Volatilité ingérable »

La guerre, et avant elle la crise du Covid, ont soutenu céréales et huiles à des prix inédits, mais ont aussi fait gonfler les coûts de production de l’agriculteur : son engrais est « passé en deux ans de 180 à 1 000 euros la tonne », son fioul pour tracteur a augmenté de « 40 à 50 % » et le coût des emballages s’envole. Pour compenser, il vend désormais ses trois litres d’huile (tournesol ou colza) à 26 euros (contre 24 auparavant) et a surtout augmenté de 20 à 50 % ses prix en semi-gros à la restauration collective, qu’il fournit dans un rayon maximum de 100 km.

Au bout de l’allée menant à sa ferme, le jaune lumineux des fleurs de colza commence à verdir : à mesure que fanent les fleurs, les siliques, ces gousses contenant les graines, grossissent. L’odeur sucrée, entêtante, est encore très forte. L’année s’annonce « exceptionnelle », mais l’agriculteur ne parvient pas complètement à se réjouir, occupé à évaluer les mauvaises fortunes qui le guettent encore jusqu’à la récolte : « s’il ne pleut pas assez », « s’il y a un orage de grêle »… « L’agriculteur sait combien il lui coûte de produire mais jamais combien il va vendre ».*

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La volatilité des cours agricoles le saisit comme un vertige. « On ne sait pas à quel moment vendre. Un colza peut prendre 50 euros en un jour et en perdre autant. C’est le poker ». Il y a trois mois, il a vendu 30 tonnes de colza à 570 euros la tonne sur sa prochaine récolte. « Actuellement – il vérifie sur son téléphone – les contrats sont à 870 euros. C’est 9 000 que je n’ai pas gagnés ». Du coup, il se refuse à engager plus avant sa récolte à venir, préférant « attendre, voir si ça monte encore ». « On sait produire, mais des volatilités pareilles, c’est ingérable ». Lui préfèrerait des « prix moins élevés mais plus stables ». Face aux inconnues du marché, il ne se risquera pas à augmenter ses surfaces en tournesol ou colza, il veut juste moderniser l’huilerie, pour ne plus être obligé de porter les sacs de graines du silo à la presse.



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